[Reprise] The Host : Monstres & cie par Bong Joon-ho

[Reprise] The Host : Monstres & cie par Bong Joon-ho

A Seoul, au bord de la rivière Han, surgit un monstre gigantesque qui écrase et dévore tout ceux qui passent à sa portée. Il emporte notamment la jeune Park Hyun-seo dont le grand-père tient un snack sur les rives du fleuve. Bien décidée à la venger, toute la famille part en guerre contre la créature.

Sortie initiale en 2006. Présenté à la Quinzaine des réalisateurs au Festival de Cannes.
Réalisation : Bong Joon-ho
Scénario : Bong Joon-ho, Hah Joon-won, Baek Chul-hyun
Montage : Kim Sun-min
Photo : Kim Hyung-Goo
Distribution : Ocean films (reprise en 2023 par The Jokers / Les Bookmakers)
Musique : Lee Byeongwoo
Durée : 1h54 
Avec Bae Doo-Na, Park Hae-Il, Byun Hee-Bong, Song Kang-ho et Ko A-Sung

Imaginez un film de genre où le monstre ferait sa première apparition dans un décor de scène pastorale (pique-nique et ambiance familiale au bord de la rivière Han), exécuterait quelques tours savants sous les regards émerveillés de la foule avant de jaillir hors de l’eau pour dévorer tous ses spectateurs douloureusement surpris (et déçus) par un tel revirement. Ajoutez-y une première scène d’action filmée comme une poursuite tout droit sortie d’un Tex Avery (même virtuosité, même ton burlesque), qui, à mi-parcours, deviendrait une glaçante lutte à mort entre une créature déchaînée et de malheureux humains réduits à l’état de marionnettes démantibulées. Plutôt déconcertant, non ? Et pourtant, telle est bien la détonante séquence d’ouverture de The host, mélange improbable de série Z terrifiante et de parodie complètement loufoque.

Bong Joon-ho justifie cet étrange mélange des genres, et son refus de faire basculer le film dans un registre plutôt que dans l’autre, par le fait que la vie est ainsi, chaque événement ayant toujours deux versants parfaitement opposés. Et à la réflexion, les mésaventures pathétiques de la famille Park (guerriers de pacotille lancés dans une guerre qui les dépasse) ne sont pas incompatibles avec les exploits terrifiants de la créature. Au contraire, plus celle-ci est effrayante et cruelle, plus les tentatives désespérées des Park semblent risibles et absurdement vouées à l’échec. Avec de tels ennemis, la bestiole a de beaux jours de terreur et d’agapes devant elle.

Virtuosité et renouvellement

Pourtant, le procédé a ses limites. Alors que le monstre est plutôt réussi (tentacules interminables, queue préhensile, gueule béante s’ouvrant sur une succession d’autres orifices…), il perd peu à peu de sa crédibilité en raison des trop fréquents allers et retours entre drame et comédie. Bong Joon-ho laisse en effet peu à peu le burlesque prendre le pas sur le reste. Même ses messages socio-politiques sont brouillés par la manière malhabile dont il les délivre. La critique des Américains, qui non contents d’être les créateurs du monstre, sombrent dans la paranoïa au lieu de réagir utilement, se fait ainsi en demi-teinte, entre deux scènes, comme si le réalisateur n’assumait pas cette facette « sérieuse » de son film. L’aspect sociologique est de même restreint, tant on a du mal à s’imaginer que la famille Park puisse être représentative de qui que ce soit. Certes, on perçoit l’incongruité de leur situation (personne ne les écoute, les autorités en font l’ennemi numéro un presque avant le monstre, leur croisade est parsemée de coups de malchance), mais cela semble plutôt servir la cause burlesque qu’un éventuel message militant. C’est vrai, on aurait souhaité plus de chair et moins de ruptures de ton…

Restent l’indéniable virtuosité du film et son incroyable capacité à séduire les amateurs du genre (ravis de le voir se renouveler un peu) tout comme les néophytes, soulagés de se laisser porter par une intrigue bien construite qui ne mise pas tout sur les effets spéciaux et les scènes d’épouvante.

Le plaisir du spectateur

Bong Joon-ho (Barking dogs never biteMemories of murder) a une vision très personnelle de son métier de réalisateur puisqu’il déclare faire les films qu’il a envie de voir et que personne d’autre ne se décide à faire. C’est vrai que l’on est jamais aussi bien servi que par soi-même… Bong Joon-ho spectateur, donc, aime les films de genre qui mêlent humour noir, réalisme et imaginaire. Cocktail explosif et forcément intéressant dès lors qu’il est laissé aux mains d’un cinéaste qui n’a pas peur de grand chose et surtout pas de mélanger des éléments parfaitement opposés. « Si dans Barking dogs never bite, le quotidien et l’imaginaire manga entrent en collision, dans Memories of murder, c’est le réalisme et le genre », explique-t-il. « Dans The host, le conflit se trouve entre le bord de la rivière et l’apparition soudaine d’une créature inconnue qui transforme ce lieu en théâtre d’un grand désastre. Suite à l’apparition du monstre, cet endroit à la fois familier et populaire devient un lieu extrêmement étrange et dramatique. C’est le conflit entre la quotidienneté et l’imaginaire, entre la réalité coréenne et les caractéristiques du cinéma de genre, que j’ai voulu mettre en scène. Je pense que ce sont ces conflits que j’essaie d’explorer dans mes films. »

En plus, le réalisateur se plaît à désamorcer tous les aspects tragiques de son intrigue par une incursion parfaitement inattendue du burlesque. « Les situations les plus désastreuses ont toujours des aspects tragiques et comiques », se justifie-t-il. « Comme les héros du film sont plutôt pathétiques, il était inévitable qu’ils connaissent des situations loufoques. Evidemment, ils ne se battent pas avec des pistolets lasers. Je n’ai pas consciemment cherché à faire une comédie. Si un tel désastre arrivait en Corée, je suis certain que cela pourrait créer des situations similaires à celles décrites dans le film. »

Double sens

Les sources d’inspiration de Bong Joon-ho sont variées. Lui qui se déclare amateur d’œuvres comme Le salaire de la peur de Henri-Georges ou La horde sauvage de Sam Peckinpah et d’auteurs tels que Hou Hsiao-hsien, Shohei Imamura et Kiyoshi Kurosawa, s’est inspiré pour The host de Signs de Night Shyamalan et des Dents de la mer de Spielberg. « Quand j’ai parlé du projet pour la première fois, les gens avaient l’air perdu au sujet de la taille du monstre. La plupart pensaient à un monstre aussi gigantesque que Godzilla. Mais il est plutôt d’une taille similaire à celle d’Alien. Dans un sens, Les dents de la mer est également un film de monstre. La créature de mon film est un mutant. En tout cas, je ne crois pas qu’il existe un autre film ayant le même contexte que le mien. »

Tandis qu’en coréen, le film s’appelle Gue-mooi, ce qui signifie tout simplement « monstre », le titre anglais retenu également en France est à double sens. « La première signification de ce mot est « organisme vivant qui héberge un parasite ». Compris ainsi, ce titre donne l’impression que le film traite de quelque chose de biologique ou de mutation », explique Bong Joon-ho. « L’autre sens de ce mot, « personne qui offre l’hospitalité », suggère la signification sociopolitique du film. »

(texte publié lors de sa projection au Festival de Cannes)