Le 29e Festival des Cinémas d’Asie de Vesoul consacre une partie de sa programmation à un Regard sur le cinéma Philippin présentant un cinéma en constante évolution depuis quelques films devenus des classiques jusqu’à des œuvres plus récentes diffusées notamment en streaming : Three years without God de Mario O’Hara (1976), A speck in the water de Ishmael Bernal (1976), Perfumed nightmare de Kidlat Tahimik (1977), Dekata ’70 de Chito S. Roño (2002) sont inédits en France, tout comme Les femmes de la rivière qui pleure de Sheron Dayoc (2016), Neomanila de Mikhail Red (2017), qui sont présents dans la ville franc-comtoise. On y ajoute Black Rainbow, court-métrage de Zig Dulay, de retour à Vesoul après y avoir déjà gagné un Cyclo d’or. C’est l’occasion de lui reparler de ses différents films et de son parcours, ainsi que du cinéma Philippin :
C’est votre 3ème venue au Festival des Cinémas d’Asie de Vesoul : en 2018 en tant que réalisateur du film Bagage en compétition et qui avait gagné le Cyclo d’or, en 2022 en tant que membre du jury international, et cette année 2023 en tant que réalisateur d’un court-métrage mais surtout comme représentant de la délégation des talents Philippins pour une rétrospective sur le cinéma de votre pays. Quelle est votre rôle favori ?
Zig Dulay : Ces trois expériences sont en fait assez différentes. J’ai découvert le FICA de Vesoul en y accompagnant mon film Bagage et c’était ma première fois en France. Que mon film dans la compétition gagne le Cyclo d’or avait été une belle surprise. Ce dont je me souviens juste après cette cérémonie de clôture, c’est qu’un membre du jury m’a dit comment il avait été touché par mon film et en quoi c’était bon film : quelque chose comme ‘un bon film doit faire réfléchir bien après être sorti de la salle de cinéma et même les jours suivants‘. Ceci m’a conforté dans le fait que ce qui est important c’est qu’un film reste longtemps avec ses spectateurs. Je n’oublierai jamais cette première fois à Vesoul avec cette récompense, car bien entendu gagner le plus grand prix d’un festival ça signifie beaucoup de choses. En quelque sorte ça a été une gr,ande validation de mon travail en tant que jeune réalisateur. Quand j’avais vu la sélection des autres films en compétition avec le mien il y avait d’autres titres qui avaient déjà une bonne réputation. A cette époque j’avais peut-être un peu moins confiance en mon travail, je ne pensais pas que mon film serait le grand gagnant. Ce prix m’a en quelque sorte confirmé que je pouvais faire différentes choses en tant que réalisateur.
Et en tant que membre du jury?
Mon retour à Vesoul a été un nouveau jalon important dans mon parcours, car c’était la première fois que j’étais membre d’un jury pour un festival international. J’avais le sentiment que pour être membre de jury, il fallait avoir une longue filmographie avant d’être légitime. Les délibérations avec des talents très brillants, comme la présidente qui était était l’actrice Iraniene Leila Hatami, ont été une expérience très intéressante. J’ai beaucoup appris à la fois des films qu’on y a découvert et aussi de nos discussions sur différentes formes de cinéma. Et cette année, pour la rétrospective du cinéma Philippin, c’est encore une première fois. Certains des films de cette rétrospectives ont été réalisés par des cinéastes qui sont comme des icônes aux Philippines. Je suis reconnaissant au FICA de Vesoul pour ces trois expériences, même si je crois que ma première fois, avec mon film en compétition et son Cyclo d’or inattendu, restera toujours mon moment préféré. C’est bien de figurer dans cette rétrospective des Philippines, mais je dois mériter ça en continuant à faire d’autres films ambitieux. En tant que cinéaste je garde à l’esprit que je reste ‘nouveau‘ avec plein de choses à approfondir et à explorer en terme de mise en scène. Je veux grandir en tant que réalisateur tout en apprenant des choses à propos de moi-même en tant qu’individu.
Durant cette rétrospective vous présentez ici un autre film qui est une surprise autant pour son format car c’est un c’est un court métrage que pour son histoire (dans une communauté Aeta qui est une minorité un petit garçon ne peut plus aller à l’école sauf si il obtient une bourse et s’il arrive à convaincre son père, car sa famille a besoin de lui pour du travail agricole dont les terres sont la cible d’une compagnie minière étrangère…). Cela aurait pu être un nouveau autre long-métrage ? Comment s’est fabriqué ce court Black rainbow ?
Zig Dulay : Après mon film Bagage j’ai travaillé comme réalisateur pour des séries télé – j’en ai fait plusieurs. Le système de production d’une série est très différent de celle d’un film pour le cinéma où je décide absolument de tout. Le cinéma demande du temps de préparation et aussi du temps pour avoir des financements, c’est un processus long. J’ai aimé les scripts de ces séries. La télévision est un language avec des codes établis et un temps compté pour tourner beaucoup de séquences. Puis sont arrivés la pandémie et le confinement : rester enfermé dans mon appartement à ne rien faire, ce n’était pas pour moi, donc j’ai mis en route la préparation du tournage de ce court, Black rainbow. Il fallait que je reste actif, et j’ai commencé à écrire quelque chose qui me tenait à cœur. Les cinémas étaient fermés, rencontrer des producteurs n’étaient possible qu’à distance. Pour des raisons de logistique et de financement, il n’était pas vraiment possible de démarrer un long-métrage comme je l’aurais voulu durant cette période. Et puis, il y a aussi une raison de calendrier : après avoir fait une série télé, je devais en faire une autre, donc j’avais peu de temps entre ces deux séries. Mais c’était un temps adapté pour un tournage de court métrage. Faire un long métrage, ça demande au moins six mois de travail, et là je ne pouvais pas refuser de faire la prochaine série télé qu’on me proposait parce que le sujet m’intéressait vraiment. Comme la NCCA (National Commission for Culture and Arts) a mis en place un dispositif spécifique pour du financement de courts métrages, j’ai pu financer Black rainbow. Je crois que le storytelling et la mise en scène ne se mesure pas à sa durée. La durée ne compte pas quand faire un film est d’abord une affirmation de votre voix à propos de quelque chose que vous voulez transmettre de manière sincère et honnête.
Dans cette rétrospective de cinéma Philippin il y a aussi le film Neomanila de Mikhail Red (aussi présent à Vesoul) dont vous êtes le co-scénariste (c’était aussi le film candidat des Philippines pour l’Oscar du meilleur film international). Comment êtes-vous arrivé sur ce projet porté par un autre cinéaste ?
Zig Dulay : Mikhail Red m’a demandé de collaborer avec lui. En fait quand il m’a approché, il m’a dit que c’était son père Raymond Red, qui est un très grand cinéaste très connu aux Philippines qui lui avait conseillé d’écrire avec moi, c’est un grand honneur et en même temps un défi. Je sais que Mikhail Red et moi avons une approche un peu différente de la narration, car lui est plus proche d’un certain cinéma de genre que moi. J’ai dit oui avec plaisir et j’étais curieux de voir la façon dont il travaille. Avant de réaliser moi-même mes films en tant que réalisateur, j’avais déjà écrit plusieurs scénarios pour différents autres réalisateurs. C’est de ces écritures qu’est venue mon expérience de cinéaste, puisque je ne suis pas diplômé d’une école de cinéma. Gagner en expérience passe aussi par collaborer avec d’autres cinéastes, et cette nouvelle expérience vers du cinéma de genre avec Mikhail Red m’a appris beaucoup de choses.
En tant que représentant de la délégation Philippine pour cette rétrospective, quel serait le film à faire découvrir absolument ?
Zig Dulay : C’est difficile. Tous ces cinéastes comptent parmis mes préférés. Bien entendu je ne peux pas ne pas citer Brillante Mendoza, c’est un ami, et son film Ma’ Rosa qui je crois a bien circulé en France, après avoir eu un prix au Festival de Cannes (ndr : meilleure actrice pour Jaclyn Jose). Mendoza est habile pour un traitement ultra-réaliste de ses histoires. Mais, je ne peux pas faire qu’une seule suggestion, c’est impossible. Il y a beaucoup de ces films qui sont importants pour les Philippines. Lino Brocka est un des mes réalisateurs préférés, et c’est aussi un cinéaste incontournable avec plusieurs films qui montrent des problématiques de notre société aux Philippines, à l’instar de Caïn et Abel en 1982. Je conseille aussi Dekata ’70 de Chito S. Roño, ça représente le pays qui était alors sous loi martiale, et c’est aussi un cinéaste de référence.
L’époque est à la concurrence entre les salles de cinéma et les plateformes de streaming, comment envisagez-vous votre métier?
Zig Dulay : Je préfère voir des films dans une salle de cinéma, je crois que le grand écran de cinéma et le petit écran sont deux choses différentes dans leur usage. Il n’y a pas de comparaison entre regarder un film dans une salle de cinéma et regarder un film chez soi. Une salle de cinéma demande un certain engagement envers le film et une meilleure immersion dans son histoire. Cependant je sais que le prix d’une place de cinéma est presque le même que celui d’un mois d’abonnement à une plateforme, il faut faire avec. Mais c’est un fait que plein de films ne sont pas diffusés en salles de cinéma, et que les plateformes de streaming sont aussi un support pour les voir. Aux Philippines, la différences entre salles et plateforme serait le type de film proposé, les films mainstream arrivent tous en salles mais pour les films plus indépendants, c’est plus compliqué d’être vus. Pour être juste, les plateformes ont besoins de contenus, donc ça aide aussi l’industrie en créant du travail pour plein de gens travaillant sur des films. Martin Scorsese avait dit quelque chose comme ‘le cinéma c’est très différent d’un contenu de plateforme‘. Je suis d’accord pour considérer la salle de cinéma comme une sorte d’église ou d’endroit sacré. En tant que cinéaste il y a une différence de language visuel quand on fait des films destinés à être projetés sur de très grands écrans.