Cannes 2023 | Only the River Flows : film noir en plein brouillard

Cannes 2023 | Only the River Flows : film noir en plein brouillard

Une Chine poisseuse sous la pluie battante. Retour en 1995 et plongée dans un film noir. Shujun Wei, déjà bien ancré à Cannes (On the border en compétition court métrage en 2018, Courir au gré du vent en sélection en 2020, Ripples of Life à la Quinzaine il y a deux ans), propose ici un polar, avec quelques pincées d’humour et de mauvais esprit pour l’alléger.

En plein brouillard, l’enquête d’un brillant flic, tenace et taciturne, Ma Zhe (Yilong Zhu, chanteur et acteur star multiprimé) s’enlise au fil des indices. « Dès qu’une piste se refroidit, on en découvre une autre« .

Only the River Flows est une affaire criminelle qui fait du sur place. La quête de vérité est alors troublée par le doute qui s’insinue partout. De quoi tourmenter un chef de la criminelle et explorer les zones d’ombre de l’âme humaine.

Secrets et mensonges

Le réalisateur n’hésite pas à user et abuser des codes du genre, quitte à ne pas pouvoir se débarrasser de quelques stéréotypes lassants. Cependant, en faisant du tueur un fantôme qui échappe à tous ses poursuivants, il rend l’ennemi insaisissable. De quoi maintenir le suspense. En multipliant les suspects potentiels, il transforme l’enquête en un jeu labyrithique qui se transforme en jeu de massacre individuel. La perte de confiance se conjugue alors à la culpabilité des erreurs cumulées. Après tout, une concordance des faits ne suffit pas à prouver quoi que ce soit.

C’est ainsi que Only the River Flows égare son « héros » pour le perdre définitivement. C’est la beauté insidieuse du film qui se révèle : les mensonges ont parfois une vertu, et le vice n’est pas forcément tapi là où le croit. Le réalisateur cherche ainsi à traduire la complexité psychologique humaine dans un environnement où chacun a ses secrets et des raisons de vivre cacher pour tenter d’être heureux. Pour leur malheur, ils en deviennent suspects, traqués, victimes.

Le film dévoile une Chine des bas fonds et des précaires, soumis à l’autorité toute puissante d’une police qui s’avère incompétente. La folie l’emporte, le flic, animal de sang froid progressiste et intelligent, voit le sol se dérober sous ses pieds, y compris au sein de son foyer, et l’affaire, qu’on croit classée à la moitié du film, n’est toujours pas résolue.

Le fou prend le roi

Tout se détraque par petits bouts. Le film noir se défragmente en thriller psychologique. Son chef de la criminel déraille et se retrouve piéger dans une impasse. On lui refuse tous ses choix personnels, quitte à l’aliéner et le contraindre à conserver une existence qui menace son équilibre personnel. Pour s’en sortir, il n’aurait d’autres choix que de tuer « le fou » qui le rend fou. Au bord du burn-out, il sent que la raison lui échappe (jusque dans cette séquence onirique suprenante et magnifique). L’obssession dévore ce qui lui reste de rationnalité. Finalement, le mystère s’épaissit, tout devient opaque et comateux. On comprend vite que la vérité ou la vengeance ne seront pas au rendez-vous.

Avec quelques rebondissements inattendus, et souvent dramatiques, Shujun Wei montre qu’il maîtrise efficacement cette histoire maintes fois vues pour en faire une œuvre un peu plus singulière. Only the River Flows fracasse chacun de ses personnages à l’exception du tueur, qui s’évapore au bord de cette rivière, libre comme l’air. L’atmosphère dense qui nimbe le film illustre alors parfaitement l’inquiétude et l’incertitude qui pèsent sur l’enquête et ses protagonistes. Le polar se révèle alors plus convaincant dans sa construction, entre délire paranoïaque et isolement du héros au sein d’une société qui vante artificiellement le collectif. Le film se mue alors en un conte macabre flottant où la justice disparaît dans les limbes d’une communauté intranquille.