Cannes 2023 | Rien à perdre : une mère contre l’aide sociale à l’enfance

Cannes 2023 | Rien à perdre : une mère contre l’aide sociale à l’enfance

Le drame engagé autour d’une injustice peut être vite plombant, et caricaturé. Cependant, avec Rien à perdre, Delphine Deloget parvient à nous embarquer dans une spirale émotionnelle non dénuée d’attraits. Flirtant avec le cinéma de Ken Loach, la cinéaste tente le mélange délicat entre romanesque et réalisme, entre sentimental et social.

Le film pourrait apparaître comme une dénonciation assez binaire d’un système, l’aide sociale à l’enfance. Malheureusement, la fiction est très en deça des accusations régulièrement portées contre cette institution, évidemment utile, mais excessivement zélée à l’encontre de certains parents, et mal équipée pour protéger correctement les enfants (ce qui est pourtant son objectif).

Sylvie vit avec ses deux enfants, Sofiane et Jean-Jacques. Une nuit, Sofiane se blesse alors qu’il est seul dans l’appartement. Les services sociaux sont alertés et placent l’enfant en foyer, le temps de mener une enquête. Persuadée d’être victime d’une erreur judiciaire, Sylvie se lance dans un combat pour récupérer son fils...

Rien à perdre part du postulat que la mère n’est pas vraiment responsable de la situation et que l’Etat est trop intrusif et trop radical. Le spectateur est sommé d’être dans le bon camp. C’est là la principale faiblesse du scénario. Trop didactique sans aucun doute, jusqu’à conférer à India Hair un personnage tellement ingrat qu’il en devient naturellement détestable.

Si on se laisse happer par cette fuite en avant où une mère cherche par tous les moyens à récupérer son gamin, c’est grâce à une mise en scène ne s’apesantit pas sur le pathos, préférant l’énergie, la colère, et l’obsession comme moteur. Les scènes sont courtes, mais n’empêchent jamais les respirations nécessaires pour que les protagonistes puissent transmettre leurs humeurs variables.

Viscéral

Il faut dire que la mère, incarnée par une Virginie Efira habitée par son rôle, passe par tous les états dans son combat contre une institution et un système qui la répudie. Précaire, dans un milieu solidaire, elle doit affronter des règles administratives parfois absurdeset un monde bourgeois sûr de son droit. Elle en prend littéralement plein la gueule à cause d’un banal accident domestique. Tandis que l’Aide sociale à l’enfance ne se remet jamais en question même si ses résultats sont contestables.

Rien à perdre provoque ainsi l’émotion prévisible. On se place du côté de la rebelle, même si on lui conseillerait bien de savoir se retenir, soutenue par son aîné (Félix Lefebvre, décidément doué). Le piège se referme sur l’ASE, incapable d’humanité et impuissante à justifier ses décisions. Dans l’affaire, l’enfant arraché de son foyer chaleureux soi-disant néfaste pour se retrouver sous la coupe d’un monstre froid officiellement bienveillant, est la véritable victime. On aurait presque aimer que le film s’attarde un peu sur son point de vue…

Frontal

La réalisatrice opte plutôt sur les états d’âme et la force de l’amour de la mère. Le film rebondit ainsi au fil de ses réactions et de ses inactions. Puisqu’elle n’a rien à perdre, elle va dépasser les limites. Et quand on va trop loin, « on ne sait plus où aller« . La fuite est la seule solution échappatoire. Tout à gagner de se mettre hors-la-loi (dans un final un peu téléphoné) puisque la Loi est toxique et destructrice.

On peut regretter, finalement, ce parti pris trop manichéen. Mais en dénonçant un vrai scandale institutionnel au travers d’une fiction hypersensible, Delphine Deloget, à l’origine documentariste, réussit à nous interroger sur le comportement de chacun face à l’injustice, quitte à prôner la désobeissance civile. C’est bien cette subjectivité de la fiction qui permet à la cinéaste de transcender le portrait d’une mère dépassée pour arriver au tableau d’une société déshumanisée.