Coup d’envoi pour le 5e European short Film audience Award

Coup d’envoi pour le 5e European short Film audience Award

Le coup d’envoi du European short film audience Award (ESFAA) 2023 a été donné samedi 29 avril lors du Bruxelles Short Film festival, le formidable festival bruxellois consacré au court métrage dont c’était la 26e édition.

L’idée de départ est intéressante : élaborer un programme de courts métrages qui n’ont pas été sélectionnés par un comité dédié, mais via les choix successifs du public de neuf festivals européens, parmi lesquels ceux de Clermont-Ferrand, Curtas Vila do Conde au Portugal, Tampere en Finlande ou encore Go Short au Pays Bas. Les films voyagent ensuite toute l’année dans les festivals participants, sous la forme de deux programmes, et sont à nouveau soumis au vote du public, afin d’élire le « meilleur » d’entre eux.

Au départ, le concept est contre-intuitif, puisque ce mode de sélection élimine toute idée de programmation, et donc de pensée globale derrière l’agencement des films montrés. On pourrait très bien, au gré des votes d’un pays à l’autre (chacun envoyant au ESFAA un film national), se retrouver avec des redondances ou des redites : c’est le jeu. On pourrait aussi (que le premier sélectionneur qui n’y a pas pensé me jette la première bobine de pellicule) se retrouver avec une succession de films plus mauvais les uns que les autres. 

Deux garde-fous permettent d’éviter ce genre d’incident : les films plébiscités ont bien été, au départ, choisis pour figurer dans une sélection. Que les programmateurs se rassurent : tout n’est donc pas totalement uncurated dans le projet. Par ailleurs, le hasard serait tout de même énorme de se retrouver, au hasard, avec 9 films sur la peine de mort venant de 9 pays différents au cours de la même année. 

C’est donc avec une certaine humilité que l’on aborde cette 5e sélection du ESFAA qui donne l’occasion de comprendre ce qui plait au public – et de vérifier au passage que ce n’est pas toujours ce qu’on a le plus envie de lui montrer. Soyons honnêtes, ce n’est pas vraiment une révélation : les prix du public vont souvent à des films à sujet, ou alors à des comédies, ou encore mieux : à des comédies à sujet. C’est d’ailleurs le cas du grand gagnant du Prix 2022 : Sprötch du réalisateur belge Xavier Seron, comédie noire qui prend le parti de faire rire avec la mort accidentelle d’un enfant avant de s’embourber dans un propos politique qui tourne à l’embarras. 

La sélection 2023 ne semble pas faire exception, et charrie son lot de questions sociétales de premier plan parmi lesquelles l’homophobie, le suicide assisté ou encore le racisme. La palme à l’émotion fait toujours recette, à tort ou à raison.

Mais si les spectateurs européens semblent aimer en priorité qu’on leur raconte quelque chose, ils semblent aussi parfois touchés par les questions formelles, ce qui ravira tous les comités de sélection du monde. C’est peut-être, là, dans cet interstice, qu’il y a une carte à jouer pour amener les spectateurs vers un cinéma plus audacieux et moins classique, pour ne pas dire formaté.

C’est ainsi que l’énigmatique Garrano de David Doutel et Vasco Sa, autour d’un père ferrailleur, de son fils renfrogné et d’un mystérieux incendiaire, a réussi à ravir le prix du public à Vila do Conde (Portugal) malgré un récit aux ressorts parfois brumeux, mais grâce à une esthétique forte et impressionnante. La peinture sur verre permet ici de très beaux effets de profondeur de champ et sublime les décors et les lumières, et surtout les flammes, qui jouent un rôle primordial dans le récit. On se laisse emporter par l’intensité des images et la violence des émotions suggérées, même si l’on n’est pas vraiment sûr d’avoir compris exactement les ressorts de l’intrigue.

Autre exemple de film formaliste qui a pu se hisser dans la compétition 2023 en remportant le prix du public au festival Encounters (Grande Bretagne) :  Babythump de Ian Killick, comédie noire, absurde et irrésistible autour d’un couple qui découvre un bébé dans son appartement. La particularité du film, au-delà de son humour très anglais et donc très corrosif, c’est qu’il a été tourné en 16mm, dans une économie de moyens telle que le réalisateur a dû recourir à des trésors d’inventivité pour qu’il voit le jour. Il a notamment dû imaginer des transitions entre les séquences qui imitent les effets d’une pellicule abimée, afin de cacher le fait qu’elle avait véritablement été endommagée sur la fin d’une scène qu’il n’était pas possible de retourner.

Or, cette idée visuelle donne immédiatement un ton singulier et inquiétant au film. Il y a également dans le film un plan à la netteté approximative qui renforce l’étrangeté de l’atmosphère : là encore, il était né par hasard suite à un problème d’objectif. Enfin, le point de vue extérieur en légère contre-plongée sur certaines scènes, parce qu’il n’y avait pas la place de poser la caméra ailleurs, ajoute au décalage constant créé par le récit. Le manque de chance est une faute professionnelle, disait-on dans une célèbre école de journalisme : savoir tirer le meilleur parti de ce manque de chance est en revanche un talent précieux.

Formalisme enfin avec le brillant Arquitectura Emocional 1959 de Elias León Siminiani, récemment récompensé à Brive, et plébiscité par le prix du public à Alcine, qui utilise l’architecture de la ville de Madrid pour mettre au jour les marqueurs sociaux qui conditionnent l’histoire d’amour entre deux étudiants pendant l’année universitaire 58-59. Avec sa voix off espiègle, ses reconstitutions assumées et son utilisation de cartes et de plans en coupe pour mieux appuyer son propos, le film ancre son récit et ses personnages dans la géographie urbaine de l’époque dont certaines rues semblent constituer des frontières invisibles et malgré tout infranchissables. C’est à la fois léger, politique et éminemment romantique, puisque le film suggère finalement que l’architecture s’avère au fond plus forte que la sociologie et qu’au lieu de séparer définitivement le jeune couple, elle n’aura peut-être eu de cesse que de les réunir au-delà de leurs différences.

https://www.youtube.com/watch?v=y0ImRXGXh0w

Il est donc finalement assez frappant de discerner à la fois une sorte de communauté d’esprit (par le choix de sujets « forts ») et une indéniable variété (formelle, narrative et stylistique) parmi les 9 films de cette édition du European short film audience Award – ce qui n’est au fond pas si éloigné de la physionomie classique d’une sélection élaborée consciemment par un comité. La diversité naît, encore et toujours, de la diversité des regards. De quoi donner envie de suivre avec attention la suite de la tournée européenne du programme, découvrir le nom du prochain lauréat, et se réjouir au passage d’une initiative qui sensibilise le grand public au format court et lui permet d’en appréhender très concrètement la richesse et la diversité.