Le cinéma français s’inspire de scandales d’État, sans l’assumer jusqu’au bout

Le cinéma français s’inspire de scandales d’État, sans l’assumer jusqu’au bout

A quelques mois d’intervalles, deux films, dotés de gros castings, se confrontent à des faits réels où l’Etat de droit est malmené par quelques ambitieux pour qui la fin justifie tous les moyens : Enquête sur un scandale d’Etat de Thierry de Peretti et La syndicaliste de Jean-Paul Salomé ne parviennent pourtant pas à convaincre malgré leurs bonnes intentions. Bancals, les deux films hésitent à assumer le thriller et déraillent de leur sujet, pourtant choc, pour finir dans une impasse.

Au cœur des deux affaires, le soupçon de mythomanie qui écrase les deux victimes par qui le scandale arrive. Ces scandales finissent au tribunal, non pas pour juger le nœud de l’affaire, mais pour révéler une vérité périphérique. Les deux scénarios ont en effet dévié en cours de route, oubliant leur intrigue pour se concentrer sur des accusations de diffamation ou d’invention des faits. Aussi justes soient les combats d’un journaliste ou d’une syndicaliste, on en ressort frustrés. Tant d’énergie déployés pour chercher une vérité, qui se résumera en quelques lignes avant le générique de fin.

Enquête sur un scandale d’Etat concerne la lutte contre le trafic de drogue. Un indic, qui devient balance (Roschdy Zem, impeccable), et un journaliste (Pio Marmaï, très à l’aise), démasquent les méthodes du patron (Vincent Lindon, parfait arrogant manipulateur en cravate) de l’Office central de lutte contre le trafic illicite de stupéfiants, pas réellement efficaces et hors du droit. Une histoire vraie entre menaces, intimidations, doutes, et beaucoup de jargon. On est rapidement happé par cette investigation complexe. Le film réussit à décrypter aussi bien le système des narcotrafiquants et les méthodes de l’Etat pour tenter de limiter les flux de drogues, que les coulisses d’un quotidien de presse écrite.

La balance

Malheureusement, on quitte rapidement ce labyrinthe médiatico-politico-juridique. Le film se focalise de plus en plus, au fil du récit, sur la personnalité ambivalente de la source et son amitié opportuniste avec le journaliste. L’ennui gagne rapidement tant le sujet s’avère plus fade et les rebondissements s’absentent. Le scénario empêche le film de maintenir le rythme. Pire, il renvoie l’affaire stupéfiante (dans tous les sens du terme) en arrière plan, au point de ne plus comprendre ni l’enjeu final ni même en quoi elle est scandaleuse. Tout ça pour s’achever dans une piteuse bataille oratoire judiciaire où les deux camps s’opposent avec un dialogue de sourd didactique : la liberté d’expression et journalistique versus les moyens et le bilan d’un organisme public pour affronter une industrie illiégale.

Didactique, La syndicaliste le devient aussi avec son scénario bipolaire. Deux films en un. Là encore le film débute sur les chapeaux de roue, nerveusement, en installant le jeu d’intrigues politico-financière autour de l’avenir d’une multinationale française et d’un agenda stratégique caché. On se laisse embarquer dans ces manigances élitistes, qui révèle au passage les erreurs décisives de gouvernements successifs. L’histoire, vraie, bascule quand la syndicaliste de la CFDT, femme de pouvoir et interlocutrice privilégiée des patrons, est agressée à son domicile. Désormais, tous les protagonistes du premier chapitre s’effacent ou presque. Exit Anne Lauvergeon (Marina Foïs), son collègue de la CFDT (François-Xavier Demaison), Luc Oursel (Yvan Attal, ignoble en patron soupe au lait et colérique). On n’en saura pas vraiment plus sur l’évolution de la multinationale, qui doit s’allier aux chinois et être reprise par EDF (dont le patron a été le réel prédateur et n’a le droit qu’à une scène furtive). Peu importe le combat initial, la syndicaliste doit mener désormais une autre guerre…

Jean-Paul Salomé maîtrisait plutôt bien son thriller. Il se laisse dévorer par son actrice (Isabelle Huppert, dans sa zone de confort chabrolienne), qui prend les commandes du film, c’est-à-dire son point de vue. En s’éloignant de son entreprise, elle entraîne le spectateur dans sa dépression et ses atermoiements. Entrent en jeu un enquêteur de la gendarmerie (Pierre Deladonchamps, décidément abonné aux rôles peu aimables), une femme qui a connu la même épreuve (Alexandra Maria Lara, le temps d’une séquence), un avocat charismatique (Gilles Cohen, toujours sous employé par le cinéma). Son époux (Grégory Gadebois, formidable comme souvent) prend davantage de place. Désormais il ne s’agit pas de savoir ce qui se trame dans les beaux quartiers de Paris, entre ministère et bureaux d’un autre siècle, mais de rétablir une vérité : elle n’a pas inventé et créé son agression morale et sexuelle.

L’emmerdeuse

La Syndicaliste devient un film post #metoo sur la parole des victimes, et notamment celle des femmes, et sur les traumas qu’engendre l’absence d’écoute. Huppert navigue entre ses personnages déjà emblématiques de femme violée (le dernier cas étant celui de Elle de Paul Verhoeven) et victime larguée pour ne pas dire paumée. Elle construit savamment son rôle (rouge à lèvres bien appliqué, lunettes variées, joueuse et obsessionnelle). Mais le film, fasciné par sa manière prodigieuse de capter toutes les nuances de cette femme au bord du vide, se perd dans un portrait très classique. Rien n’y fera : ni les quelques incidents dramatiques, ni les légers rebondissements du scénario. On ne parvient plus à s’attacher à cette bataille intime et personnelle.

Films individualistes

La syndicaliste souffre d’un double défaut consubstantiel, à l’instar d’Enquête sur un scandale d’Etat. Soit la mise en place, celle de l’affaire par qui tout arrive est trop longue et déséquilibre les deux films. Soit l’intention n’était pas claire dès l’écriture. En n’assumant pas le thriller de bout en bout, les deux productions ne tiennent pas leur promesse initiale, soit montrer les dégâts et le poids d’un système surpuissant. Au lieu de cela, Enquête sur un scandale d’Etat devient une banale histoire ambiguë d’un journaliste, flirtant avec le manque d’éthique, avec sa source ; et La syndicaliste se mue en drame féministe engagé, quitte à ne devenir qu’un plaidoyer simpliste et trop appuyé (mais nécessaire) sur la place des femmes dans une société patriarcale.

Pourtant il n’y avait rien d’incompatible à tisser des liens entre deux sujets, dans chacun des films. Mais en passant de manière brutale de l’un à l’autre, les deux récits ne réussissent pas à nous emporter dans leurs guérillas sincères contre l’injustice. Comme si le combat individuel avait finalement plus d’importance que la cause collective. C’est le risque en adaptant les ouvrages des protagonistes, sans effectuer un recul nécessaire, en trahissant notamment la subjectivité inhérente à ce genre de livres à la première personne.

Cependant, leurs deux histoires ont l’avantage, avec une certaine dose d’amertume, de nous envoyer une alerte salutaire. En plus de leurs épilogues qui ont tout pour nous rendre un peu plus pessimistes.