Jean-Luc Godard : Passion(s) du cinéma

Jean-Luc Godard : Passion(s) du cinéma

Jean-Luc Godard est mort. Il avait 91 ans. C’était le dernier pilier de la Nouvelle Vague. Un monument du 7e art par ce qu’il lui a apporté. Un Roi reclus en Suisse, fatigué de la vie, des cérans, du langage. A lui tout seul, il a voulu faire la récolution du cinéma. Il laisse une œuvre éparse, éclectique, mêlant chefs d’œuvres et films incompris, expérimentations audacieuses et audaces narratives épatantes. Son nom claquait comme un mythe. Une icône invisible que l’on voulait tous approcher une fois. Même Varda (avec JR) dans son Visages Villages s’y casse les dents : il n’ouvre pas à sa vieille amie….

L’absolu cinématographique

Godard. Que dire de Jean Luc Godard ? L’entreprise est ardue puisque le réalisateur est peut-être la figure la plus complexe et la plus innovante du cinéma depuis plus de soixante-dix ans. Complexe, car prolixe, expérimental, évolutif, toujours en avance et souvent métaphysique, tant au niveau du discours que de l’image.

Que l’on parle des premiers courts des années 50, de la période romanesque des années 60 (avec les films autour d’Anna Karina, de Brigitte Bardot, de Jean-Pierre Léaud et Jean-Paul Belmondo), de la période des années 70, partagées entre les années politiques (avec le groupe Dziga Vertov), et les années vidéo (souvent en collaboration avec sa compagne Anne-Marie Miéville), ou de celle des années 80 et 90, avec un retour aux films de cinéma à proprement parler, le travail de Godard a toujours gardé une même ligne directrice : celle de la recherche cinématographique, de l’art du fragment pour aller au delà de ce que le cinéma donne à voir. Il ira jusqu’au bout de cette recherche d’un cinéma perdu, avec sa série Histoire(s) du cinéma et ses derniers films, présentés à Cannes, Film socialisme, Adieu au langage et Le livre d’image, il y a quatre ans.

Bien sûr, certains disent que la seule période godardienne s’apparentant au vrai cinéma (de « vrais » films avec des vraies histoires et des personnages psychologiquement palpables) reste celle des années 60. Néanmoins, à bien regarder, et même si évidemment, la dimension fictionnelle est plus facile à appréhender et plus proche du cinéma classique dans la première période godardienne, la démarche première du cinéaste est déjà là : l’accent mis sur chacune des composantes d’un film, à savoir l’image, le son, la parole. Parce que Godard ne s’arrête pas à un scénario (bien au contraire puisque le scénario est souvent chez lui évolutif et prend tout son sens dans le développement du film, du tournage jusqu’au montage). Son propos est au delà. Car son cinéma est toujours en quête de la vérité des choses et des êtres, comme l’illustre un dialogue du Grand escroc (1963) : « – Pourquoi me filmez-vous comme ça ? – Je ne sais pas… parce que je cherche quelque chose de… la vérité« . C’est un peu comme s’il prenait chacun des éléments du film pour le disséquer, le maltraiter, l’utiliser à contre-courant pour lui donner un sens nouveau et appréhender l’essence cinématographique et humaine.

L’art de la déconstruction

Dans la quasi totalité de ses films, Jean-Luc Godard semble très éloigné de tout académisme, quelques soient les stades de la réalisation.

Pour commencer, ses scénarii sont souvent évolutifs. Même s’ils existent de façon détaillée au départ (et il le faut bien pour obtenir des financements), la version initiale est souvent très différente du résultat final. Ainsi par exemple, A bout de souffle évolue fortement entre le projet (« en gros, le sujet sera l’histoire d’un garçon qui pense à la mort et celle d’une fille qui n’y pense pas« ) et le tournage. Jusqu’à ce qu’il en tourne la fin, il ne sait absolument pas si Michel Poiccard va mourir ou non. Chaque matin, il écrit avec précision les scènes qu’il va tourner dans la journée. C’est en partie pour cette raison que l’actrice Jean Seberg, effrayée par ce qu’elle pense être de l’amateurisme, est, à un moment donné, sur le point de quitter le tournage.

De cette façon de procéder (création permanente et in extremis) ressort une impression de performance. On a le sentiment d’être face à une construction qui s’apparente au cinéma expérimental. De plus en plus dans les films de Godard, on suit des personnages, des voix , la vie, des questionnements, et le scénario devient de plus en plus difficile à appréhender dans une dimension classique (une vraie histoire simple avec des personnages palpables).

Avec la mise en scène, Godard amplifie ce côté  » non classique « . Il utilise largement les ruptures de rythme, l’art de la fragmentation afin de mettre chaque plan en valeur.

Sa façon d’appréhender les personnages est également particulière. Dès le début, et de plus en plus au fil de ses films, il leur fait adopter une diction automatique qui donne un côté déshumanisé et qui met en relief le sens du texte et des scènes filmées. On retrouve souvent le procédé de distanciation qui contribue à mettre le spectateur dans une position critique et qui le pousse à percevoir les scènes d’une manière différente, moins passive. Par exemple, dans Made in USA, Lazlo Szabo regarde droit la caméra alors qu’Anna Karina fait les cent pas devant lui. Il énonce clairement d’une voix monocorde : « Je suis là, avec mon costume noir et ma cravate de couleur. Et je lui dit que j’ai encore pas mal d’amis au pouvoir… « . Ce procédé, alors surprenant, interpelle. On le retrouve encore dans Pierrot le fou, lorsque Belmondo parle à la caméra (« Vous voyez : elle pense qu’à rigoler !« ), ou encore dans A bout de souffle (« Si vous n’aimez pas la mer… si vous n’aimez pas la montagne… si vous n’aimez pas la ville… allez vous faire foutre !« ).

Concernant les images, Godard adopte encore un point de vue particulier : des cadrages souvent étonnants (des personnages apparaissant dans un coin de l’écran, comme parfois dans Made in USA), des à-plats de couleurs vives (Pierrot le Fou, Made in USA…), des mots filmés en gros plan comme pour mettre en valeur les thèmes énoncés dans les scènes (des néons clignotants, des panneaux ajoutés à la manière des films muets comme dans Bande à part, Histoire(s) du Cinéma, ou encore dans Hélas pour moi, des titres de livres pour dialoguer comme dans Une femme est une femme).

Le son participe aussi de cette « marque de fabrique » cinématographique. On retrouve souvent des bruits extérieurs (sonneries, avion, voiture…) qui couvrent la parole, des discours qui se chevauchent tels la strette d’une fugue, des voix off qui se superposent aux bruits des scènes ou au contraire qui les couvrent parfaitement, des monologues où l’on ne voit que celui qui écoute, des chansons entières qui remplacent les sons d’une scène (Bande à part), un générique sonore à la place d’un générique écrit (Le Mépris), des thèmes musicaux omniprésents (musiques de Duhamel, Delerue) …

Quelque soient les techniques cinématographiques, c’est comme si Godard cherchait à ne pas montrer les choses telles qu’on a l’habitude de les voir, comme s’il voulait maltraiter chaque composante afin de créer davantage de sens et de profondeur. On a parfois rapproché le cinéma de Godard et le free jazz. Parce que c’est peut-être un peu du free cinéma : maltraiter les règles établies pour en sortir du neuf, du vrai. Avec lui, rien n’est jamais acquis. Et cette remise en question permanente est sûrement pour beaucoup dans l’évolution du cinéma.

Il est ainsi assez difficile de rentrer dans un de ses films. Comme le dit justement Jacques Villeret : « Quand je vais voir son dernier film (Soigne ta droite), j’ai parfois du mal à suivre, j’ai l’impression de mal comprendre, je m’accroche, puis à la sortie, quand je me retrouve au bistrot ou au restaurant, j’ai tout à coup l’impression de vivre du Godard : cette scène c’est lui qui l’a faite. Je trouve que dans la vie, on vit souvent du Godard« .

Parce que Godard reste difficile à décrypter immédiatement, dans une première approche. Le réalisateur ne peut pas montrer par une simple fiction des éléments simples de la vie : il passe la plupart du temps par des ellipses savantes qui peuvent sembler sibyllines. C’est ainsi qu’il lui faut Fritz Lang et l’Odyssée pour filmer une femme qui en vient à mépriser son mari (Le Mépris), l’intervention de Dieu et d’une pléiade de personnages pour parler de l’intimité d’un homme et d’une femme (Hélas pour moi) ou la Résistance et les usines Renault à Billancourt pour montre les quatre âges de l’amour (Eloge de l’amour).

Il faut souvent plusieurs lectures (comme plusieurs écoutes pour apprécier un morceau de musique dans sa globalité) ou une concentration intense pour parvenir à capter le sens de ses films et à en mesurer toute leur portée. En revanche, lorsque c’est chose faite, l’empreinte poétique et essentielle laissée par le réalisateur et ses films est indélébile.

Dans Synopsis, en 2001, Godard explique clairement tout ce qu’il rejette dans le cinéma, et, en creux, ce qui selon lui devrait être le cinéma : « Quand je vois des films des Etats-Unis, genre American Beauty ou Le Sixième Sens, qui sont corrects par rapport à d’autres, ils ont un certain savoir-faire, avec un certain travail de scénario…Prenons Le Sixième Sens. Tel qu’il est fait, il gagnerait à commencer avant, ou après, puis aller de côté ! ce qu’il ne fait pas. Ni American Beauty. Les réalisateurs recopient le scénario. Ils lisent ce qu’ils ont écrit et ça devient vite une illustration. Le vrai romanesque n’est plus là « .

Bernardo Bertolucci, qui fera un faux remake de Bande à part avec ses Dreamers, confirme que le génie de Godard tenait dans une image, déconnectée de toute rationnalité parfois : « je me serais fait tuer pour un plan de Godard. Et Godard était celui qui nous représentait le plus avec sa sévérité un peu calviniste et cette capacité qu’il avait à tenir le monde et ce qui se passait dans l’instant au creux de ses mains » (Les Cahiers du cinéma). Car, c’est bien l’ailleurs et le mouvement qui intéressent le cinéaste franco-suisse. « J’avais appris de Godard qu’on avait le droit de dire ce qu’on voulait… Avec lui, il y a toujours une invention qui lui permet de ne pas accepter le monde tel qu’il vient et de trouver un ailleurs pour filmer » confie Philippe Garrel.

L’art du féminin

Et puis il y a ses personnages féminins. Ils sont souvent au cœur du cinéma godardien. JLG les observe bouger, se changer, parler des hommes, de la vie… Depuis toujours, il semble qu’il ait besoin d’être inspiré par des muses.

Il y a d’abord Anne Colette dont il est amoureux et à qui il confie un rôle dans ses premiers courts (Tous les garçons s’appellent Patrick et Charlotte et son Jules). C’est ensuite Anna Karina avec qui il tourne sept films, qu’il épouse et avec qui il fonde sa société de production, Anouchka Films. Vient ensuite Anne Waziemsky qu’il épouse également et qui l’accompagne lors des années « politiques » (dans son action quotidienne et cinématographique). Puis c’est la rencontre avec Anne-Marie Miéville dont il dit : « il y a eu les femmes dans mes films et la femme dans ma vie« . C’est, dès 1973, le début d’une longue collaboration, tant dans le travail de Godard (elle participe à l’écriture et à la réalisation de plusieurs de ses films) que dans celui de la réalisatrice (Godard fait l’acteur dans Nous sommes tous encore ici et Après la réconciliation).

 » Quand j’en entends parler [des femmes qu’il a filmées avec amour], je regarde, mais ça me semble une autre vie. Je pense qu’elles ont été plus déçues que moi… Moi, c’était une sorte de mime, de truc comme ça. On aimait les femmes… comme des actrices… J’ai aimé des actrices, du reste «  expliquait-il dans le magazine Epok.

Il a été plus infidèle avec les hommes (outre Bébel, il y a eu Dutronc, Hallyday, Delon et surtout Léaud…), même si tous les grands acteurs ont voulu jouer avec Godard. Quan t à l’homosexualité, elle l’indifférait. Elle était clandestine, elle dure moins d’une minute dans Masculin Féminin. Le genre était binaire pour Godard.

Pourtant, il savait capter son époque, la jeunesse, les aspirations pré-1968… Mais aussi parce qu’il se complaisait dans cette image d’ermite, de réfugié d’un monde englouti, à l’écart de l’industrie, vouant sa vie à l’Art du cinéma. Jean-Luc GodArt pourrait-on écrire. Dieu de son art.

Cela ne l’empêchait pas de recevoir lauriers et honneurs, d’être flatté par ses pairs, de jouer de cette image de vieux sage, tel un chaman gardant ses mystères, son secret d’un langage connu de lui seul, prêt à accueillir et rejeter ses apôtres. Et même à se fâcher avec tout le monde.

L’art du puzzle

Jean-Luc Godard est né à Paris le 3 décembre 1930. Son père, brillant médecin et sa mère, issue d’une très riche famille de banquiers, lui donnent une éducation au milieu des livres. Il fait ses études d’abord à Nyon, en Suisse, puis au lycée Buffon à Paris. Durant toute sa jeunesse, il sera partagé entre la Suisse et la France et par la différence de classe sociale de ses parents (grande bourgeoisie pour sa mère et moyenne bourgeoisie pour son père).

En 1949, il suit des cours de lettres et de sciences à la Sorbonne puis prépare un certificat d’ethnologie. Ses études se partagent entre la peinture, la littérature, l’ethnographie et le cinéma (il suit des cours de l’Institut de filmologie de la Sorbonne). Parallèlement, il est très souvent au Ciné-club du Quartier Latin (où il fait la connaissance de Jacques Rivette, d’Eric Rohmer et de François Truffait et à la Cinémathèque Française.
Dès 1950, il écrit dans La Gazette du Cinéma, créée par Jacques Rivette. En 1952, par l’intermédiaire de sa mère qui connaît Jacques Doniol-Valcroze, le fondateur, avec André Bazin, des Cahiers du Cinéma, il écrit pour la première fois dans la revue (n°8 de janvier 1952) sous le pseudonyme de Hans Lucas. Il est alors très proche de Paul Gégauff et d’Eric Rohmer.

En 1952, Jean-Luc Godard retourne en Suisse pour éviter le service militaire. Puis, pour éviter également l’enrôlement suisse, il part en Amérique du Sud et en Jamaïque. De retour en Suisse, il travaille à la télévision suisse romande à laquelle il vole de l’argent, ce qui lui vaut un bref séjour en prison puis en asile psychiatrique, sous la surveillance de son père.

En 1954, après la mort de sa mère dans un accident de voiture, il réalise son premier court métrage Opération Béton, ayant pour thème la construction du barrage de la Grand-Dixence. Il a alors 24 ans et ce premier film lui permet d’avoir de l’argent devant lui. Ensuite, il enchaîne quatre courts-métrages plus personnels : Le Signe (adapté de Maupassant, réalisé et produit en Suisse par JLG), Une femme coquette (1955, l’histoire d’une femme qui écrit à une amie qu’elle a trompé son mari en séduisant le premier venu), Tous les garçons s’appellent Patrick (1957, l’histoire de deux amies qui rencontrent un coureur de jupons) et Une histoire d’eau (collaboration entre JLG et Truffaut : Truffaut filme les inondations de 1958 et Godard monte et commente). La rencontre du réalisateur avec le producteur Pierre Braunberger a considérablement aidé la naissance de ces courts-métrages. Mais c’est avec Charlotte et son Jules, son quatrième court-métrage de fiction (en hommage à Jean Cocteau) que JLG annonce le style d’A bout de souffle, tant au niveau de l’image, du lieu (l’étroite chambre de l’hôtel de Suède) ou des personnages (la jeune fille détachée et le jeune homme amoureux trahi).

Parallèlement à ces courts-métrages, JLG fait l’acteur pour ses amis : Eric Rohmer dans Charlotte et son steak (1953), Jacques Rivette dans Paris nous appartient (1958)…

En 1960, après le tournage d’A bout de souffle (qu’il a pu tourner grâce aux signatures de Truffaut – à l’origine du scénario – et de Claude Chabrol, et qui devient la figure de proue de la Nouvelle Vague), il épouse Anna Karina qui sera l’égérie de ses films suivants (Une femme est une femme, Vivre sa vie, Le Petit soldat…). Avec elle, en 1964, il fonde sa propre maison de production, Anouchka Films. Peu après le tournage de Pierrot le fou en 1965, ils divorcent. En 1966, pour la dernière fois dans un film de Godard, Anna Karina apparaît dans Anticipation (épisode du Plus vieux métier du monde), fable futuriste dans laquelle, à la fin, l’actrice lance à la caméra un regard d’adieu des plus émouvants.

En 1967, Jean-Luc Godard tourne La Chinoise avec Anne Wiazemsky (petite fille de François Mauriac que l’on a déjà vu jouer dans Au hasard Balthazar de Robert Bresson). Il se marient à Paris la même année. C’est cette histoire et cette période que retrace Michel Hazanavicius dans Le Redoutable.

Toujours en 1967, il participe à un travail collectif, Loin du Vietnam, pour lequel il part dans la partie nord du Vietnam. En 1968, il collabore pour la première fois avec la télévision pour tourner Le Gai Savoir qui sera refusé d’antenne, les commanditaires n’approuvant finalement pas le film du cinéaste. Après avoir manifesté son désaccord avec le limogeage d’Henri Langlois, alors directeur de la Cinémathèque Française, il fonde le groupe Dziga Vertov avec Jean-Pierre Gorin, Gérard Martin, Nathalie Billard et Armand Marco, militants marxistes-léninistes. Dans la mouvance des événements de mai 68, le groupe se consacre pendant plusieurs années à un cinéma politique aux revendications sociales exacerbées. Les années politiques de Godard durent jusqu’en 1972.

Dès 1973, il commence à travailler avec Anne-Marie Miéville qui devient sa compagne. Pendant six ans, tous deux réalisent plusieurs films (dont beaucoup en vidéos) : Ici et ailleurs, Numéro deux, Six fois deux…. Cette période est marquée par une interrogation omniprésente sur le rapport entre les images et leur sujet et s’apparente finalement à des sortes de documentaires mis en scène. En 1979, il revient au « vrai » cinéma : il commence par travailler sur un projet qui ne verra jamais le jour avec Diane Keaton et Robert de Niro. Son réel retour se fait avec Sauve qui peut la vie, film tourné en 35 mm et dont le scénario a été écrit en collaboration avec Anne-Marie Miéville et Jean-Claude Carrière.

Après le tournage de Passion, Jean-Luc Godard entreprend celui de Prénom Carmen. Isabelle Adjani, qui devait au départ interpréter le rôle de Carmen (finalement pris par Maruschka Detmers), quitte le plateau au bout de quelques jours. En 1984, afin de pouvoir terminer le difficile tournage de Je vous salue Marie, JLG accepte un film de commande. C’est Détective, avec Johnny Hallyday, Nathalie Baye et Claude Brasseur, film qu’il présente à Cannes où il reçoit une désormais fameuse tarte à la crème.

Ensuite, entre quelques travails vidéos (dont, en vrac, Grandeur et Décadence d’un petit commerce de cinéma, hommage au septième art, On s’est tous défilés, vidéos sur les défilés de Marithé et François Girbaud, Le dernier mot, tourné pour les dix ans du Figaro Magazine, ou encore le clip vidéo de France Gall, Plus haut), JLG tourne plusieurs longs-métrages remarqués, de Soigne ta droite à Nouvelle Vague, avec le vieux lion Delon, en passant par Hélas pour moi et For ever Mozart.

Parallèlement, il entreprend un ouvrage de taille : la conception d’un documentaire gigantesque visant à retracer la grande épopée du cinéma. C’est Histoire(s) du Cinéma qu’il réalise en 1998 (mais dont les deux premiers volets datent de 1988) et pour lesquelles il compile moult images de films et d’archives qu’il monte et commente. Ce document lui vaut un César d’honneur lors de la cérémonie de 1998.

Avec Eloge de l’amour, il revient au cinéma à proprement parler (après cinq ans d’absence dans les salles) et au Festival de Cannes. Il y reviendra dans différentes sélections avec ces derniers films, expériences artistiques qui, comme tous ses films, semblent autant des « installations » visuelles que des montages interprétatifs et engagés. A moins que ce ne soit tout simplement des tableaux. Godard était sans doute l’un des grands peintres du 7e art, capables de créer un plan remarquable sans que le contexte ne soit essentiel. L’essentiel était ailleurs, dans ce que provoquait le son, la musique, les couleurs, les gestes, les regards, les mouvements, les décors, les mots. Tel un plasticien, il montait, collait, jouait avec l’hallucination et le trompe l’œil, intégrait la lecture et épousait la musique dans ses cadrages, s’amusait avec des images subliminales. Ses plans se découpaient au gré de son instinct et des sensations provoquées, parfois sans queue ni tête, ou au contraire, réclamant beaucoup notre attention pour que cela touche l’émotion. Il faut regarder Godard comme on admire un geste pictural. Son ultime geste aura été de choisir sa mort. Lui qui ne parlait que d’amour et d’idéal, le voilà qui fait définitivement bande à part.