Cannes 2023 | Le Règne animal : espèce (de film) en cours d’apparition

Cannes 2023 | Le Règne animal : espèce (de film) en cours d’apparition

Après avoir vu Le règne animal, on se demande depuis combien de temps on n’avait pas vu un film français avec une telle ambition visuelle et narrative. Un fim hybride, entre cinéma fantastique, teen-movie et fable écologique.

Le point de départ de l’histoire est une mutation génétique qui affecte de plus de plus d’individus. Le registre presque surnaturel est à la fois un prétexte et un environnement pour développer une histoire plus intime sur les relations humaines et sur notre rapport au vivant et à l’autre. Quand des citoyens se métamorphosent progressivement en animal (oiseau, loup, cochon, poisson, etc…) , c’est tout le fonctionnement de la société qui déraille, déclenchant de multiples interrogations et sentiments : fuir ou affronter, la peur ou l’espérance, combattre ou concilier, la haine ou l’empathie.

Dans un monde en proie à une vague de mutations qui transforment peu à peu certains humains en animaux, François fait tout pour sauver sa femme, touchée par ce mal mystérieux. Alors que la région se peuple de créatures d’un nouveau genre, il embarque Émile, leur fils de 16 ans, dans une quête qui bouleversera à jamais leur existence...

Mais la grande réussite du cinéaste Thomas Cailley, et de sa co-scénariste Pauline Munier, est d’avoir réussi une œuvre hybride, alliant des scènes d’action surprenantes et des moments de tension angoissants, au milieu d’une relation père-fils magnifique dans cette ode à la différence.

Si Le règne animal est très français et ne cherche pas à imiter une forme de standard hollywoodien, on peut se risquer, malgré tout, à une comparaison flatteuse. Le film a sa propre singularité tout en flirtant avec un cinéma qui regarde vers celui de Guillermo del Toro ou de Bong Joon-ho. Avec la particularité de citer en références le fabuleux À bout de course de Sidney Lumet ou le superbe Un monde parfait de Clint Eastwood. Car il s’agit autant d’un film sur la mutation de l’espèce, le désastre écologique, le renfermement et la violence de nos sociétés que d’un drame sur un père et son fils. L’humain se veut rationnel, intelligent, savant. Comme le paternel se veut protecteur, raisonné et espérant. Ici, la nature va reprendre ses droits, s’offrir une belle revanche sur l’homo sapiens, et va conduire l’espèce à retrouver son animalité, en cohésion avec son environnement. Le déni est un désastre. Tout comme l’ignorance. Aussi, mieux vaut-om accepter le coup du sort de l’évolution.

Into the Wild

Le principal prodige est ce mélange entre fantastique et mélodrame. Il faut tout un savoir-faire pour que le spectaculaire et les effets spéciaux (ou spécistes) s’efface au service des acteurs. L’équilibre est rare et, ici, réussit : Romain Duris est intense, Adèle Exarchopoulos apporte un contrepoint décalé, et plus encore c’est la nouvelle génération qui imprime l’écran : Billie Blain, Tom Mercier, et bien sûr Paul Kircher, épatant dans son rôle d’ado mal dans sa peau et qui va devoir assumer sa transformation.

« Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience. »

Derrière l’enjeu principal – un père confronté à une épouse et un fils en mutation cherche le meilleur moyen pour eux de vivre leur nouvelle vie – plusieurs questions se posent et sont autant de paraboles à des interrogations contemporaines. Et notamment celle-là : comment réagir face à un monstre, qu’est-ce qu’il y a en nous-même de monstrueux ? On pourrait faire l’analogie avec les animaux, que nous détruisons progressivement, ou les étrangers, que nous menaçons régulièrement. Quand le film commence, on apprend que ces ‘mutants’ sont enfermés dans des centres spécifiques pour être mis sous médicaments et isolés pour ne pas constituer une menace ou un danger. De la pure matraitance animale… Par malchance, tout un convoi va se retrouver en pleine nature, dans le sud de la France. Doit-on les soigner, les opérer, les chasser, les exterminer, les parquer?

Le réalisateur Thomas Cailley s’intéresse à ces peurs irrationnelles dans une société craintive et paumée. Neuf ans après le formidable Les Combattants (avec Adèle Haenel et Kévin Azaïs, sélectionné à Cannes), Le règne animal confronte l’humanité à sa propre destruction, dans un monde où le vivant reprend ses droits. Le scénario se dirige vers une fable écologique sur fond de compréhension et de tolérance. Un peu comme X-Men le faisait avec ses gros moyens pour évoquer la difficulté à être différent.

« Des créatures ont attaqué le centre d’équitation. Une vraie boucherie. Une boucherie chevaline, j’ai envie de dire. »

Rythmé par plusieurs séquences de bravoure, comme cette capture à l’intérieur d’un centre commercial ou une course poursuite nocturne dans un champs, le film parvient à exposer et étudier les conséquences provoquées par cette situation inédite entre mutants et humains avant de basculer vers le point de vue des mutants, ces ex-humains. Ce qui amènera au choix du père, logique et évident : la nature l’emporte toujours sur notre misérable espèces.

Sanctuary

S’il a les faiblesses de son hybridité, un rythme parfois un peu relâché et quelques séquences moins abouties, le film reste inquiétant et tendu de bout en bout, notamment avec un bel usage de caméra suggestive et une musique parfaitement adéquate. C’est aussi sans doute lié au récit, qui, lui-même, mue de la peur de l’inconnu vers la peur du monde connu. Le règne animal, parfois drôle, touchant, dramatique ou même tragique, s’avère finalement enchanteur, fantastique même (dans tous les sens du terme), plus qu’effrayant.

La survie passe par la capacité à s’adapter. Thomas Cailley l’a très bien compris en réalisant son ambition, en assumant son risque. Une sorte d’anomalie, salutaire, dans le cinéma français. La mise en péril valait le coup…