Cannes 2023 | L’été dernier : passion chaude et transgressive en milieu tempéré

Cannes 2023 | L’été dernier : passion chaude et transgressive en milieu tempéré

Ecartée des plateaux depuis dix ans pour raisons de santé, Catherine Breillat revient par la grande porte. Ou plutôt par une montée des marches inattendue. Remake d’un film danois, L’été dernier avait tout pour la séduire : un ange pas si angélique, du sexe comme une comédie humaine, un aveu de faiblesse, un amour presque parfait, une romance entre un vrai jeune garçon et une « vieille » maîtresse. Le film est une anatomie de la tentation, infernale, qu’on lui résiste ou pas.

En signant l’un de ses films les plus aboutis, la cinéaste revient en force avec un drame lumineux et vif, porté par une Léa Drucker au jeu subtil et éblouissant. Le sujet en lui-même aurait pu être immoral. Au pire, il est transgressif. Breillat continue d’ausculter les zones grises du désir, ce no man’s land entre le jugement moral et l’évidence de l’attraction. Tout ce que Todd Haynes n’est pas parvenu à nous montrer dans May December.

Il y a deux différences de taille entre ces deux films où une épouse et mère couche avec un jeune homme mineur. D’une part, il n’y a pas de faute pénale dans L’été dernier. D’autre part, le personnage de Léa Drucker succombe au charme vénéneux de son beau-fils, ce qui n’est ne relève donc pas de l’inceste. Il existe aussi un trait commun entre les deux affaires : l’attirance charnelle l’emporte sur la raison.

« Je suis gérontophole, tu sais. »

Sans aucune perversité, Catherine Breillat filme une histoire sensuelle et psychologique très fine sur un sujet tabou. Avec un personnage féminin heureux en amour et respecté professionnellement, elle ne tombe dans aucun piège ou aucune facilité pour justifier cette attirance transgénérationnelle. L’été dernier n’est pas Le lauréat, mais cousine lointainement avec Le lieu du crime d’André Téchine et Les amants de Louis Malle. Car ce n’est ni la frustration sexuelle, ni la peur de vieillir, ni même un quelconque fétichisme qui la conduit à faire l’amour avec cet adolescent difficile, menteur et même manipulateur.

Il venait d’avoir 17 ans…

Le plus troublant est qu’elle les montre comme un couple ordinaire. Il prend la place de son père de manière déconertante : s’amusant lors de la baignade, assis dans la voiture, en portant l’une des deux demi-sours endormie, papotant au bar avec elle… Il a pour lui l’insouciance de la jeunesse et l’inquiétude de l’avenir. Samuel Kircher (qui ressemble beaucoup à son frère, Paul, vu dans Le règne animal) incarne magnifiquement ce garçon tantôt formidable tantôt épouvantable, qui n’aime pas avoir mal mais qui est sincère dans ce qu’il éprouve pour sa belle-mère. « Les sentiments, c’est pas un « truc«  ».

Dans ce rapprochement progressif des corps, le désir est insaisissable et jamais appuyé. Les deux amants restent dans leur couloir : elle, lucide même dans la déraison, qui avoue s’être laissée emporter (« Et maintenant on est dans la merde« ) ; lui, englouti par la passion et qui refuse d’être jeté. Plus subrepticement, Breillat et son co-scénariste Pascal Bonitzer glisse ici et là quelques détails sur le caractère des deux qui épaississent le brouillard qui les sépare. Elle ne cache pas un appétit pour la destruction et l’autodestruction, ni même son machiavélisme. Il ne masque aucune de ses contradictions (« Un Bigmac c’est pas de la viande, c’est trop bon« ). Si bien qu’on ne sait pas qui plaindre quand la guerre est déclarée entre eux deux, malgré les dommages collatéraux possibles et la dévastation des protagonistes éventuelle.

Un amour impossible

Ce qui frappe finalement dans cette histoire assez banale, c’est bien sûr l’évidence du plaisir donné et reçu par ces deux êtres si différents. Inexplicable mais pas illégitime. Sauf bien sûr pour la sœur fusionnelle (Clotilde Courau) ou le mari (Olivier Rabourdin, trop rare pour ne pas le manquer ici), concerné au premier plan. Mais là aussi, la réalisatrice refuse une dramatisation excessive et parie sur l’empathie, l’intelligence et l’instinct de survie de chacun pour aboutir à un final pas forcément conformiste et bien plus intéressant que prévu.

C’est ce qui rend ce film si fascinant derrière une facture a priori classique. Avec ses dialogues bien écrits, ses sous-textes bien esquissés, des personnages bien dessinés, le film refuse de terminer en procès de l’un ou de l’autre ou en tragédie irréversible. Là où Paul Verhoeven avec Elle, produit également par Saïd Ben Saïd, jouait sur une ambiguïté malaisante, Catherine Breillat préfère un règlement « à l’amiable ». À l’accusation de mensonges et d’immoralités, elle choisit plutôt le proverbe du « pour vivre heureux, vivons cachés« . Jusqu’à cette ultime réplique du mâle impuissant, à la fois mari et père, qui enfouit le secret dans le creux de l’oreiller…