Cinq ans après le très remarqué Le Caire Confidentiel, le cinéaste égyptien Tarik Saleh revient avec un nouveau film noir, entre polar et drame moral, Boy from Heaven. Il y conserve tous les ingrédients qui ont fait le succès critique et public de son précédent film : une forme de cynisme, une accumulation de péchés (avec le pardon et la rédemption qui les accompagnent), une issue morale ni trop naïve ni trop pessimiste, une observation lucide des rapports de force, des innocents malmenés et des salauds pas forcément contrariés…
Le réalisateur dépeint une Egypte qui se divise en trois classes : le peuple incarné par un candide (Tawfeek Barhom, impeccable), les religieux et l’Etat, géré d’une main de fer par la Sécurité intérieure et l’Armée. Notre ange, pécheur provincial, est accepté dans la plus prestigieuse université des sciences islamiques du monde arabe, sans se douter que cette période d’enseignement va avant tout être celle d’une initiation à un monde corrompu, autoritaire, manipulateur, hypocrite. « Ton cœur est encore pur, mais chaque seconde que tu passes ici va le noircir » le prévient son camarade Zizo (Mehdi Dehbi, toujours aussi sublime et intense), bras droit d’un imam populaire et infiltré par le Colonel (Fares Fares, méconnaissable et formidable) en charge de la sécurité de l’Université.
Et, de facto, la mort du Grand Imam va conduire l’Etat à saisir l’opportunité d’avoir un successeur en phase avec le régime, entraînant de multiples manigances dans les coulisses. Cependant, un meurtre au sein de l’Université va compliquer la tâche aussi bien des prétendants que de ceux qui veulent maîtriser le processus de désignation. Le coupable peut s’en vouloir d’avoir grippé la machine…
Si le scénario est habile et rend l’ensemble captivant, il est regrettable que ce thriller rhétorique soit trop explicatif et qu’il cède à la tentation de la multiplication des rebondissements, comme dans un film américain. Cela joue avec nos nerfs. Tant de conclusions sont possibles (au point de craindre le pire pour les personnages auxquels on s’est attaché). Tarik Saleh n’a pas fait le tri et a écrit plusieurs fins, sans doute pour créer de l’incertitude et du suspense, jusqu’au dénouement inattendu et assez convenu.
Mais le réalisateur sait tenir une caméra et nous offre quelques belles séquences (la virée nocturne dans Le Caire, l’assassinat d’un élève, entre autres) dans un film qui mise sur le positionnement des individus dans l’espace et sur leurs regards. Il assume également le procédé hitchcockien de son récit: un piège qui se referme sur l’innocent, prêt à être sacrifié par ceux qui l’ont utilisé à leurs fins. Car la fin ne justifie aucune morale mais tous les moyens. Trahisons, complot, espionnage amateur, dénonciation calomnieuse, mensonges, … Révéler les vérités s’avère une tâche ardue et même une arme que l’on peut diriger contre le messager.
Dans cet univers théologique et policier, les jeux de pouvoirs imposent méfiance, obéissance ou obédience, et malice. Une double peine pour la liberté et la pensée tant la dictature est cruelle et la foi malmenée. Reste le poids de la conscience et les lois divines qui contraignent certains au repentir ou à la résistance. Tarik Saleh ne se fait aucune illusion sur les méthodes d’une autorité armée pour protéger le pouvoir politique à tout prix. Mais il interroge aussi sur l’opacité d’une éducation religieuse qui peut conduire, certains, du côté obscur ou vers un orgueil aveuglant. Alors, en effet, le cœur et l’esprit les plus purs ne peuvent que noircir en respirant l’air vicié du pouvoir…
Fiche technique Boy from Heaven (Walad min Al Janna) Festival de Cannes 2022 - Compétition Réalisation et scénario : Tarik Saleh Image : Pierre Aïm Musique : Krister Linder Durée : 2h05 Distribution : Memento Avec Tawfeek Barhom, Fares fares, Mehdi Dehbi, Mohammad Bakri, Makram Khoury...