Cannes 2022 | Feu follet : une fantaisie queer hilarante, délirante (et musicale)

Cannes 2022 | Feu follet : une fantaisie queer hilarante, délirante (et musicale)

Joao Pedro Rodrigues livre une œuvre étonnante et détonnante avec ce Feu Follet insolite. Loin des drames et des errances auxquels il nous avait habitués, le cinéaste portugais signe là un film court, drôle, coloré et enchanteur. Une véritable fantaisie proprement queer (au moins ici, le sens n’est pas galvaudé), où se mêlent romance improbable, digressions politiques, allégorie environnementale, prise de conscience d’un monde en mutation. Dans ce délire invraisemblable et pourtant si cohérent, il déclare sa flamme au cinéma, maniant tous les genres, du burlesque à la comédie musicale. De quoi nous emballer.

Nous voici transportés en 2069. Le climat entraîne la planète dans le chaos. Le roi se meurt. Il se souvient… Dans les années 2010, sa monarchie en pleine dégénérescence s’attache à des us et coutumes d’un autre temps. Cette famille royale, responsable d’un lourd passé colonial, est en déliquescence. Heureusement, l’héritier, jeune altesse beau comme un Saint-Sébastien, veut devenir pompier pour sauver cette maison qui brûle. C’est un conte de feu plus qu’un conte de fée, même si notre bel aristo, qui a l’érection facile devant des arbres phalliques remplis de sève, croisera sur son chemin un prince charmant au destin inimaginable…

« Béni soit l’accord de Paris« 

Voilà pour le récit. De là Joao Pedro Rodrigues construit une fiction aussi absurde que flamboyante, convoquant Demy, les grands peintres, Buster Keaton, Walt Disney, Capra, Guiraudie, etc. Dans cette lutte entre monarchie et république, entre racines royales et arbres incendiés, les dialogues jouent avec l’actualité. La « racaille socialiste » a encore frappé et se moque d’une famille royale qu’il ne faut pas confondre avec un cinéma du réel. Nous sommes dans un mash up déjanté. Ici, notre héritier du trône récite le discours de Greta (How dare you, darling?), invite le wokisme, le décolonialisme et la cancel culture. Le tout au milieu de pompiers, tous (hormis la cheffe) des Apollons en jockstrap. Des bombes sexuelles qui jouent les Bombeiros (pompiers en portugais, ndla).

Passée la pipe du pompier façon Caravaggio (et autres positions du kamasutra qui donnent un autre angle aux grands tableaux de la Renaissance), le réalisateur continue son rêve hallucinatoire, surréaliste à certains moments, qui nous fait basculer de l’opéra à l’electro, de l’érotisme le plus suggestif à la grivoiserie la plus assumée. C’est le bal des folles en pleine apocalypse.

La force de cette comédie engagée, libre, légère en apparence mais bien plus profonde dans son sous-texte, est bien de suivre un récit linéaire (l’histoire d’amour entre deux pompiers) tout en divaguant hors des sentiers battus. Ça semble foutraque mais c’est beaucoup plus maîtrisé que bien des fictions actuelles. Joao Pedro Rodrigues aime la douce provocation, celle qui peut encore choquer le bourgeois (comme cette scène de sexe extravagante, litres de foutre compris). Mais tout son propos est clairement un cri d’alarme, pointant les responsabilités du désordre politique et du dérèglement climatique sur une élite coupée du monde, tout en espérant que l’avenir appartiendra à la génération suivante et aux populations jusqu’ici dominées.

« Croyant se venger des ancêtes colonialistes en offrant son petit cul blanc à des noirs…« 

Feu follet est un feu d’artifice qui plaide pour la biodiversité (sexuelle, sociale, ou cinématographique). Requiem d’un monde dévasté par la cupidité, l’égoïsme et l’avidité, cette oraison funèbre (après tout entre les épidémies et les maladies, il y a de quoi finir décimé) est tout autant un acte de foi en l’humain. Plutôt que de se prendre au sérieux ou de nous déprimer, le cinéaste a opté pour un « space cake » hilarant qui nous fait voir des pompiers sexys et un roi décrépi réinterprétant la Piéta de Michel-Ange. Ô Fantasmes! En effet, si le cinéma de Rodrigues a toujours été inventif, il atteint ici sa quintessance dans l’imagination d’un artiste qui, plutôt que de s’appitoyer sur notre sort, préfère nous réveiller avant notre mort. Ce qui n’empêche pas d’être gai (avec un i, ndla), de chanter, danser, baiser au milieu des flammes de l’enfer. Surtout s’il y a des pompiers dénudés…

Feu follet
Festival de Cannes 2022, Quinzaine des réalisateurs
Sortie en salles le 14 septembre 2022
Réalisation : Joao Pedro Rodrigues
Scénario : Joao Pedro Rodrigues, João Rui Guerra da Mata
Image : Rui Poças
Chorégraphe : Madalena Xavier
Durée : 1h07
Production : Terratreme Filmes, House on Fire, Filmes Fantasma
Distribution : JHR films
Avec Mauro Costa, André Cabral, Joel Branco, Oceano Cruz, Margarida Vila-Nova, Miguel Loureiro