Rencontres photographiques d’Arles | Sept expositions à voir absolument

Rencontres photographiques d’Arles | Sept expositions à voir absolument

De la photo au cinéma, il n’y a que le mouvement qui diffère parfois. Les Rencontres d’Arles foisonnent de propositions qui irriguent les arts visuels – cinéma, jeu vidéo, … -, le spectacle et la mode. L’occasion, pour une fois, de se pencher sur quelques signatures, vétérans respectés ou jeunes talents prometteurs, en composant avec la diversité des techniques et des supports.

James Barnor : Stories. Le portfolio 1947-1987. Luma.

Le photographe ghanéen a les honneurs d’une grand eet belle rétrospective à Luma. Ses clichés en noir et blanc de son pays décolonisé rappelle les photos du malien Malick Sidibé (dont Robert Guédiguian s’est inspiré dans son dernier film Twist à Bamako). Des scènes du quotidien, des photos plus officielles, des portraits en tous genres forment ainsi un portfolio d’une Afrique en quête de modernité (la voiture est omniprésente, les tenues souvent très élégantes). Il poursuit son travail à Londres avec la diaspora ghnéenne donnant aux swinging sixties un style moins caucasien. Monument dans son art, James Garnor deviendra même l’ambassadeur commercial d’Agfa pour réaliser les premières photos en couleur dans son pays avant de devenir le photographe officiel du gouvernement. Par son ampleur et sa splendeur, l’exposition révèle avant tout une africanité trop rare au cinéma, tout en sublimant son pays, ses habitants ou ses artistes mis à l’écart par l’histoire de l’art contemporaine.

Un monde à guérir : 160 ans de photographies à travers les collection de la Croix-Rouge. Palais de l’Archevêché.

Guérir et le montrer. La Croix-Rouge est un emblème connu de tous, y compris aux cinéphiles. Le cinéma a souvent utilisé ses services dans des films de guerre (Dunkerque, La chute du faucon noir, Le patient anglais, Cheval de guerre, Hotel Rwanda ou encore Radioactive, Un long dimanche de fiançailles, Gallipoli, etc.). En suivant le parcours de cette exposition prolifique en images, on constate aussi que les cinéastes se sont souvent emparés des images produites par l’association médicale internationale jusqu’à être parfois influencés par elle. Il est confondant de constater que certains clichés semblent sortis tout droit d’un film. Cette exposition, qui célèbre les 160 ans de l’organisme, traverse l’Histoire moderne, ses conflits et ses horreurs. C’est à la fois un outil d’illustration et de transmission. Il était nécessaire de montrer les moyens (humains et techniques), les risques encourus et bien entendus les victimes. D’une part, ce sont des clichés inestimables pour garder en mémoire les conséquences des conflits ou des catastrophes. D’autre part, la Croix-Rouge, qui dépend aussi des dons de particuliers, en a fait une propagande pour informer, alerter, interpeller les citoyens (occidentaux principalement). Ainsi, on comprend mieux que les personnages principaux de cette série d’images soient des infimières et des enfants. Quoi de plus touchant? Orphelins, amputés, prisonniers, exilés, affamés, assassinés : les individus sont la traduction de tous les maux du monde. Aucune image ne peut les guérir, hélas.

Lee Ufan Requiem 2022. Alyscamps.

Pour apaiser nos âmes torturées ou malmenées par l’actualité, il suffit d’aller se promer aux Alyscamps, nécropole arlésienne ombragée à deux pas du centre. L’artiste Lee Ufan y expose quelques unes de ses œuvres qui répondent en écho aux vestiges et au cadre qui les entourent. Le minimalisme s’intègre parfaitement au lieu. Et pour cause, Lee Ufan, côté sculptures, est un orfèvre de la matière : il apprivoise l’eau, l’air, la pierre, tord l’acier et joue entre vraies et fausses ombres, exploite les formes et le mouvement, dans un seul élan. Un geste grâcieux et atemporel qui donne à ces créations minérales et matérielles un sentiment de plénitude et de beauté à contempler. Le dialogue qu’il créé avec l’environnement produisent un effet troublant où l’art contemporain s’efface pour fusionner avec la nature et le passé. Cette expérience spirituelle peut se prolonger avec la visite de la toute nouvelle Fondation Lee Ufan Arles, dans le vieux centre-ville, où sont aussi exposées ses peintures : là encore, le maître joue les prodige avec ses coups de pinceau, qui, malgré la complexité et l’intention, produisent des toiles hypnotiques.

Romain Urhausen. En son temps. Espace Van Gogh.

On connaît Doisneau, Weis, Depardon, Arbus ou encore Ronis. Le luxembourgeois Urhausen est une belle découverte pour ceux qui aiment à la fois la photographie réaliste et la photographie abstraite. Ses clichés sur le quartier des anciennes Halles de Paris sont saissantes (et à déconseiller aux végans), provoquant une véritable empathie sincère pour ce monde prolétaire oublié. Son travail a ensuite dévié vers un modernisme moins figuratif, entre architectures, qui rappelle la peinture allemande des années 1920, et images expérimentales. Jusqu’à s’amuser dans une série d’autoportraits légèrement déjantés… Cette variété dans l’inspiration en fait l’une des expositions les plus inattendues et les plus intéressantes des Rencontres.

Ritual Inhabitual. Forêts géométriques. Luttes en territoire Mapuche. Chapelle Saint-Martin du Méjean.

Sans aucun doute l’exposition la plus engagée. Ode au vivant – peuples autochtones, flore et terres sauvages -, cette étude ethnographique en images opposent un peuple ancestral aux colons capitalistes. Une ZAD qui s’étend sur des milliers de kilomètres carrés au sud du Chili, où se confrontent violamment les Mapuches et le « système » militaro-industriel. Deux visions du monde activistes : l’un veut protéger, sauvergarder, préserver, jusqu’à se rebeller ; l’autre veut détruire, exploiter, occuper, jusqu’à tuer. Les gardiens du temple vert sont considérés comme des terroristes par les prices de la pâte à papier. Mais les anéantisseurs d’une culture et d’une nature portent la lourde responsabilité d’un dérèglement de l’environnement – pour ne pas dire un écocide – au nom d’un consumérisme amoral. Reste de tout cela l’étrange impression de voir les archives d’un peuple oublié et de plantes décimées alors que le combat est toujours vif pour sauver la biodiversité.

Noémie Goudal. Phoenix. Eglise des Trinitaires.

Alors que les déséquilibres climatiques se font durement ressentir – et à Arles, en été, mieux vaut être à l’ombre dans les lieux d’exposition – l’artiste propose des photos et deux installations animées autour d’une planète qui vit un temps géologique, loin du temps humain. Une jungle qui brûle et une nature qui s’effondre, et tels des phoenix, elles renaissent de leurs cendres. Comme si les images d’un film d’Apitchapong Wheerasethakul se décomposaient sous nos yeux dans une hallucination fantastique. Ici, le mouvement est perpétuel, les pôles glacés s’entremêlent avec la végétation luxuriante. C’est une respiration continuelle, où ce qu’on inspire est expiré. Ce jeu d’illusions optiques produit une émotion presque dramatique qui ramène le spectateur hypnotisé à sa dimension infinitésimale.

Rahim Fortune. Je ne supporte pas de te voir pleurer. Eglise des Frères Prêcheurs.

Lauréat du Prix Découverte Louis Roederer, le jeune photographe méritait amplement son prix face à la concurrence. En une quinzaine de photos, il raconte en parallèle deux racits : un deuil familial, celui du père, et une Amérique fracturée, du côté des marginaux. Il alterne ainsi les portraits et les scènes de vie, les décors « cinématographiques » d’un Texas vulnérable, la beauté des gens ordinaires. Loin de l’American Dream. Profondément intimes, ses clichés documentaires font écho à l’actualité (Covid, meurtre de George Floyd) et tentent de panser les plaies d’une société qui disparaît sous ses yeux, comme une jeunesse s’efface avec le temps, et d’une communauté qui résiste, dans une humanité confondante.

Bonus : Le voile interposé. Couvent Saint-Césaire.

Une triple exposition immersive qui explore les métavers, les deepfakes, les caméras omniprésentes (celles de surveillance comme celle de télévision ou de smartphone), les univers virtuels et autres NFT (œuvres numériques). Bref, l’image de demain, celle qui trafique notre perception, transforme la réalité, ou encore tord le concept de fantastique/fantasy/fantasme.

Retenons la création du collectif Obvious (Hugo Vaselles-Dupré, Pierre Fautrel et Gauthier Vernier), montage épileptique d’animes japonais et de films SF, passant de Spielberg (Minority Report, Ready Player One) à Blade Runner, Matrix, Total Recall, Eternal Sunshine of the Spotless Mind ou Kafka. C’est une déconstruction de l’image par l’image. La société en devient aliénante, transparente au point de ne plus avoir de vie prévée, apocalyptique jusqu’à nous perdre dans un irrréel vertigineux et séduisant. Plus qu’une immersion, on reste scotchés à l’écran au point de le traverser comme dans un mirage cinématographique.