Cannes 2022 : Irma Vep, Olivier Assayas refait son film en série

Cannes 2022 : Irma Vep, Olivier Assayas refait son film en série

La section ‘Cannes Premières’ du Festival, vitrine pour y montrer les nouvelles oeuvres de cinéastes pour la plupart français, présentait cette année les films de Rachid Bouchareb, Emmanuel Mouret, Dominik Moll, Serge Bozon mais aussi Olivier Assayas. Venu pour promouvoir sa série télé Irma Vep, il a diffusé un montage des premiers épisodes en guise de découverte. Il y en aura au total 8 qui sont visibles cet été sur HBO (qui lancera sans doute sa plateforme HBO Max en Franc ene 2023) et sur OCS en France (qui, privé des contenus d’HBO, devrait être bientôt racheté par Canal + selon plusieurs sources).

C’est une véritable curiosité : Olivier Assayas avait présenté au Festival de Cannes de 1996 (en sélection ‘Un Certain Regard’) son film Irma Vep avec en vedette Maggie Cheung.

Le retour de Irma Vep en format série est une sorte de mise en abyme du personnage vampirique de Louis Feuillade (1915). Avec, en vedette Alicia Vikander, il s’agit d’un reboot de sa propre fiction : c’est la même histoire, rejouée par d’autres interprètes, mais dans une version bien plus longue.

Irma Vep : refaire le film en format série ?

Quand arrive le film en 1996, Assayas est déjà un scénariste et un réalisateur respecté dans le circuit art et essai. Le projet Irma Vep était déjà à l’époque une sorte de bilan de ce qu’il aimait bien faire : mettre en scène des jolies séquences en essayant de se détacher de la rigidité d’un scénario trop construit. Irma Vep est surtout son fantasme de fétichiste qui lui permet de réunir sur l’écran l’icône Jean-Pierre Léaud comme marqueur de ‘La Nouvelle Vague‘ (dans les films de François Truffaut, Jean-Luc Godard, Jacques Rivette, Jean Eustache…) et, en tant que grand fan précurseur du cinéma asiatique, la star Maggie Cheung (la belle héroïne des ‘films kung-fu de Hong-Kong‘ qui tournait avec Jackie Chan, Wong Kar-wai, Tsui Hark, Stanley Kwan, Johnnie To…).

Le prétexte est vite trouvé : l’histoire sera celle de Maggie Cheung, qui joue son propre rôle, celui d’une des plus grandes vedettes du cinéma asiatique, débarquant à Paris, pour interpréter Irma Vep, le personnage qu’avait créé autrefois Musidora, dans un remake des « Vampires », le célèbre serial réalisé par Louis Feuillade entre 1915 et 1916. Bien sûr, elle ne parle pas un mot de français, et chacun autour d’elle sera réduit à un anglais approximatif pour se faire comprendre. En particulier le réalisateur, René Vidal, qui voit en elle l’unique possibilité d’une Irma Vep moderne… Soit un film qui raconte le tournage d’un film, avec l’illusion d’un vrai-faux documentaire. Federico Fellini avait fait son Huit et demi, Vincente Minnelli Les ensorcelés, François Truffaut La nuit américaine (avec Jean-Pierre Léaud), Stanley Kwan Center stage (avec Maggie Cheung) : à son tour Assayas réalise donc son tournage d’un tournage de film, genre qu’il reproduira en 2014 avec Sils Maria sur les coulisses d’une pièce de théâtre qui se prépare.

Avant il faisait des bons films, mais maintenant je ne sais pas. Il a d’autres choses en tête, je ne sais pas quoi. Ce remake des ‘Vampires’, peut-être que ce sera bien. Je dis : peut-être. Mais pourquoi faire ce qui a déjà été fait ? Pourquoi ne pas faire des films plus personnels ?

Zoé (Nathalie Richard) à propos de René Vidal (Jean-Pierre Léaud), dans Irma Vep – 1996.
Alica Vikander – Mira, dans Irma Vep – 2022

Avec la série, l’histoire de Irma Vep est, dans les grandes lignes, presque identique. Cette fois-ci Alicia Vikander (aussi à l’aise dans les blockbusters que dans les films d’auteurs européens) remplace Maggie Cheung. Le réalisateur fictif René Vidal prend les traits de l’éclectique Vincent Macaigne, tout en étant aussi devenu l’alter-ego de Assayas lui-même. Fort justement, la série s’interrogera sur la nécessité de refaire encore un tournage de Irma Vep. Logiquement, le récit de la série 2022 évoquera le film de 1996 qui existe aussi bien pour ses personnages que pour nous spectateurs. Mira (Alicia Vikander) est une star de cinéma désabusée à la fois par sa carrière et sa rupture récente. Elle arrive en France pour incarner Irma Vep dans un remake du classique français du film muet, «Les Vampires». Au fur et à mesure du tournage, Mira réalise que les frontières entre elle-même et le personnage qu’elle joue commencent à s’estomper et à fusionner. Irma Vep explore les limites ténues entre la fiction et la réalité, l’artifice et l’authenticité, mais aussi l’art et la vie.

A cette fiction dans la fiction, s’ajoute l’autofiction. En effet, la série aborde la réalité biographique du cinéaste, soit la fin de sa relation amoureuse avec Maggie Cheung… La série comporte bien plus de personnages (dont des tout petits rôles joués par des acteurs connus) mais la structure de l’histoire reste la même. Le film de 1996 était davantage porté sur l’acte de création d’un film jusqu’au moment où le réalisateur, plein de doutes, disparaît durant le tournage. Cela arrive aussi dans la série de 2022 mais l’intrigue se focalise un peu plus sur les diverses difficultés relationnelles de l’actrice (et ses diverses romances possibles).

Alica Vikander – Mira, dans Irma Vep – 2022

Au fond Irma Vep ne fait que raconter ça : La grâce est venue, elle est passée, qui l’a vue, qui ne l’a pas vue, y compris le spectateur.

Olivier Assayas, à propos du film Irma Vep de 1996.

Irma Vep : récréation autour d’un ‘Assayas meta-verse’ ?

La série est pleine de name-dropping de stars avec au générique Thurston Moore (Sonic Youth) pour la musique, Nicolas Ghesquière (Louis Vuitton) pour le costume iconique d’Irma Vep (le velour noir a bizarrement été préféré au cuir sexy de 1996), Angelin Preljocaj pour les chorégraphies, et même Kristen Stewart pour un petit caméo.

A l’image Assayas a réuni un large casting hétéroclite avec de nombreuses figures de ses films précédents : un générique qui comprend Nora Hamzaoui, Pascal Greggory, Antoine Reinartz, Sigrid Bouaziz, Adria Arjona, Lars Eidinger, Valérie Bonneton, Dominique Reymond et Jeanne Balibar. Alex Descas est le seul membre à reprendre son rôle du film de 1996. La ‘famille’ des acteurs français d’Assayas se retrouve donc mélangée à un cast très international qui parle anglais : le britannique Tom Sturridge, les chinoises Vivian Wu et Fala Chen, l’américaine Carrie Brownstein et la révélation Devon Ross.

Si le rythme des 8 épisodes est parfois inégal la série Irma Vep repose beaucoup sur la diversités de ses nombreux personnages. Assayas s’attarde un peu trop longtemps à re-créer des séquences du feuilleton muet Les Vampires de Louis Feuillade. Chaque épisode contient glissé ici où là un dialogue à propos de l’évolution de cinéma actuel (franchise de super-héros, plateformes de streaming, célébrité qui fait de la pub pour des cosmétiques…). Au fur et à mesure se développe une réitération avec l’histoire du tournage et l’histoire que raconte le tournage jusqu’à se fondre ensemble : René Vidal jouant Louis Feuillade et Mira rejouant Musidora, Vincent Macaigne incarnant Olivier Assayas et Vivian Wu parodiant Maggie Cheung.

C’est cette spirale de fictions qui rend la série séduisante et étourdissante.

https://www.youtube.com/watch?v=lIgXxa-cwio

La série Irma Vep est un exemple de production hors-norme : c’est parlé moitié en français/moitié en anglais, c’est une sorte de remake d’un film français avec un tournage en France avec la star Alicia Vikander, et derrière il y a le financement de distributeurs américains d’envergure (A24, HBO). C’est tout à fait passionnant pour qui a déjà vu le film original, et intriguant pour les autres. Et c’est un nouvel exemple où le format série vient brouiller les frontières avec le cinéma…

Les épisodes ont été diffusés de manière progressive, et le dernier épisode est visible depuis le 26 juillet sur OCS en France.