Quel le point commun entre Wolf Creek de Greg McLean et son psychopathe tueur de touristes, Love Hunters de Ben Young et un couple kidnappeur d’une adolescente, The Nightingale de Jennifer Kent et des colons coupables de viols, ou Wyrmwood: Road of the Dead de Kiah Roache-Turner et des zombies au sang inflammable ? Il s’agit de films en provenance d’Australie, cet autre pays du Fantastique qui régulièrement contribue à ré-inventer le ‘cinéma de genre’.
Cette année le BIFFF a d’ailleurs programmé la suite Wyrmwood: Apocalypse, encore plus folle. En 2017, le Corbeau d’or est remporté par l’australien Watch out de Chris Peckover avec un jeu mortel pour une babysitter. Et en 2019 le Corbeau d’or décerné à l’australien Little Monsters de Abe Forsythe où une institutrice doit protéger sa classe d’enfants dans un parc d’attraction contaminé par des zombies…
En provenance d’Australie, il y a eu un autre film particulièrement original en tant que film d’horreur : Sissy, co-écrit et co-réalisé par Kane Senes et Hannah Barlow, venus à Bruxelles avec une des actrices Emily De Margheriti. L’histoire débute en nous présentant une influenceuse d’internet qui donne des conseils pour une vie plus sereine (Aisha Dee). Elle est connue sous le nom de ‘Sincerly Cecelia‘ et par hasard elle retrouve douze ans plus tard sa meilleure amie d’enfance, ce qui fait remonter des mauvais souvenirs de moqueries quand son surnom était alors ‘Sissy, celle qui pleurniche‘. Cette ex-meilleure amie Emma (Hannah Barlow, aussi co-scénariste et co-réalisatrice) va bientôt se marier avec sa fiancée, et un week-end de fête d’enterrement de jeune-fille est prévu dans une maison à la campagne, Cecelia y est donc invitée avec d’autres mais il y a aussi Alex (Emily De Margheriti) qui représente elle aussi un mauvais souvenirs de son enfance… La fête va déraper et devenir mortelle.
Sissy est particulièrement réjouissant. Il propose une forme de slasher au féminin, avec en fond des problèmes de confiance en soi dans une époque où l’image est publique et numérique. Le film est sélectionné dans chaque grand festival fantastique dont le ‘Fantasia’ à Montréal et le ‘South by Southwest’ au Texas.
Rencontre avec Kane Senes (réalisateur et scénariste) et Hannah Barlow (réalisatrice, scénariste, et actrice) avec Emily De Margheriti (actrice) :
Ecran Noir : Sissy est un film très majoritairement girly avec des meilleures amies, des filles qui vont se marier, aussi des filles qui vont vouloir se tuer. D’où est venue cette histoire d’horreur au féminin ?
Hannah Barlow : J’ai voulu explorer le thème d’amitiés féminines et encore plus le thème d’amitié toxique. Le point de départ est un souvenir qui m’est personnel, comment en tant que petite-fille on peut faire face à une sorte de trahison de sa meilleure amie. C’est un évènement dramatique qui secoue ce qui fait son identité intime à un jeune âge. En grandissant, ça peut perturber les relations de confiance avec d’autres amies. C’est quelque chose d’un peu universel. Beaucoup de fillettes, d’adolescentes ou de jeunes femmes sont passées par là, par l’épreuve d’une rupture avec une meilleure amie. C’est quelque chose qui m’est arrivé et que j’ai dû surmonter, quand j’avais à peu près l’âge du personnage de Cecelia dans le film. J’ai en quelque sorte subi une situation de harcèlement, et je n’avais pas alors réagi de la meilleure manière. C’est quelque chose qui est resté en moi et qui me suivra toute ma vie. On a voulu raconter à notre manière une histoire avec ce type de rupture d’une forte amitié, avec ses conséquences psychologiques et des répercussions tardives.
Kane Senes : La base de Sissy c’est une amitié toxique. En travaillant au scénario avec Hannah, j’ai appris beaucoup sur des différences qu’il peut y avoir entre des filles meilleures amies et des mecs meilleurs amis. En général des potes meilleurs amis peuvent se dire ce qu’ils veulent l’un à l’autre dont des vacheries, ils vont de débrouiller avec. Entre deux filles meilleures amies, il y a comme une connexion plus profonde et c’est bien plus psychologique, et il y a là une forme d’horreur qu’on a mis en images.
Hannah Barlow : La fin d’une relation de meilleure-amie ça reste un peu comme un trauma, même en grandissant ça reste quelque part à l’intérieur de soi. C’est ça qu’on a voulu mettre dans le film.
EN : Le film commence avec l’activité d’une fille sur les réseaux sociaux. Elle y joue une sorte de version idéale et parfaite d’elle-même, elle y voit beaucoup de ‘likes’ d’amis virtuels, mais elle n’a quasiment pas d’amis dans la vraie vie : c’est une critique ouverte de l’usage des réseaux sociaux?
Emily De Margheriti : Je pense que ces plateformes sociales telles que Instagram sont addictives, et montrent une réalité améliorée ou modifiée. On y met des photos uniquement avec la meilleure version possible de soi-même. Maintenant c’est un phénomène qui train de se normaliser. Pendant longtemps les gens ont comparé leur vie quotidienne avec la vie embellie et optimisée des autres, ce n’est pas sain.
Kane Senes : Notre identité sur les réseaux sociaux n’est pas vraiment notre réelle identité, on y présente une façade. Sur les réseaux on porte un masque, tout comme Jason de Vendredi 13 porte un masque de hockey ou comme Michael Myers de Halloween porte un masque blanc. Dans le film le profil de ‘Sincerly Cecelia’ est comme une sorte de masque pour la vraie Cecelia, la personne qu’elle montre n’est pas réellement la personne qu’elle est. Et parce que elle ne veut pas faire face à ses problème du passé, elle maintient cette identité de façade sur internet. Son profil web est comme un bandage dont elle a besoin pour cacher des cicatrices de sa jeunesse.
Hannah Barlow : Pour ce qui est de la réalité contre une forme de fiction de la réalité, c’est devenu une habitude pour toute une génération, les millennials. Sans doute que ça empêche ou recule un travail qui devrait être fait pour savoir se définir ou connaître sa place. C’est devenu pire avec les vidéos courtes qui tournent en boucle sur le réseau TikTok. Vivre constamment avec ou dans cet espace de fantaisie virtuelle, ça pourrait être dangereux si c’est une fuite de soi. Avec les réseaux-sociaux on se comporte tous un peu de la même manière pour les mêmes motifs, on a voulu pointer ça dans le film.
EN : Au fur et à mesure , on voit des morts qui sont un peu brutales et assez sanglantes, vous vous êtes mis une limite à la représentation de cette violence ?
Kane Senes : Je pense que tout dépend du ton général du film, on a réalisé Sissy plutôt comme une comédie noire. On pouvait s’autoriser une sorte d’exubérance dans la violence, un peu comme Sam Raimi avec Evil dead 2, il y a un côté ‘slapstick darker’ exagéré pour que ça soit horrible mais drôle. On a surtout voulu que le personnage de Cecelia soit ambivalent, entre victime et meurtrière. On a joué avec ça de manière espiègle mais tout en conservant un certain degré de réalisme. On a voulu faire en sorte que chaque nouvelle mort soit pire et plus surprenante que la mort d’avant, au fur et à mesure que le film avance.
Hannah Barlow : Il fallait que chaque meurtre soit de plus en plus sadique, et tout cela en gardant le spectateur du côté du personnage de Cecelia. Pour elle, ça devient de pire en pire, et c’est cruel et drôle. Les spectateurs ne doivent pas être horrifiés, ou pas trop, par ce qui arrive à notre personnage principal de Cecelia. On voulait que l’aspect comédie et l’aspect violence fonctionnent ensemble en même temps, pour chaque meurtre et chaque victime.
EN : Il y a l’importance d’une boîte qui symbolise une sorte de ‘capsule-temporelle’ avec dedans divers objets qui sont des souvenirs du passé et aussi des espoirs pour le futur, il y avait quoi dans votre boite personnelle en fabriquant ce film Sissy ?
Hannah Barlow : Ce genre de boite où on y dépose des choses comme des messages à redécouvrir des années plus tard. C’est peut-être un truc que cette génération de millennials fait entre amis, je ne sais pas. En tout cas pour moi c’est un clin d’oeil au film Crossroads avec Britney Spears où au début trois amies enterrent une boîte en guise de capsule-temporelle pour la déterrer et la rouvrir bien des années plus tard alors qu’elles se sont éloignées les unes des autres. Durant la fabrication de Sissy il a eu tellement de choses qui auraient pu changer ou qu’on aurait pu changer, mais Sissy est très très proche ce que ça devait être. Avec ce genre de boite qu’on re-ouvre bien plus tard il y a toujours des surprises, comme ‘oh je ne peux pas croire que j’ai pensé ça comme ça’, mais ça nous laisse des souvenirs précieux. C’est une sorte de marqueur dans la vie, ça rend humble.
Kane Senes : C’est en fait toutes les étapes de préparation et du tournage qui remplissent ma boite ! Il faut accepter son soi-même d’avant. Quand vous faites un film et que vous regardez en arrière les obstacles dépassés, même si certaines choses ont été difficiles ou améliorables, ce qui compte c’est tout ce qui a été accompli et réussi. C’est comme ça que ça marche le processus de fabrication d’un film. Parfois il peut y avoir tel compromis, mais à la fin de la journée on est fier d’avoir avancé. C’est comme un diamant qu’on sort de terre et qu’il faut nettoyer et polir pour qu’il brille.
Emily De Margheriti : J’ai la sensation qu’avec ce film Hannah et Kane ont fait un travail magnifique. En plus l’histoire résonne avec notre époque. J’ai une certaine nostalgie de ce tournage, et il n’y a rien besoin de changer, et le film va au delà de ce qui était écrit. Quand j’ai lu le scénario j’ai trouvé que c’était un script incroyable avec plusieurs thèmes forts. Les réseaux-sociaux et la santé mentale sont des choses qui résonnent en moi. Quand ils m’ont demandé de jouer le rôle d’une vilaine fille j’ai tout suite pensé que ça serait fun jouer ce type de personnage.
EN : Le public du BIFFF est du genre réactif et bruyant à certaines séances de film, ça fait quoi d’être au milieu ?
Emily De Margheriti : J’ai adoré ça. Je trouve ça très intéressant de voir Sissy avec des spectateurs d’un autre pays. Au BIFFF le public ose s’exprimer vocalement à certains moments, c’est intéressant de remarquer à quels moments il y a des rires, à quels moments ça surprend ou à quels moments certains refont des bruitages. C’est fascinant, et ça fait plaisir de ressentir que notre film marche bien.
Kane Senes : Sissy est présenté dans divers festivals fantastiques mais l’ambiance est différente ici, quand après la projection des gens viennent nous voir pour parler du film on se rend compte qu’ils ont pris du plaisir à le voir. Durant la séance on devient bouillonnant parce qu’on entend certains qui réagissent comme des dingues à certains moments : les gens ont vraiment aimé ça . On connaît un peu l’histoire et la réputation du BIFFF, c’est très valorisant pour nous.
Hannah Barlow : Je pense que quand on fait un film un peu fou comme le nôtre c’est justement pour des publics comme celui du BIFFF. C’est excitant cette trajectoire de commencer à écrire un film sans jamais imaginer que ça deviendra un film qui va voyager un peu partout. C’est excitant d’atterrir à Bruxelles pour y présenter et voir notre film devant une salle aussi enthousiaste. C’est comme une sorte de récompense à la fin de tout le processus. C’est aussi très encourageant pour continuer.
Kane Senes : Il va falloir qu’on accélère un prochain projet pour revenir ici avec un autre film !