Disco Boy, des rites et une transe

Disco Boy, des rites et une transe

Premier film, à la lente gestation, de Giacomo Abbruzzese, Disco Boy est un objet filmique qui cherche son identité, à l’instar de ses personnages. On y dénote les traces d’un certain film d’auteur, autant influencé par Claire Denis, Apitchapong Weerasethakul que par Miguel Gomes. Ce qui ne signifie pas que le cinéaste italien n’a pas son style propre. Disco Boy est une sorte d’odyssée singulière, très contemporaine, qui s’échappe d’un arc narratif classique.

S’il a les défauts d’une première œuvre, notamment en abusant des ellipses et en n’explorant pas jusqu’au bout l’ambiguïté de son personnage principal, on peut facilement se laisser happer par cette étrange proposition sans frontières.

Plus que la psychologie des personnages, dont les motivations sont claires, c’est le corps qui fait le lien entre un Biélorusse (Franz Rogowski), fuyant sa dictature et intégrant la légion étrangère pour pouvoir acquérir la nationalité française, et un nigérien, chef d’un commando de rebelles activistes qui rêve d’aller danser loin de son village pollué par les hydrocarbures.

À bras le corps

Le corps est ici en souffrance, dans l’action, le combat, l’entraînement, la volonté de survivre. Il se libère grâce à la musique, expiant ses péchés et ses crimes. Car chacun est hanté par ses fantômes. Et la seule manière de les chasser est de danser sur leurs tombes.

Disco Boy entremêle divers récits pour tenter de dépeindre un monde hostile et violent, qui contraint l’humain à redevenir sauvage. En arrière plan, il y a bien sûr la nécessité de migrer vers des terres meilleures, mais aussi le poids de la colonisation capitaliste et culturelle, de l’exploitation des sols, des hommes et de la destruction de l’environnement. Cela mènera à un duel nocturne entre le blanc et le noir, l’européen et l’africain, filmé en infrarouge. Cela rend leur bataille irréelle… Mais avant tout cela permet de fusionner les corps dans un univers abstrait. Le vainqueur perdra malgré tout son âme dans l’histoire. Ou plutôt, il va devoir recevoir celle de son ennemi pour cohabiter avec le reste de sa vie.

Giacomo Abbruzzese aime filmer les corps : nus, dans l’effort, dans le mouvement, dans la sensualité. Il ne néglige pas une certaine forme d’homoérotisme avec ses légionnaires, qu’il martyrise comme des soldats de Full Metal Jacket ou des Combattants. Face à eux, un mouvement révolutionnaire et écologique qui ose s’en prendre aux puissants et au pétrole. D’un côté comme de l’autre, c’est une succession de rites et de traditions qui les forgent et les forment. Même la mort se répète : l’ami et l’ennemi s’enfoncent dans les abysses d’un fleuve. De rêves en hallucinations, on va ainsi entrer dans un autre monde, quitter celui du réel et de la culpabilité pour préférer l’ivresse de l’oubli et l’obsession de leurs visions.

Corps perdus

Tel un anthropophage qui croit assimiler la force de sa victime, le légionnaire se sent envahit par la force du rebelle. Jusqu’à acquérir ses talents de danseur, et devenir Disco Boy. Dans un jeu de faux-semblant et d’illusions, le réalisateur, jouant des étranges regards vairons du frère et de la sœur, de quoi hypnotiser jusqu’au spectateur, il accompagne une métamoprhose, ultime étape rituelle pour une transformation vitale. Car, noyé de regrets, anéanti par ses fautes, une fois de plus nu aux yeux des autres, il n’a plus qu’une issue de secours : fuir. « T’es un fantôme, un orphelin, un clandestin. Rien« .

Pourtant, il lui reste la danse. Et dans un ultime élan de vie, passant du côté du rebelle, il se lance dans une transe. Au bord de la folie. Dans la peau d’un autre. Sous l’emprise de son corps, puisque son esprit est déjà parti très loin. On aurait aimé que cette transe, mise en musique par Vitalic, très inspiré, dure plus longtemps.

Comme on aurait voulu que Disco Boy ne s’égare pas à certains moment dans des fausses pistes. Que le film se focalise sur ses intérêts – l’esprit de domination et la vanité des vainqueurs – et mette un peu plus en lumière la sœur du rebelle, unique femme du film, dont le rôle s’avère plus important qu’il n’en a l’air.

Mais avouons que ce voyage déroutant et fascinant, porté par le formidable Franz Rogowski et le charismatique Morr Ndiaye, ne laisse pas indifférent. Ensorceleur, le film nous marque par ses plans imprégnants, sa lanscinante extase artificielle et son atmosphère moite et suante. S’il n’était pas aussi désenchanté, pour ne pas dire pessimiste, ce Disco Boy (Ours d’argent pour sa contribution artistique à Berlin) aurait pu nous embarquer complètement dans ce tango électro et tribal.