Cannes 2023 | Jeanne du Barry, Florence Arthaud, l’Abbé Pierre, Anselm Kiefer, Pierre Bonnard, Edgardo Mortara, Wang Xilin, Pierre Goldman et les Osages sur grand écran

Cannes 2023 | Jeanne du Barry, Florence Arthaud, l’Abbé Pierre, Anselm Kiefer, Pierre Bonnard, Edgardo Mortara, Wang Xilin, Pierre Goldman et les Osages sur grand écran

Jeanne du Barry. Madame du Barry. La comtesse du Barry. 1743-1793.

Impossible de résumer la vie romanesque de cette roturière mondaine qui va épouser le comte Guillaume du Barry pour pouvoir vivre sa grande histoire d’amour avec le roi Louis XV. Entre les intrigues de la cour et les rivalités, cette courtisanne scandaleuse navigue dans ce beau monde sous les regards méfiants et méprisants. Devenue maîtresse royale, la favorite vit à Versailles de 1768 à 1774, jusqu’à la mort du roi. Détestée par la dauphine (et pieuse) Marie-Antoinette, elle savait alors qu’elle allait sombrer dans la disgrâce. D’autant que Louis XV, pour sauver son âme, avait demandé à ce qu’elle soit envoyée à l’abbaye du Pont-aux-Dames près de Meaux, et ordonné qu’elle ne réapparaisse plus à la Cour. Louis XVI, sous la pression de son entourage, la libèrera de cet « emprisonnement ». Installée dans son château de Louveciennes, elle devient surtout le sujet de nombreux faits divers.

Elle sera rattrapée par la révolution française. Ses relations avec les aristocrates émigrés en feront une ennemie du peuple. Dénoncée par son ancien page Zamor qu’elle avait humilié, insulté puis renvoyé, elle finit la tête coupée, comme tant d’autres, après un procès expéditif.

La Du Barry a souvent été une héroïne de cinéma (incarnée par Dolores del Rio ou Martine Carol). On a pu la voir à Cannes sous les traits d’Asia Argento dans le Marie-Antoinette de Sofia Coppola en 2006.

Jeanne du Barry, de Maïwenn. Hors-compétition.

Florence Arthaud. 1957-2015.

La petite fiancée de l’Atlantique. C’était le surnom de cette aventurière populaire. La première femme a gagné la Route du Rhim en 1990. Et un destin tragique puisqu’elle perd la vie dans un accident d’hélicoptère, en Argentine, lors d’un tournage d’une émission de télé-réalité pour TF1.

La navigatrice a un palmarès impressionnant. Elle a battu le record de la traversée de l’Atlantique nord détenu par Bruno Peyron. Avec Peyron, elle remporte la Transpacifique en 1997. Malheureusement, la recherche de sponsors s’avère de plus en plus difficile et ses performances (2e de la Route de l’équateur, 2e de la Transat AG2R) et elle arrête sa carrière à l’aube des années 2010. Elle devient alors écrivain.

Flo, de Géraldine Danon. Le Cinéma de la plage.

L’Abbé Pierre. Marie Joseph Henri Grouès. 1912-2007.

Quelle vie! Ce Lyonnais issu d’une famille pieuse, élévé chez les Jésuites, a eu un coup de foudre avec Dieu à ses 16 ans. Capucin dès ses 19 ans, renommé frère Philippe, il passe sa jeunesse dans une grande austérité consacrée uniquement à sa formation intellectuelle et religieuse. Il est ordonné prêtre en 1938. La guerre change la donne om il est mobilisé comme sous-officier mobilisé. Résistant et clandestin, il adopte alors le nom d’abbé Pierre. A la fin de la guerre, il réussit à rejoindre De Gaulle à Alger. Après la Guerre, il est élu député de meurthe-et-Moselle en novembre 1945. Une fonction qu’il occupera près de six ans.

Après son échec aux législatives de 1951, l’abbé renoue avec sa vocation. Il a créé deux ans auparavant le mouvement Emmaüs, financé par la vente de matériel et d’objets de récupération, pour construire des logements. Durant l’hiver 1954, il lance un appel mémorable pour sauver les sans-abris qui meurrent de froid. Il obtient 500 millions de francs en dons (dont 2 millions de Charlie Chaplin). Le mythe de l’abbé Pierre est né. En urgence, des logements surgissent de terre. Il obtient aussi une loi interdisant l’expulsion de locataires pendant la période hivernale. Cet épisode donne lieu à un film, Hiver 54, de Denis Amar, avec Lambert Wilson. A

près cela, Emmaüs se développe dans le monde entier, et devient une fondation en 1971, suivie de la Fondation Avvé-Pierre pour la lutte contre le mal-logement, en 1992. L’homme eut le droit à un hommage national lors de son décès. Il est actuellement l’objet d’une exposition à la Citéco – Cité de l’économie à Paris.

L’abbé Pierre, de Frédéric Tellier. Hors-compétition.

Anselm Kiefer. 1945 – …

L’artiste allemand, qui vit et travaille en France depuis 30 ans, est l’un des plus cotés du marché contemporain. Quand, en 1966, il passe trois semaines au couvent Sainte-Marie de La Tourette à Evreux, il ne partage pas seulement la vie religieuse des dominicains, il découvre « la spiritualité du béton » du bâtiment construit par Le Corbusier.

Hantée par la Shoah, l’œuvre d’Anselm Kiefer est volontairement provocatrice et parfois dénonciatrice, comme ce salut nazi qu’il fait pour une photo afin d’affirmer que l’idéologie hitlérienne n’est pas morte (son père était officier de la Wehrmacht). De là, il commence à construire son œuvre, existentielle, interrogative, puisant aussi bien dans les matériaux que dans l’histoire, utilisant le potentiel des nuances de couleur (parfois sombres) et des dimensions parfois gigantesques de ses supports.

Le monumentalisme de ses créations et la surdose de références, s’inscrivent dans un courant post-moderne. La destruction est en soi une inspiration, tout comme la contradiction. Il se nourrit de l’horreur de l’histoire, de l’amnésie collective, de matériaux récupérés (plomb, béton, sable, gravats, suie…). De là se forgent des œuvres appelant à la paix, la réconciliation, au souvenir, d »où se dégage une forme de mélancolie, de pessimisme et même de tristesse.

Primé à la Biennale de Venise, parmi de multiples distinctions, l’artiste est exposé dans de nombreux musées occidentaux (Guggenheim à Bilbao, National Gallery of Art, Louvre, etc.) et a fait l’objet de plusieurs expositions (Musée d’art moderne de la ville de Paris, Grand Palais, MoMA, Centre Pompidou, etc.).

Anselm, de Wim Wenders. Séance spéciale.

Pierre Bonnard (1867-1947) et Marthe Bonnard, née Maria Boursin (1869-1942).

Il était surnommé le « Nabi japonard » puis le « peintre du boneur ». Inclassable, Pierre Bonnard, a d’abord été marqué par le japonisme, y apportant une touche d’impressionnisme, en découvrant les estampes japonaises lors d’une exposition à l’Ecole des Beaux-arts. Etudiant en droit, il se consacre entièrement à l’art dès le début des années 1890. Solitaire, mais ami d’Edouard Vuillard et d’Henri Matisse, il rencontre Marthe en 1893. Elle devient à la fois sa muse et sa compagne. Le peintre puise son art dans son quotidien et sa vie de couple. Entre mélancolie et joie, intérieurs et nature, il se diversifie avec l’impressionnisme, les décors de théâtre, et la photographie.

Couple inséparable malgré les crises ou la maladie, Pierre et Marthe, deux âmes solitaires, se sont souvent réfugiés à l’écart des autres, d’abord en Normandie, puis sur la Côte d’Azur. Le décès de son épouse le plonge dans une dépression qu’il combat avec une peinture lumineuse et colorée.  À la mort du peintre quelques années plus tard, son œuvre comprend plus de 700 toiles et plusieurs milliers de dessins et d’aquarelles, aux styles très divers, et même complexes. Il ne se souciait ni des modes ni des courants esthétiques, devenant, sans le savoir un moderniste, mais surtout un immense coloriste.

C’est le musée d’Orsay qui dispose du plus grand nombre d’œuvre. Mais de nombreux tableaux du peintre sont exposés dans les musées américains, britanniques, à la Fondation Bemberg à Toulouse, à L’Ermitage à Saint-Petersbourg, à la Villa Flora en Allemagne, dans plusieurs institutions parisiennes). Ces dernières années, Bonnard a aussi fait l’objet de grandes rétrospectives à Paris, Madrid, Tokyo et Londres.

Bonnard Pierre et Marthe, de Martin Provost. Cannes Première.

Edgardo Mortara (1851-1940).

Ce nom ne vous dit probablement rien. Pourtant le petit garçon juif italien a été au centre d’un des plus grands scandales de l’histoire italienne et papale. Sous prétexte qu’il aurait été baptisé contre le gré des parents par sa nourrice, les autorités papales ont enlevé Edgardo à l’âge de presque 7 ans et l’ont converti au catholicisme. Un rapt, ordonné par l’inquisiteur de Bologne (et neveu du Pape) pour éviter une apostasie.

L’enfant est donc séparé de ses parents, conduit à Rome, renommé Pio et ça aurait pu en finir ici. L’église, profondément antisémite, en fait même un instrument de propagande, mentant éhontément sur le désir de l’enfant à être plus catholique que les catholiques. Peut-être un peu trop puisque la revue jésuite du Vatican, qui affirmait que le petit Edgardo était heureux de ne plus être juif, va être traduite en français. Ce qui provoque des protestations en France, en Allemagne, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, où les journaux en font un feuilleton sensationnel. L’affaire devient internationale et les gouvernements réclament que le petit Edgardo rejoignent ses parents. Napoléon III fait pression sur le Vatican, qui reste droit dans ses bottes. Le pape considère que l’enfant a été baptisé et ne peut plus être élevé dans le judaïsme, à moins d’être excommunié.

La position têtue et anachronique des Etats pontificaux va expliquer sa perte. Quand l’Italie va annexer son immense territoire, aucun État ne réagira, laissant au pape un confetti, le Vatican.

Dans le même temps, la justice acquitte les responsables de l’enlèvement. Et le pape Pie IX répètera l’affaire Mortara avec l’affaire Cohen.

Edgardo / Pio est ordonné prêtre et n’a jamais renié le catholicisme, jusqu’à considérer son pape comme un saint. Il n’a jamais émis la moindre critique contre le Vatican et n’a jamais compris le scandale dont il avait été l’objet. Il a même espéré la conversion de sa mère et de sa fratrie.

S’il meurt en Belgique juste avant l’invasion allemande, une grande partie de sa famille est assassinée durant la Shoah

L’enlèvement (Rapito), de Marco Bellocchio. Compétition.

Wang Xilin. 1936 – …

Wang Xilin est l’un des compositeurs contemporains majeurs en Chine. Il a composé son premier quartet pour cordes en 1961 et sa première symphonie l’année suivante.

Les purges de Mao ne l’ont pas épargné. Critiquant la politique du dirigeant chinois qui rejettait tout musique occidentale, Wang Xilin a été licencié de l’orchestre symphonique de la radio centrale et condamné à des travaux forcés, avant de passer six mois dans un asile psychiatrique puis d’être emprisonné. Il y fut torturé et y a perdu une partie de son audition.

Il reprendra son métier de chef d’orchestre à la fin des années 1970, après la Révolution culturelle. De là, il sera adoubé par les autorités, gagnant plusieurs prix et voyageant dans le monde entier. Son œuvre prolifique (près d’une vingtaine de symphonies, deux concertos, 40 musiques de films ou de télévision) et sa notoriété mondiale font de lui une figure emblématique de son pays. On lui doit d’ailleurs une symphonie composée pour les Jeux olympiques de Beijing en 2008.

Man in Black, de Wang Bing. Séances spéciales.

Pierre Goldman (1944-1979).

Militant et intellectuel d’extrême-gauche, ancien bandit et demi-frère du chanteur Jean-Jacques Goldman, Pierre Goldman a eu une existence mouvementée et violente. Après avoir été dans les services d’ordre de syndicats et de groupuscules étudiants, il tente de prendre part à la guérilla au Vénézuela. Puis, il commence sa carrière de hors-la-loi. Paumé et exalté, insoumis et suicidaire, il n’est pas loin de la folie quand il bascule dans le banditisme. Il envisage alors d’enlever Jacques Lacan et Jean-Edern Hallier. Au lieu de cela il opère plusieurs braquages à main armée.

Mais il est aussi accusé du meurtre de deux femmes durant un casse. Ce qui lui vaut la réclusion à perpétuité. Il clame son innocence, accuse la police de conspiration, la France de racisme et d’antisémitisme. Une pétition signée par Sartre, Beauvoir, Le Forestier demande une révision du procès. Mitterrand ne croit pas à sa culpabilité. Giscadr souhaite un rejugement. Lors du second procès, il sera acquitté pour les deux meurtres et condamné à douze ans de réclusion criminelle pour ses holdups. Son avocat était Georges Kiejman, décédé le 9 mai dernier. Aujourd’hui encore, son implication dans les deux meurtres reste non prouvée, même si, avec le temps, elle est devenue possible….

Lors de son incarcération, il rédige Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France, où il revient sur ses origines et sa lutte contre le nazisme et l’antisémitisme, mais aussi sur son tempérament naturellement rebelle et indiscipliné. En prison, il est plus stable. Il correspond avec Régis Debray, reçoit de l’aide de Simone Signoret, se marie, passe des diplômes en espagnol et philosophie. Pierre Goldman sort finalement de prison en 1976, sous liberté conditionnelle. Il tente d’être journaliste, mais replonge dans le milieu des malfrats.

Il est finalement assassiné en 1979. Si un groupe présumé d’extrême-droite revendique l’assassinat, ce meurtre n’a, lui aussi, pas pu être élucidé.

Le procès Goldman, de Cédric Kahn. Quinzaine des cinéastes.

Les Osages. Depuis 700 av. JC…

On aurait pu, pour finir, parler d’Ernest Burkhart et de son oncle William Hale, auteurs d’un complot meurtrier visant à assassiner des Amérindiens pour obtenir leurs terres.

Mais parlons plutôt des victimes. Osages vient du français « eaux sages ». Eux-mêmes se nomment Wazhazhe, « enfant de l’eau du milieu », peuple alors installé dans le Missouri. Actuellement, la tribu se trouve principalement dans l’état de l’Oklahoma, dans le comté d’Osage (qui a donné lieu au titre d’une pièce adaptée au cinéma, Osage County, avec Meryl Streep et Julia Roberts).

La colonisation française dura près de deux siècles avant la vente de la Louisiane par les Français aux Américains, qui commencèrent à les placer dans des réserves de l’autre côté du Mississipi. Or, c’est sur leur nouveau territoire que le plus grand gisement de pétrole de l’époque est découvert en 1894. Ce qui va les enrichir considérablement, et leur donner un statut politique (les Osages bénéficient de la citoyenneté du pays). Mais cela va aussi causer en partie leur perte. Car malgré leur fortune, les Osages étaient surveillés par le gouvernement. Le congrès mis en place une tutelle pour contrôler la gestion de leurs revenus. Ce qui permit à des hommes d’affaires et avocats de s’engraisser sur leur dos. Mais surtout, par la corruption et des faux documents, ils privèrent les Amérindiens de terres, droits et héritages.

Dans les années 1920, un puissant magnat local, William Hale, va conspirer pour assassiner plusieurs dizaines d’Osages afin de récupérer leurs terres. Ce règne de la terreur, doublé d’autopsies non réalisées et de crimes volontairement non élucidés, dura quatre ans. Au total une soixantaine d’Amérindiens a trouvé la mort et perdu leurs biens.

Cela a conduit le Bureau of Investigation (ancêtre du FBI), alors dirigé par le jeune J. Edgar Hoocer, et chargé de chasser les « voleurs de terres », à s’en mêler. Tom White mènera l’enquête, et procèdera, notamment, à l’arrestation de William Hale. La première grande victoire médiatique du bureau fédéral.

Killers of the Flower Moon, de Martin Scorsese. Hors-compétition.