Cannes 2023 : Elémentaire ne rallume pas la flamme Pixar

Cannes 2023 : Elémentaire ne rallume pas la flamme Pixar

Les films du studio Pixar ont longtemps été le synonyme d’une qualité hollywoodienne retrouvée dans l’animation. Ce sont ceux qui cumulent le plus de nominations (17 en longs-métrages) et de statuettes gagnées (11) aux Oscars, y compris face à Disney (devenu propriétaire de Pixar) ou DreamWorks (respectivement 13 et 14 nominations pour 4 et 2 victoires)… Il faut ajouter 5 Oscars du meilleur court-métrage d’animations pour 17 nominations. Le tout en moins de 30 ans. Impressionnant. Côté box-office, Pixar a signé quatre films ayant rapporté plus d’un milliard de dollars mondialement. Mais depuis 2017, avec le succès de Coco et le semi-succès de Cars 3 et le carton de Toy Story 4 en 2019, Pixar a perdu sa magie auprès du public qui préfère voir les films familiaux sur Disney+ (les six derniers films du studio ont été les moins performants au box-office, ne dépassant jamais les 250M$ dans le monde).

Depuis le départ de John Lasseter et le rachat par Disney, on constate une sorte de standardisation interne pour qu’un nouveau film séduise le plus grand nombre en s’appuyant en partie sur les qualités des succès précédents du même studio. La « franchisation » est certes rentable. Mais Pixar cherche toujours un renouvellement plus ou moins heureux. Certains nouveaux titres sont plus attendus que d’autres, mais hormis Soul, aucun n’a été réellement emballant.

Une Rom-com déjà vue

Pixar débarque à Cannes pour la quatrième fois, tentant ainsi de se relancer par le prestige marketing des marches du palais des festivals : Là-haut fut une superbe ouverture du festival en 2009, Vice-versa enthousiasma le public, hors-compétion, en 2015, Soul a eu le mérité ‘Label Festival de Cannes 2020’ (festival annulé pour cause d’épidémie covid). Et voici Elémentaire en clôture de ce festival 2023.

Le point commun entre Là-haut (le deuil), Vice-versa (les émotions) et Soul (le sens de la vie) est de vouloir explorer des thématiques adultes avec certains concepts narratifs qui correspondent partfaitement à l’animation. Mais ce sont aussi des films réalisés par l’autre âme de Pixar, Pete Docter. Elémentaire, réalisé par Peter Sohn ne créé aucune véritable surprise. Ce n’est ni plus ni moins qu’une simple comédie romantique.

Dans la ville d’Element City, le feu, l’eau, la terre et l’air vivent dans la plus parfaite harmonie. C’est ici que résident Flam, une jeune femme intrépide et vive d’esprit, au caractère bien trempé, et Flack, un garçon sentimental et amusant, plutôt suiveur dans l’âme. L’amitié qu’ils se portent remet en question les croyances de Flam sur le monde dans lequel ils vivent...

Elémentaire s’ouvre avec une longue séquence d’introduction formidable, chargée d’informations pour nous présenter à la fois la ville de Element City où vivent ses quatre groupes d’habitants différents (chacun représentant les quatre éléments) avec l’arrivée de la famille Lumen qui va y ouvrir une boutique. Cette longue exposition en début de film se voudrait presque aussi ambitieuse que celle de Là-haut ou de Wall-e, devenues cultes et inégalables.

Dans la famille Lumen les parents sont devenus âgés et préparent leur retraite, et leur fille adorée Ember (Flam pour la version française, ndlr) doit se montrer est assez responsable pour prendre la relève de la boutique. La situation est posée pour cette famille qui appartient au groupe des flamboyants (et de la classe moyenne). Mais à cause d’un défaut de pression dans des tuyaux arrive une jeune homme Wade (Flack en version française, ndlr) du groupe des aquatiques qui doit faire un rapport pour que cette boutique soit fermée ! Ember, qui a donc tout à prouver, doit alors empêcher cette décision qui achèverait ses parents… Et c’est parti pour une grande aventure où on va découvrir la vaste ville, et notamment un autre quartier, plus élitiste, avec la famille de Wade. Tout oppose l’impulsive Ember et le brave Wade, mais pourtant une complicité commence… Roméo et Juliette, le feu et l’eau, les opposés qui s’attirent, tout ça…

«Les élémentaires ne se mélangent pas ! »

Les aériens, les terriens, les aquatiques, les flamboyants semblent vivre chacun dans leur coin, sans vraiment se mélanger (sauf dans les transports communs). Chaque population a un élément caractéristique qui peut embêter une autre. C’est la première déception d’Elémentaire : les populations des aériens et des terriens font partie du décor et son relégués à l’arrière plan, là où Vice-Versa maniait et impliquait très bien toutes les émotions, même si le film se focalisait sur deux d’entre elles. Le début du film nous présente tout un concept de grande ville cosmopolite, mais cela s’avère finalement inutile.

L’histoire est réduite à la famille de Ember Lumen et à la famille de Wade Ripple, soit le feu et l’eau : avec cet avertissement plusieurs fois entendus que « les flamboyants et les aquatiques sont incompatibles ». Rien ne les autorise à concevoir qu’une histoire d’amour pourrait être possible entre elle et lui. Au contraire, Ember a tous les arguments pour détester Wade. Mais un danger bien plus grand menace leur cité, avec une possible grande inondation. On a beau être différents, il faut parfois s’unir pour sauver son univers. Comment dire? Déjà-vu? Naïf? Banal?

Aussi, Ember et Wade vont avoir besoin l’un de l’autre (elle pour sauver la boutique, lui pour empêcher une grave inondation) et, surprise!, ils vont devenir amis. Si Ember est plutôt l’héroïne du film, c’est Wade qui va déployer des efforts pour la séduire (en lui faisant cadeau d’un arc-en-ciel, et surtout une virée dans un parc d’attraction). On leur avait appris que le feu et l’eau ne devraient pas être ensemble – « on ne peut pas se toucher ? » – mais il y aurait comme un cinquième élément entre eux qui est celui d’un amour naissant… Ça bouillonne!

Immigration, assimilation, émancipation

Derrière la comédie romantique très adolescente, remplie de clichés et de stéréotypes charmants, Elementaire raconte en sous-texte quelque chose de plus adulte où dans une société multiculturelle, la compréhension de l’autre serait une vertue. L’arrivée des parents Lumen dans la ville est similaire à l’histoire du réalisateur Peter Sohn : sa famille originaire de Corée du Sud a débarqué aux Etats-Unis durant les années 1970 et ouvert une épicerie dans le Bronx. Dans le film les deux populations différentes que sont les aquatiques (qui seraient des américains accueillant sans préjugés) et les flamboyants (qui pourraient être des immigrants de n’importe où) représentent surtout deux classes sociales différentes : les aquatiques sont de riches bourgeois cultivés, les flamboyants sont plutôt en bas de l’échelle.

C’est la jeune fille Ember (Flam) qui doit s’affranchir des traditions de sa famille, et qui n’ose pas choisir un futur qui lui fait plaisir, plutôt que de suivre les souhaits de ses parents réfractaires aux changements et aux valeurs du nouveau monde. C’est moralement incontestable, mais à trop rester dans son élément, les studios Pixar en oublie l’originalité et l’émotion de ses meilleurs films. Les films Pixar valorisent tous l’entraide à travers l’amitié et le soutien aux valeurs de la famille et du métissage. Elémentaire fait un pas de côté avec une histoire d’amour (dont l’acmé de l’excitation est un baiser) et une mixité sociale et ethnique (même si le propos est douteux, puisqu’il demande à l’immigré de s’intégrer et de s’élever, et évacue le problème de racisme ordinaire et de mépris social de l’américain déjà installé).

Heureusement, l’animation est, comme toujours chez Pixar, brillante avec un foisonnement de surprises (comme cette séquence dans le stade). Le cœur du récit est, comme toujours chez Pixar, un encouragement à une affirmation de soi (fais ce que tu as envie de faire, dis ce que tu ressens, etc). On est séduit, comme toujours chez Pixar, par ce riche univers visuel qui s’anime devant nos yeux… mais on aurait voulu davantage d’étincelles.

Elemental
Réalisation : Peter Sohn
Scénario : John Hoberg, Kat Likkel, Brenda Hsueh
Histoire : Peter Sohn, John Hoberg, Kat Likkel, Brenda Hsueh
Sortie en salles : 21 juin 2023
Durée : 1h41
Voix : Leah Lewis, Mamoudou Athie
Voix françaises : Adèle Exarchopoulos, Vincent Lacoste