Les jeunes loups : le film rare de Marcel Carné enfin de retour dans les salles

Les jeunes loups : le film rare de Marcel Carné enfin de retour dans les salles

Marcel Carné est l’un des cinéastes majeurs des années 1930-1950, durant lesquelles il fait tourner à plusieurs reprises Jean Gabin, Arletty, Louis Jouvet… Rappelez-vous : c’est dans Quai des brumes qu’il y a cette célèbre déclaration « t’as de beaux yeux tu sais… » faite à Michelle Morgan. Plusieurs de ses films sont devenus des classiques qui font désormais partie du patrimoine du cinéma mondial.

Et pourtant, plus tard, en avril 1968, son film Les jeunes loups ne reste que quelques jours en salles, avant de disparaître car jugé « amoral ». Peut-être parce que l’on y voit une certaine bourgeoisie qui recherche le plaisir du contact d’un beau jeune homme, et que lui en joue pour y glaner divers avantages ? Peut-être que Les jeunes loups était trop audacieux pour son époque ? Le film, longtemps invisible, revient dans sa version restaurée (et non censurée) sur grand écran dans les salles de cinéma.

Les jeunes loups – © Malavida SND

« La jalousie, faut laisser ça aux vieux, ça les occupe »

Marcel Carné est l’une des figures-phare du cinéma d’avant-guerre mais aussi d’après-guerre, surtout pour ses films scénarisés par Jacques Prévert : Drôle de drame en 1937 (avec Michel Simon et Louis Jouvet), Le quai des brumes en 1938 (avec Jean Gabin, Michèle Morgan, et Michel Simon) et aussi en 1938 Hôtel du Nord (avec Arletty et Louis Jouvet), Le jour se lève en 1939 (avec Arletty et Jean Gabin), Les enfants du paradis en 1945 (avec Arletty, Jean-Louis Barrault et Pierre Brasseur), Les portes de la nuit en 1943 (avec Yves Montand, Nathalie Nattier, et Serge Reggiani), et plus tard en 1953 Thérèse Raquin (avec Simone Signoret)…

C’est après avoir réalisé ce type de drames que, passé la cinquantaine, Marcel Carné s’intéresse à la jeunesse qui commence à changer et qui annonce les années 60 : la musique, la mode, le langage, mais aussi le cinéma avec le mouvement de « La Nouvelle Vague ». Marcel Carné va essayer de filmer cette nouvelle époque qui d’ailleurs ne sera jamais vraiment la sienne : en particulier Les tricheurs en 1958, Terrain Vague en 1960, et donc Les jeunes loups avec une sortie en avril 1968. Vont alors survenir les évènements de mai 68 avec un air du temps plus libertaire. Or Les jeunes loups en contient déjà les prémisses mais aussi une certaine critique. Le film n’a guère été vu, évincé par les jeunes loups de l’époque, pour qui Carné représentait un cinéma de vieux.

Les jeunes loups – © Malavida SND

« Coucher à notre époque est ce que ça compte ? »

Au moment de la sortie de Les jeunes loups ,la carrière de Marcel Carné est d’une certaine façon déjà derrière lui. D’ailleurs ce film est techniquement moins rigoureux que ses chefs-d’oeuvre passés. Carné en vieux loup qui en a vu d’autres essaie d’appréhender une jeunesse qui se vante de mœurs plus libres en apparence, mais tendues par la complication des sentiments.

Le séducteur Alain rencontre l’énergique Sylvie qui elle fera connaissance de l’idéaliste Chris, et peu à peu va se former un étrange triangle amoureux mal assorti : Chris aime Sylvie qui elle aime Alain qui lui aime à devenir un autre… Tout tourne autour de Alain qui est le moteur de cette histoire (et d’ailleurs le conducteur de voiture qui amène les autres de Cannes à Paris, de Paris à Deauville, de Paris à Cannes), ses multiples intrigues de gigolo (surtout auprès de riches bourgeoises comme la princesse Linzani ou de l’influent promoteur Ugo) font de lui un jeune loup aux dents longues. Un Rastignac dans ce Bande à part. Au delà de leurs mésaventures où tous se cherchent une place dans la société, Les jeunes loups évoque de multiples questionnements qui étaient plutôt nouveaux à l’époque (et qui sont encore d’actualité en 2022) : l’amour libre en dehors du mariage, s’arranger avec des infidélités, profiter de son corps pour obtenir des faveurs, une bisexualité cachée… et s’intégrer ou rejeter le monde du travail salarié.

Les jeunes loups – © Malavida SND

« La liberté ça ne consiste peut-être pas à se mentir et à se tromper… »

La trajectoire de Alain, originaire d’un immeuble modeste de Sarcelles, qui se fait passer pour un esthète en quête d’une combine pouvant le faire devenir riche, est inverse à celle de Chris, qui lui est un riche héritier qui a rejeté les valeurs de sa famille bourgeoise pour devenir un beatnik hippie. Sylvie quitte très jeune ses parents pour tenter l’aventure émancipée à Paris, sauf qu’elle se révèle ne pas être une femme libérée aussi qu’elle le souhaiterait. Les évènements de mai 68 auront voulu secouer la société de consommation et la sexualité, et déjà un peu avant, Les jeunes loups évoquent en creux ces aspirations mais aussi certaines limites qui tendent vers un certain conservatisme (d’ailleurs revenu après 1968). D’une certaine manière, Marcel Carné raconte plus de choses sur la lutte des classes, ou plus précisément sur des différences entre classes sociales, que bien d’autres films fabriqués ensuite par La Nouvelle Vague. Les jeunes loups était peut-être trop moderne pour 1968, et il se révèle toujours étonnant.

Les jeunes loups
Réalisation : Marcel Carné
Scénario : Marcel Carné et Claude Accursi
Sortie en salles : 28 septembre 2022, en version restaurée
Durée : 1h45
Avec Haydée Politoff, Christian Hay, Yves Beneyton, Roland Lesaffre, Maurice Garrel, Élizabeth Teissier...