Cannes 2022 | Three Thousand Years of Longing : George Miller signe une fable qui ne manque pas de génie

Cannes 2022 | Three Thousand Years of Longing : George Miller signe une fable qui ne manque pas de génie

George Miller a toujours aimer être là où on ne l’attendait pas. Cette fois-ci, loin de Mad Max et de ses films familiaux et écolos, il plonge dans la grande Histoire pour tenter de comprendre l’essence même d’une histoire. Le conte des contes. Ou plutôt la quintessance du récit qui unit l’Humain au fil des millénaires. Three Thousand Years of Longing sont ses 1001 Nuits. Il nous montre, sous l’aspect d’une fable, que depuis Homère jusqu’aux super-héros de comics, la même recette s’applique, forgeant des Dieux et des mythes nécessaires à l’humanité, notamment pour donner du sens à la vie.

Le réalisateur australien écrit une ode au pouvoir de l’imagination. À travers un magnifique duo – Tilda Swinton et Idris Elba -, on voyage dans le temps tout en restant enfermé dans une chambre d’hôtel, à Istanbul, carrefour de l’Orient et de l’Occident. Un long huis-clos (les trois-quarts du film) qui va ouvrir les portes vers un passé où l’on fait revivre la Reine de Saba et Souleymane le magnifique. Cela relève presque du tour de force de nous embarquer dans cette aventure à l’ancienne où se confrontent pulsions humaines et magie, sciences et malchance. Et pourtant, George Miller y parvient sans encombre, passant avec une aisance impressionnante, de l’intime à la fresque, du réel au féérique.

Ainsi le film dégage une poésie singulière et séduisante, une vision métaphysique du monde accessible et un humanisme lucide et compassionnel. Three Thousand Years of Longing est un film consolatoire, pour ses personnages comme pour le spectateur. La liberté que le cinéaste s’offre est incontestablement la victoire la plus éclatante sur une civilisation aliénée, en manque de foi, défiant la science, mais aussi sur une industrie du divertissement de plus en plus formatée. Dans sa douce furie délirante, il tend un miroir aux fabriquants de rêve. Depuis des millénaires, tout a déjà été raconté et imaginé. En mieux, le plus souvent. Pour étayer sa thèse, il livre une œuvre aussi érudite que touchante, riche en références que maîtrisée dans ses influences, ludique, inventive et simple à la fois.

Avec un habile sens de l’ellipse et de la transition, George Miller s’amuse visuellement pour son tour de magie. Les contes et les histoires (même celles à dormir debout) expliquaient les forces inconnues et les mystères. La science a remplacé les récits, la technologie a étouffé les imaginaires. Mais il veut encore croire que l’irrationnel a sa place et que l’art – littéraire, cinématographique, peu importe – en reste le vecteur idéal. Il ne s’agit plus simplement de compenser nos ignorances et d’être en quête de sens, mais bien de compenser nos souffrances et nos solitudes.

Déclaration d’amour à la narration, Three Thousand Years of Longing livre ainsi la quintessence même de l’épopée humaine : désirs, trahisons, pouvoirs, guerres, morts, connaissances, créations… Mais c’est bien l’amour qui en reste le fil conducteur, quelle que soit la civilisation, l’époque ou le sexe. Même si cet amour est celui d’une femme indépendante et brillante avec un être imaginaire. Car pour exister, il faut être réel aux yeux des autres. Peu importe si cet autre est un ami dessiné sur un cahier, une vision de l’esprit avec qui on dialogue dans une chambre d’hôtel, un étranger ou des voisines. George Miller rappelle que nous sommes éphémères, et que l’imagination est notre plus grand pouvoir. Mais il nous alerte aussi qu’à ne plus s’intéresser à l’autre, à ne plus nous lier à travers des récits communs, nous prenons le grand risque de disparaître. D’être oublié.