Six ans après le superbe Mademoiselle, Park Chan-wook revient avec une œuvre diamétralement différente et difficilement définissable dans sa forme. On pourrait croire à un thriller (après tout il y a meurtres et enquêtes policières), à une comédie (certains personnages sont burlesques), à un mélodrame (romantique) et même à un drame psychologique. Decision to Leave est tout cela à la fois, piochant ses mystères et hallucinations dans Sueurs froides, son goût de la manipulation et du désir dans Basic Instinct ou sa confusion des sentiments et ses abstractions dans Pierrot le fou.
L’intrigue est un polar classique : une veuve est suspectée du meurtre de son mari, le policier en charge de l’enquête tombe amoureux d’elle, l’innocente faute de preuves, jusqu’au moment où il comprend qu’il a été berné. Ce n’est que la première partie. La seconde sera assez similaire, même si la conclusion est différente, et n’ajoute rien ni dans le propos ni dans la forme. Au contraire, son montage ciselé qui donnait du rythme au début du film, avec quelques idées relativement inventives dans la mise en scène, s’évapore au profit d’un découpage très classique de film noir.
Car le cinéaste livre avant tout une histoire de passion triste (et impossible). Decision to Leave renoue avec les grands thèmes du réalisateur (la vengeance, la manipulation, la trahison, l’amour transgressif). Tel un prestidigitateur, il traite l’illusion causée par les émotions les plus intenses. L’amour rend aveugle dit-on. C’est bien le cas: plus personne ne perçoit la vérité… On ne peut que (tout) perdre à ce jeu cruel de l’amour.
De par son expérience, Park Chan-wook sait happer le spectateur : l’image est splendide, les acteurs parfaits, le récit suffisamment retors. Mais le film souffre d’un scénario systémique, qui dévide la mise en scène et le fait vriller vers un exercice de style relativement stérile et trop référencé. Au point de perdre son originalité et de se dilluer dans un mélo lent et peu captivant (un comble pour un film sur la passion). Decision to Leave n’en finit pas de finir, se complaisant dans un certain maniérisme, sans jamais se sortir de son classicisme. Il ne ménage pas son héroïne, punie et sacrifiée, sans rédemption possible. On en est encore là. Quant à l’homme, tout aussi névrosé et passablement déprimé, il n’a que ses yeux (imbibés de collyre) pour pleurer…
C’est aussi un problème de montage. Ce n’est pas que le film manque de relief, puisque toute la première partie est une sorte de grand huit épatant. Mais tout se ralentit et se dramatise dans le second chapitre, qui glisse sur sur une pente douce vers un faux plat.
Tragédie romanesque très appuyée, divertissante et artificiellement perverse, le film joue sur les dilemmes insolvables et les décisions qui peuvent s’avérer fatales. Une fois les mystères disspiés, la brume levée, il ne lui reste plus rien à raconter hormis le sentiment d’effondrement et de perte des deux amoureux. C’est en effet bouleversant. Malheureusement, à ce moment à de son récit, Park Chan-wook a déjà imposé une certaine froideur à son récit, ce qui empêche toutes les ardeurs.
Tout est cassé, tout est mort. Decision to Leave est un complot contre les statistiques, les règles et les lois entre deux complices que tout oppose. On regrette que le cinéaste n’ait pas su insuffler davantage de chair et d’émotions, d’intensité et de surprises, ensablant ainsi les sentiments (et les bonnes idées visuelles) dans un mélo sans sel.
Cependant, si ce vertige passionnel et hallucinatoire n’est pas aussi hypnotisant qu’espérer, on peut au moins savourer cette parabole sur l’amour et son usure sous un angle plus caché. Tout cela n’est finalement qu’affaire de tromperies : sur soi, sur l’autre, sur les apparences, et même sur la réalité. Tel un magicien, Park Chan-wook essaie aussi de nous tromper avec ce thriller en trompe-l’œil, à défaut d’une romance trompe-la-mort. « En définitive« …
Decision to leave Festival de Cannes 2022 - Compétition Réalisation : Park Chan-wook Scénario : Jeong Seo-kyeong et Park Chan-wook Image : Kim Ji-yong Durée : 2h18 Distribution : Bac films Avec Wei Tang, Go Kyung-pyo, Park Hae-il