François Ozon renoue avec le théâtre de boulevard pour « Mon crime »

François Ozon renoue avec le théâtre de boulevard pour « Mon crime »

Paris, 1935. Madeleine Verdier est une jeune actrice, sans réel talent mais très jolie. Elle est cependant sans un sou. C’est alors qu’elle est accusée du meurtre d’un producteur de théâtre connu et très riche. Grâce à son amie et colacataire, jeune avocate, il est reconnu qu’elle a agi en état de légitime défense. Acquittée, Madeleine va alors enfin connaître la gloire et le succès grâce à la médiatisation de ce procès. Mais la justice n’est pas la vérité. Et la véritable criminelle va vouloir une part de cettte gloire.

François Ozon aime les figures de style, depuis son premier long métrage, Sitcom, il y a 25 ans. Ainsi, il navigue entre thrillers psychologiques, mélos romanesques, portraits de personnages troubles et tourmentés, adaptations stylisées d’œuvres germaniques mélangeant genre et perversité… Son récent Peter von Kant mixait même ces deux dernières catégories, en huis-clos. Le huis-clos est l’autre formalisme qu’il adopte régulièrement. Et notamment dans son film le plus populaire, Huit femmes. Avec Potiche, Huit femmes explore un autre style qu’il affectionne : la modernisation de vieilles pièces de boulevard, accentuant leur aspect féministe, sous couvert de manigances et de rivalités.

Mon crime est indéniablement à classer dans cette ambition. François Ozon revient à la comédie, parfois potache, où se confrontent des comédiennes et des comédiens issus de « familles » très différentes, avec en sous-texte l’émancipation des femmes (et la parole libérée post #MeToo). Et nul ne doute, par son esprit vaudeville et son casting, que le film permettra au cinéaste de reconquérir un large public, après une succession de films plus confidentiels.

Film engoncé dans son époque

Pourtant, le film est loin de la comédie gigogne Huit femmes, délectable jeu de massacre à multiples références cinématographiques, et de la comédie de mœurs Potiche, jouissif jeu de rôles excessif et maniériste à la mécanique impeccable. Mon crime déroule son récit prévisible et didactique avec une mollesse coupable quand on espérait un peu plus de (crise de) nerfs.

Le film souffre en fait de son concept. D’un côté, il doit respecter une histoire à rebondissements et à intrigues pour pouvoir dérouler son message et sa morale ambivalente et sarcastique. Cela le contraint à un certain rythme, au tempo très inégal, entre longues séquences de dialogues théâtraux et tentatives d’accélérations pour dynamiser les actes. Le suspense est vite éventé si on prête attention au prologue (l’apparition fugace de la criminelle). De l’autre côté, le réalisateur charge sa mule avec un casting hétéroclite où chacun a la charge de sa grande scène (du deux). Là encore, en n’osant pas couper quelques narcissismes d’acteurs, le cinéaste s’empêche de créer un tourbillon de folie, dans lequel il aurait pu nous plonger avec plaisir.

Mais après tout, contrairement à Huit femmes, Potiche ou ses très bons films d’acteurs comme Sous le sable, Peter von Kant et Ricky (dans des genres très variés), Ozon a choisit sa brochette de stars pour faire leur numéro (de cirque). Fabrice Luchini en juge d’instruction stupide excelle en Luchini. André Dussollier en patron conservateur bienveillant sauve l’épilogue à lui tout seul. Avouons que Dany Boon nous amuse enfin en nouveau riche marseillais. Régis Laspalès réussit le tour de force de jouer Francis Blanche. Félix Lefebvre (révélé dans Été 85) est parfait en jeune journaliste ambitieux. Michel Fau est égal à lui-même en procureur de mauvaise foi. Evelyne Buyle, Myriam Boyer et Jean-Christophe Bouvet s’amusent dans leurs personnages respectifs et apas forcément reluisants. Finalement, seul Daniel Prévost semble ne pas exploiter son propre génie.

Boulevard et crépuscule

N’oublions pas Isabelle Huppert, évidemment, qui, telle une diva, arrive sur le tard, et s’amuse d’un personnage d’actrice oubliée avec une belle autodérision, mais sans réel panache ni surprise. C’est à elle qu’incombe la responsabilité de « reveiller » (tardivement) le film. Hélas, comme souvent quand elle est dans le registre comique (n’est pas Ardant ou Deneuve qui veut), elle ne réussit pas à nous bluffer en star déclinante et opportuniste.

On l’aura vite compris, le véritable intérêt de Mon crime, c’est le duo de jeunes actrices que François Ozon ne lâche pas. Si les autres personnage, secondaires ou moins, sont en roue libre, Nadia Tereszkiewicz et Rebecca Marder forment un duo formidable, plus innocent que celui de La cérémonie mais pas moins coupable que Les diaboliques. Double accession au star-système : Ozon a toujours aimer mettre en lumière des jeunes interprètes brillants, de Ludivine Sagnier à Benjamin Voisin, de Malik Zidi à Marine Vacth) en les confrontant à des grandes figures du cinéma (souvent âge sénior).

Il faut bien ces deux actrices pour passer quelques tunnels de dialogues longuets et des séquences alourdies par un « livret » un peu vieillot. L’ensemble s’avère malgré tout distrayant et pas désagréable, mais il reste décevant. Mon crime pêche par son absence d’inspiration et d’originalité en matière de mise en scène, elle-même écrasée par une splendide direction artistique.

Théâtre de variétés

On ne remet quand même pas en question la dimension cinématographique du film. Mais Ozon nous a habitué à plus de subversion et d’audace. Il n’en oublie pas, heureusement, quelques clins d’œil bienvenus comme ce film avec Danielle Darrieux, sorti en 1934, le si bien nommé Mauvaise graine (de Billy Wilder). Mon crime reprend peu ou prou la même intrigue amoureuse. Et puis, il y a ce final, avec Huppert et Tereszkiewickz sur scène (et tout le casting dans la salle), qui utilise le même procédé que le final du Dernier métro (de François Truffaut).

Mais, après 100 minutes qui paraissent deux heures, on pense surtout aux adaptations d’Agatha Cristie par Pascal Thomas ou Pascal Bonitzer : un film bien troussé, plaisant mais pas assez extravagant ou délirant pour nous embarquer au-delà de son discours féministe très appuyé. On lui sera gré de réhabiliter de vieilles pièces du comique de boulevard français. Moins de paresser pour nous offrir une comédie franchouillarde hype plutôt qu’une comédie noire jubilatoire.