Michel Deville : le cinéaste discret s’éclipse

Michel Deville : le cinéaste discret s’éclipse

Michel Deville s’en est allé, en toute discrétion, comme à son habitude. Le réalisateur français, très sous-estimé, laisse une œuvre composée de films délicats, aux dialogues ciselés, entre marivaudages et audaces narratives, toujours élégants, même avec le zeste de subversion qu’il glissait dans ses récits. Il a exploré tous les genres – de la comédie au polar -, récolté plusieurs César, et le voilà qui s’éteint dans l’oubli à l’âge de 91 ans.

Né le 13 avril 1931, mort le 16 février 2023, il a été assistant d’Henri Decoin dans les années 1950 avant de passer derrière la caméra. Il trouve ensuite en Nina Companeez, monteuse, une coscénariste complice (douze films ensemble), avant de travailler avec son épouse, Rosalinde Damamme, par ailleurs costumière et productruce.

Deu fois prix Louis Delluc (Benjamin ou les mémoires d’un puceau, avec Catherine Deneuve, 1967, et La lectrice, avec Miou-Miou, 1988), deux fois césarisé (pour le scénario de Dossier 51 en 1979 et pour la réalisation de Péril en la demeure en 1986), sans compter ses nombreuses nominations dans les catégories meilleur film (Dossier 51, Péril en la demeure, La lectrice), meilleur réalisateur et meilleur scénario (Péril en la demeure, La lectrice, et La maladie de Sachs en 2000), Michel Deville, proche d’Eric Rohmer et Luc Moullet, était, à l’instar d’un Louis Malle, un peu à l’écart des grands mouvements du cinéma français. Il n’était ni Rappeneau, ni Truffaut, ni Rivette, ni Chabrol. Peut-être un peu d’eux tous à la fois. Il aimait les silences et les caresses, l’érotisation et la méditation.

La vie est un jeu

Dans tous ses films, des plus distrayants aux plus noirs, les caprices et les supplices se confondaient dans une éducation (sentimentale ou non), une passion (romantique ou pas) qui héritaient d’une littérature ou d’un théâtre classique. Mais, avec sa caméra, par son style, il en faisait des films tout à fait personnels. Un grand jeu , au tempo maîtrisé, plutôt qu’un grand je, au narcissisme ennuyant.

Dans la plupart de ses films, les personnages mettent en scène leur propre vie et font de l’existence une sorte de fable quand ce n’est pas une manipulation du réel. Cela rend aussi sa filmographie plus sombre, grinçante et ironique. Même s’il l’achève avec l’adaptation d’un Feydeau (Le fil à la patte). Protéiforme, son œuvre inégale et iconoclaste est un composite de films qui formellement ne se ressemblent jamais. Ainsi il brouille les pistes et trouble la critique… Car, quoi de plus différent q’un film d’espionnage anticipateur (Le dossier 51), un drame pré-Dogme (Le Paltoquet) ou un comédie à la Billy Wilder (Ce soir ou jamais)? On passe avec lui du huis-clos au film sans dialogue, de la mise en scène subjective à l’allégorie presque fantasmagoriques. Ses ellipses sont parmi les plus stylisées du cinéma français. Le tout porté par des grandes partitions musicales inoubliables et des jeux de mots ou répliques poétiques scandant le tempo de chaque scène.

Jeux de regards

Michel Deville aimait les regards des interprètes (il aura filmé les plus grands et surtout les plus grandes : il admirait davantage le féminin que le masculin) et les miroirs où se reflétaient la nudité, la complexité et parfois la perversité de ses personnages. Mais, jamais, même dans ses films les plus graves, il n’oubliait l’amusement et la séduction dans son cinéma ludique et courtois, malicieux et taquin. Michel Deville voulait stimuler nos sens : le toucher, l’ouïe et bien sûr la vue. De son amour pour le voyeurisme, pour les visages, ces paysages qu’il adorait contempler avec sa caméra. Auteur de poésie et amateur d’oulipo, il expliquait il y a quelques années : « Ce que je fais est instinctif, jamais prémédité. Je n’ai pas de théorie. Ce qu’il y a de bien dans ce métier, c’est qu’il n’y a pas de règles. On se les fabrique soi-même.« 

Lui était un artisan qui a poussé son art vers un raffinement et un véritable ravissement.

10 films

Ce soir ou jamais (1961)

https://youtu.be/RNB_ZJFZpA4

Benjamin ou les mémoires d’un puceau (1968)

L’ours et la poupée (1970)

Raphaël ou le débauché (1971)

Le mouton enragé (1974)

Le dossier 51 (1978)

Péril en la demeure (1986)

Le paltoquet (1987)

La lectrice (1988)

https://youtu.be/joCT1ylmoPY

La maladie de Sachs (1999)