Michel Berger : un rendez-vous manqué avec le cinéma

Michel Berger : un rendez-vous manqué avec le cinéma

30 ans qu’il a disparu, foudroyé sous le soleil de Saint-Tropez, épuisé par sa boulimie de travail (un album avec France Gall, une préparation de tournée, la version américaine de Starmania…), ses voyages, et trois décennies à composer, écrire et produire des tubes, des opéras-rock, des musiques de films. Michel Berger est, avec Serge Gainsbourg, celui qui aura révolutionné la chanson française à l’aube des années 1970. Mais Gainsbourg aura au moins eu le temps de ne pas laisser passer ses rêves de cinéma en tant que comédien mais aussi réalisateur de cinq films (dont un court métrage) presque expérimentaux (tous des fiascos) et une dizaine de clips vidéos. Sans compter la presque trentaine de bandes originales de films (dont cinq nommées aux César).

Le palmarès visuel de Michel Berger est beaucoup plus anodin, malgré sa passion pour le cinéma. Frustré par un succès qui ne s’internationalise pas, aspiré par ses rêves de jeunesse où l’Amérique était encore un eldorad, l’artiste souhaitait même réorienter sa carrière vers la caméra plutôt que de la passer derrière piano. Il commence donc à réaliser quatre clips pour sa femme, France Gall (« Babacar », « Papillon de nuit », « Evidemment », « La chanson d’Azima ») issus de « Babacar », l’album certifié diamant.

Mélodiste recherché, arrangeur respecté, le cinéma a quand même fait appel à lui pour écrire des partitions pour des films ou même des publicités.

Il compose ainsi les BOF de Mektoub d’Ali Ghalem, de Sérieux comme le plaisir de Robert Benayoun, ou encore du court métrage de Magali Clément, L’amour est blette. Mais ses deux meilleures BO restent celles de Tout feu, tout flamme de Jean-Paul Rappeneau (toute en élans légers) et de Rive droite, rive gauche de Philippe Labro (mélancolique et sombre).

Evidemment, le cinéma (et pas seulement français) a beaucoup pioché dans ses chansons. « Le blues du businessman » dans Itinéraire d’un enfant gâté de Claude Lelouch et Place publique d’Agnès Jaoui, « Résiste » dans On connaît la chanson d’Alain Resnais, « Message personnel » dans 8 femmes de François Ozon et All eyes Off Me de Hadas Ben Aroya, « Mais aime-là » dans L’écume des jours de Michel Gondry, « Ziggy » dans Aline de Valérie Lemercier, « Les princes des villes » dans Bac Nord de Cédric Jimenez, « Il jouait du piano debout » dans Lara Jenkins de Jan-Ole Gerster, etc.

Comme France Gall, et contrairement à leur ami Johnny Hallyday, être devant la caméra ne l’intéressait pas. Il n’a été figurant que dans Paris brûle-t-il? comme chef des explosifs (non crédité). Mais au début des années 1990, après le carton international et primé de l’album Babacar pour son épouse et la sortie de son dernier album Ça ne tient pas debout (et son prémonitoire « Paradis Blanc »), l’artiste fait sa crise de la quarantaine. Toujours officiellement marié à France Gall et résidant près du Parc Monceau, Michel Berger est tombeux amoureux d’une Top model allemande et veut s’installer à Los Angeles. Il n’aura le temps que de faire un album, « Double jeu », où désormais France Gall coproduit et joue la cheffe, reprenant son destin en main, sans savoir que deux mois après la sortie du disque, elle devra assumer l’héritage en solitaire.

Michel Berger a de toute façon la tête ailleurs. Il sait que France Gall souhaite arrêter sa carrière pour s’occuper de leur fille, atteinte de mucoviscidose. Il a une double vie mais cherche à s’évader ailleurs, en Californie, pour y faire carrière. C’est à cette époque, qu’il rencontre Jacques Kerchache, collectionneur en arts premiers (il est à l’origine de l’idée du Musée du quai Branly). La passion de Berger pour la culture améridienne (et grand collectionneur des photos de l’anthropologue Edward Curtis) et les réflexions de Kerchache sur l’égalité des œuvres artistiques dans l’Histoire et la place de l’artiste dans les sociétés toutes civilisations confondues, provoquent l’écriture à quatre mains d’un film, Totem. Il voulait savoir si le langage de l’image pouvait être sa nouvelle manière de toucher un public plus large. Le financement est même bouclé. Le décès de Michel Berger scellera le destin de ce scénario. Ni France Gall, ni leur fils, Raphaël, ne poursuivront cette aventure ou une autre, comme aurait pu l’être une adaptation cinématographique de Starmania. Au moins l’opéra-rock (et usine à tubes) revient sur scène en novembre à Paris. De quoi nous montrer pourquoi ses paroles étaient si visuelles…