Elle fut la grande (re)découverte du dernier festival de La Rochelle : Binka Jeliazkova, considérée comme la première réalisatrice de Bulgarie, a tourné neuf films entre 1957 et 1988, et s’est imposée comme une artiste libre et novatrice que l’État, malgré ses efforts (4 de ses longs métrages ont été censurés), n’a jamais réussi ni à faire taire, ni à récupérer.
Malavida Films lui consacre aujourd’hui une rétrospective joliment nommée « éclat(s) d’une cinéaste révoltée » qui se compose de deux longs métrages inédits en salle : Nous étions jeunes (1961) et Le Ballon attaché (1967). Le premier se déroule en 1941. Un groupe de résistants issus de la ligue de la jeunesse ouvrière prépare un attentat contre les forces nazies. À l’intrigue politique se mêlent deux histoires d’amour parallèles et un très beau portrait de personnages pris entre leurs désirs intimes et la force de leur conviction, filmés dans une liberté de ton et de forme d’une modernité étourdissante (voir le texte que nous écrivions au moment de La Rochelle).
Le second tient plus de la farce satirique et grotesque : une sorte de ballon dirigeable livré à lui-même apparaît au-dessus d’un village isolé, causant tout d’abord la terreur, puis provoquant un mélange de convoitise et d’espoir, à travers ce qu’il pourrait représenter de richesses pour la communauté. Le film suit les habitants du village dans leur déambulation picaresque à la poursuite du ballon qui apparaît tour à tour comme tout-puissant, ivre de liberté ou au contraire victime de la folie des hommes.
En parallèle, un documentaire d’Elka Nikolova (To tell a story about silence) permet d’en apprendre plus sur cette cinéaste fascinante dont on ne comprend pas qu’elle ait pu être un temps absente de la grande histoire du cinéma mondial. On y découvre notamment, au travers de nombreux témoignages, la manière très précise de travailler de la réalisatrice, mais aussi sa vision éminemment avant-gardiste, qui se vérifie presqu’à chaque scène de Nous étions jeunes, et fait du Ballon attaché un précurseur évident de l’oeuvre de Kusturica.
Il y est également question du contexte politique particulier dans lequel elle a dû travailler et de ses démêlés avec la censure. Bien qu’ayant pris une part active à la mise en place du nouveau régime, Binka Jeliazkova et son compagnon Hristo Ganev (qui fut son scénariste) avaient en effet très vite refusé d’en suivre le modèle. Ils payèrent pour cela le prix fort, à travers l’interdiction de leurs films, et de celle plus spécifique qui empêcha Binka de tourner durant plusieurs années.
On a, au sortir de ce documentaire, envie de rattraper tout ce qu’il est possible autour de l’oeuvre de la cinéaste. Cela tombe bien : deux autres de ses films sont attendus sur les écrans en juillet : son premier long métrage, La Vie s’écoule silencieusement (1957) qui fut interdit pendant 30 ans, et le sublime La Piscine (1977), qui met en scène la rencontre puis l’hésitation d’une jeune fille entre deux dissidents au régime, dans l’ambiance si particulière d’une époque que l’on dirait vide d’envies comme d’espoir, et qui pourtant fourmille de vie et d’énergie. À l’image, exactement, de tout son cinéma.