Marie Kreutzer faire revivre Sissi l’impératrice. Loin du glamour kitsch de la série avec Romy Schneider, le film se veut un portrait psychologique de l’épouse de François-Joseph 1er. Nous sommes en 1877 et le film va dérouler une année d’existence de cette femme singulière.
On peut tout espérer du film dès son prologue. Une incarnation remarquable de Vicky Krieps, qui ne se démentira jamais tout au long du film, une image, des décors et des costumes magnifiques qui évoquent l’hiver dépressif que traverse l’impératrice, et puis, enfin, ce splendide ralenti sur la chanson de Camille, « She was », qui nous renvoie immédiatement au Marie-Antoinette de Sofia Coppola.
La cinéaste gâche malheureusement très rapidement son ambition. Elle étouffe son personnage dans un stéréotype féminin déjà vu pour ne pas dire dénué d’originalité. Sissi la dépressive, Sissi l’anorexyque, Sissi l’exaltée, Sissi la junkie, Sissi l’éconduite, Sissi qui s’ennuie, Sissi qui rejette ses devoirs, Sissi l’imprévisible, Sissi la séductrice, etc. On a vite compris que le scénario tourne en rond autour d’une femme qui ne se remet pas du deuil d’un de ses enfants, qui suffoque dans son vaste château, qui n’en peut plus de cette vie oisive, qui ne supporte pas de vieillir, qui cherche toujours et encore, en pure narcissique, les regards admiratifs de sa beauté qui se fâne.
Triste impératrice. Solitaire et mélancolique. Toujours grave, forcément romantique au sens littéraire du terme. Son entourage est à peine exploré, hormis peut-être son mari et ses deux enfants, qui bénéficient d’un peu plus d’interactions avec elle. Les autres sont des silhouettes caricaturées. L’ennui nous gagne rapidement tant les variations s’estompent au fil des saisons et les situations se répètent, prévisibles. Malgré sa belle recherche visuelle, le portrait impressionniste devient ainsi monochrome et uniforme, sans réelle aspirité, trop lisse.
C’est joli, et on pourrait toujours palier les défauts du film en admirant le jeu subtil de l’actrice ou en acquiesçant au regard de la réalisatrice sur cette époque régit par la domination masculine et les guerres territoriales. Or le film se fracasse sur un écueil bien plus grave qui lui fait perdre sa crédibilité. Car, blasphème suprême, Marie Kreutzer nous fait croire à une véracité historique (avec des dates et des lieux qui feraient foi).
Quiconque connait la vie de Sissi (que ce soit par la série de films, Mayerling ou ce qui reste la plus grande œuvre sur elle, Ludwig : le crépuscule des Dieux de Luchino Visconti, avec Romy Schneider toujours et encore) sait que les dates et la plupart des faits racontés dans Corsage ne correspondent pas à la réalité. Rien, y compris l’épilogue, n’est vrai. La réalisatrice nous invite dans un film biographique, authentique et exact, alors que c’est une fiction mystifiée.Elle réinterprète l’Histoire et le destin de Sissi, au risque de décridibiliser le portrait qu’elle en fait. Pourquoi dans ce cas, reprendre les identités de personnages historiques là où une fiction allégorique aurait pu suffire ?
Ainsi, le film, qui étouffait déjà par manque d’oxygène, serrant de trop près son héroïne, finit par perdre son souffle en se noyant dans une tragédie factice. Corsage se résume alors à un tableau abstrait représentant une enfant gâtée et indifférente aux autres, une femme égocentrique et malheureuse.
Corsage Festival de Cannes 2022 - Un certain regard Réalisation et scénario : Marie Kreutzer Image : Judith Kaufmann Durée : 1h53 Distribution : Ad Vitam Avec Vicky Krieps, Florian Teichmeister, Colin Morgan, Finnegan Oldfield, Jeanne Werner, Manuel Rubey, Aaron Friesz