Cannes 2023 | Les Meutes : une nuit en enfer

Cannes 2023 | Les Meutes : une nuit en enfer

Un combat de chiens se prépare, mais les animaux sont moins enragés que certains hommes autour, et ça dégénère en dispute. Le chef d’un gang ordonne le kidnapping d’un rival pour se venger. Le boulot est confié à Hassan et son fils Issam. C’est simple, enlever le type et le mettre dans une voiture pour l’emmener quelque part. Malheureusement, à l’arrivée le type ne respire plus. Alors tout va devenir compliqué. Il faut d’abord se débarrasser du cadavre… C’est à Casablanca la nuit, et la nuit sera longue en mésaventures.

Dans les faubourgs populaires de Casablanca, Hassan et Issam, père et fils, vivent au jour le jour, enchaînant les petits trafics pour la pègre locale. Un soir, ils sont chargés de kidnapper un homme. Commence alors une longue nuit à travers les bas-fonds de la ville...

Les premières séquences du combat de chiens ont quelque chose de familier, c’est une situation classique de jeu clandestin où on vient parier et gagner quelques billets. Tout les regards sont dirigés vers le combat mais pas seulement. C’est un rendez-vous interlope qui fait se croiser aussi bien gros malfrats que petites frappes, mais aussi des types de passage. Hassan semble être un brave type qui n’a rien d’un voyou, quand le job se présente d’aller kidnapper un homme. Il sait déjà que ce n’est pas une chose à faire : ce n’est pas bien, mais pour cette fois, parce qu’il a besoin d’argent, il doit le faire. Pour ce boulot, il embarque avec lui son jeune fils Issam, soit quelqu’un de confiance : ça devrait bien se passer. Premier problème, il faut trouver un véhicule, puis réussir à kidnapper le type et à le mettre dedans, pour enfin l’amener ailleurs. C’est faisable, à eux deux ensemble, ça ne devrait pas prendre trop longtemps Mais la nuit sera très longue et pleine d’imprévus…

« On va le déposer chez le type qui l’a demandé »

C’est une situation typique de polar. Après quelques préparatifs, la mission, a priori simple, va devenir un imbroglio étouffant qui va impliquer de plus en plus de personnes peu recommandables. Une spirale de problèmes et de violence va survenir durant une nuit très éprouvante, et au milieu l’histoire d’un père et de son fils qui vont se redécouvrir.

Les meutes impressionne pour cette dualité. Le scénario de ces mésaventures qui dérapent se dédouble avec cette relation père-fils, fragile dans l’adversité. Les deux acteurs Abdellatif Masstouri et Ayoub Elaid sont non-professionnels, et leur première fois à l’écran révèle au delà de leur ‘gueule de cinéma’ deux talents qu’on espère revoir. La ville de Casablanca et ses alentours est surtout filmée de nuit, tel un décor où tout est possible, y compris les multiples rebondissements les plus improbables.

Si kidnapper quelqu’un ce n’est pas bien, faire disparaître un cadavre s’avère quelque chose de mal… Tout le long du film, il est question en filigrane de scrupules et d’arrangements avec la morale ou la religion. La ville est à la fois un décor abstrait et sombre et, en même temps, une chape de plomb qui forme un piège. Le périple des deux malheureux héros va les conduire aussi bien à un bord de mer qu’à la campagne. Et partout, ça va devenir pire. Les personnages semblent constamment obligés d’agir comme il ne faudrait pas. Leur aventure est une impasse. Il faut faire des compromissions pour s’en sortir et la survie s’accorde peu avec la loyauté…

La face cachée du Maroc

Le cinéaste Kamal Lazraq était sous les radars de Cannes depuis son court-métrage Drari après sa formation à la FEMIS (deuxième prix de la Cinéfondation au Festival de Cannes 2011) et son court L’homme au chien. Le scénario de ce premier long-métrage Les meutes avait eu un prix à la Création de la Fondation Gan en 2021 : le film a donc été sélectionné à Un Certain Regard de ce Cannes 2023.

Kamal Lazraq propose là un film qui impressionne fortement. Cette plongée dans Casablanca avec une structure de polar aborde à certains endroits certaines particularités du Maroc comme le poids des croyances (se débarrasser d’un cadavre n’empêche pas d’envisager des rites funéraires) ou une masculinité violente (le personnage de l’unique femme du film est le seul à avoir un rôle d’apaisement et de dignité préservée). Durant cette longue descente aux enfers, la relation entre le père et le fils va progressivement muer : le fils est d’abord suiveur par solidarité. Il garde encore un certain sens de la morale. Mais par la suite, le père accablé voudrait faire au mieux et sera alors guidé dans l’action par son fils, qui fait sauter les digues et s’enfonce dans le pire.

Les meutes de Kamal Lazraq sera pour le Maroc un équivalent d’Un homme intègre de Mohammad Rasoulof pour l’Iran ou de A Dark, Dark Man de Adilkhan Yerzhanov pour le Kazakhstan : la révélation d’un grand talent de cinéaste qui, sous le prisme du polar, interroge certains particularisme de sa culture.

Les Meutes
Réalisation : Kamal Lazraq
Scénario : Kamal Lazraq
Casting : Ayoub Elaid, Abdellatif Masstouri, Mohamed Hmimsa, Abdellah Lebkiri, Lahcen Zaimouzen, Salah Bensalah, Mohammed Kharbouchi...
Sortie en salles : 12 juillet 2023
Durée : 1h34