Cannes 2022 | Le bleu du Caftan, l’amour comme une caresse

Cannes 2022 | Le bleu du Caftan, l’amour comme une caresse

La délicatesse à l’état pur. Celle des sentiments, bien sûr. Mais aussi celle d’une histoire d’amour généreuse et bienveillante, loin d’être conventionnelle. L’actrice et réalisatrice Maryam Touzani continue de montrer avec nuances et empathie les gens en marge dans la société marocaine, après le très bon Much Loved (une prostituée de Marrakech) et Adam (une femme enceinte mais sans mari).

Avec Le bleu du Caftan, au cœur de la médina de Salé, elle s’aventure sur le terrain de la fluidité amoureuse, tant avec la place de la femme dans une société profondément machiste qu’en décalant son regard sur l’homosexualité dans un environnement traditionnellement homophobe.

Cela aurait pu être casse-gueule, moralisateur et enseveli de pathos. La sensibilité de la cinéaste et l’amour sincère qu’elle éprouve pour ses trois personnages évitent tous les pièges de ce drame. Un couple fusionnel, complice, déjà dans l’âge mûr, artisans précis et perfectionnistes, accueille un jeune et bel apprenti. La femme (Lubna Azabal, merveilleuse et juste), méfiante et pas dupe, sait ses jours condamnés par la maladie. Elle ne cherche pas seulement à sauver la boutique. Elle se prend aussi à espérer que son mari trouvera le bonheur après son grand départ. Son époux (Saleh Bakri, touchant par sa mélancolie et son intériorité), profondément amoureux, mais enfouissant quelques pulsions le rendant malheureux, est un taiseux qui ne consacre sa vie qu’à sa femme, son métier en voie d’extinction et un passage au café pour s’aérer les idées. Un homme moderne, pas macho, qui ne va pas pouvoir résister au charme de ce jeune homme qui débarque dans leur vie (Ayoub Missioui qui sait capter la lumière à l’ombre des deux comédiens). Se formera alors un trouple, d’abord étrange puis complètement assumé, où la générosité et la transmission l’emporteront sur les jugements et le conformisme d’une société très conservatrice.

Transmissions

La réalisatrice sublime ses comédiens comme elle transcende à l’image la beauté et la sensualité des tissus soyeux ou satinés. Tout le film mise sur des jeux de regards, des gestes méticuleux en gros plans, des silences et des séquences dévoilant avec grâce les sentiments ou les émotions. Maryam Touzani réussit même à créer une tension érotique sans mot dire. Car son récit est bien celui de maudits. Des hammams à des lieux de rencontres cachés de tous, la peur et le désir se confrontent au risque et aux contradictions humaines.

L’amour n’est pas un long fleuve tranquille. Les carapaces sont lentes à se fêler… La liberté est difficile à conquérir. De petites bravades vitalisantes en fatalisme, leur histoire, fatalementt dramatique, mais pas forcément tragique, est une succession de souffrances, de combats et de petits bonheurs simples comme le goût d’une mandarine. De l’apprentissage d’un métier à l’apprivoisement des êtres, le film est affaire de transmissions…

En quittant l’atelier-magasin pour l’appartement, situé un étage plus haut, Le bleu du Caftan s’aventure dans un autre environnement. Il devient bouleversant, sans appuyer sur la corde mélodramatique. À bas bruit, et tout en pudeur, il s’élève vers l’admiration de la cinéaste pour ce trio fragile et fort à la fois, partagé entre la douleur et la douceur, les rires et les pleurs. À l’abri des regards, ce trouple s’évertue à chasser le malheur en ouvrant leurs cœurs.

Pendant ce temps, le caftan, qui exige d’être minutieux et patient, avance. Linceul bleu et cadeau d’adieu. Mais aucun blues et pas le moindre désespoir car Maryam Tazouni nous a emmener dans une belle histoire où l’amour triomphe de tous les côtés. Discrètement, mais non sans panache.