Une version restaurée pour le 25e anniversaire du  Jeanne et le garçon formidable, musical intemporel

Une version restaurée pour le 25e anniversaire du Jeanne et le garçon formidable, musical intemporel

C’était il y a 25 ans, déjà, dans les salles de cinéma. Jeanne et le garçon formidable a fait chavirer les coeurs : un jour par hasard, Jeanne tombe (littéralement) sur Olivier dans le métro et c’est le coup de foudre. Leur relation devient de plus en plus intense, ils sont amoureux. Mais leur amour se retrouve assombri par le grand mal de la décennie : le sida

C’était le premier film du duo Olivier Ducastel (à la réalisation) et Jacques Martineau (à l’écriture). Un pari gonflé et réussi. Ils font une comédie musicale enlevée pour raconter le drame d’une histoire d’amour brûlante, avec, en vedette, la lumineuse Virginie Ledoyen et l’impeccable Mathieu Demy. Le film était sorti en salles précédée d’une sélection en compétition au festival de Berlin, et suivi de deux nominations aux César l’année suivante.

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Cette histoire d’amour désenchantée et chantée au temps du sida se révèle intemporelle, et son souvenir est ravivé aujourd’hui avec un retour du film en salles de cinéma pour fêter son 25ème anniversaire dans une version restaurée 4K aussi pimpante que colorée.

En 1997, il y avait une urgence à réaliser Jeanne et le garçon formidable, l’urgence de faire un premier film, ou simplement un film, avant qu’il ne soit trop tard, l’urgence de témoigner à notre manière du drame du sida… À l’époque, nous avons voulu que Jeanne soit un hymne joyeux et triste à la jeunesse, à la sexualité et à l’amour, contre les représentations du sida souvent complaisamment morbides qu’on avait pu lire ou voir ; peut-être est-ce cela qui aura survécu au passage du temps ?

Olivier Ducastel et Jacques Martineau

Les chansons rythment bien entendu le film. A la manière des films de Jacques Demy, elles expriments les sentiments inavoués, les confessions impudiques, les déclarations d’amour mais aussi les partages les plus ordinaires. Leur mise-en-image soignée et étudiée, avec des chorégraphies adéquates, apparaissent comme une ponctuation entre les chapitres ou une suspension dans le fil du temps : en effet, ce sont des parenthèses pour marquer chaque nouvelle étape de la relation amoureuse entre Jeanne et Olivier, aussi les autres relations de chacun (la famille de Jeanne, le meilleur ami d’Olivier).

L’homme de mes rêves

En passant d’un style musical à l’autre, sans qu’il n’y ait de rupture, Ducastel et Martineau offrent ainsi des séquences mémorables où chacun est mis en lumière, des employés pour l’entretien au plombier, du couple de la classe moyenne au jeune veuf. Dans ce Paris populaire (et pas encore boboïsé) autour de Stalingrad, entre un restaurant chinois et les quais du canal, Jeanne papillonne, légère et joyeuse, avant d’être rattrappée par le spleen et la mélancolie d’une histoire d’amour qui va forcément finir mal.

Jeanne et le garçon formidable – © Malavida Remora

Deux chansons en particulier se répondent l’une à l’autre par leurs dilemmes intimes. Jeanne chante « Je ne fais pas une collection, je n’arrive pas à résister, c’est tout. Je ne vois pas pourquoi tu devrais résister quand un homme te plaît ? ». Jeanne est volage, aime le marivaudage, et veut être libre, cumulant les amants sous le soleil exactement. François (Jacques Bonaffé, hyper touchant), le meilleur ami, n’a pas la même vision des choses : « Tu rencontres un garçon qui t’aime, et tu lui offres ton amour, tu sais que ça ne sera pas sans problème, que ça ne durera pas toujours… » et c’est l’engagement amoureux avec quelqu’un et l’inévitable peur d’une possible rupture ou d’une tragédie qui assombrit le ciel. On pourrait imaginer que ces deux chansons soient interverties à un autre moment du film, que François chante les paroles de Jeanne ou que Jeanne chante les paroles de François. Puisque Jeanne va connaître le même destin que François.

Valse, java et tango

C’est là une grande partie du charme qui se dégage de Jeanne et le garçon formidable : ce qui est raconté a conservé toute sa force, celle de nous émouvoir jusqu’à nous bouleverser. Parce que le film reste très contemporain (certaines scènes évoquent les violences sexuelles, la précarité, les métiers essentiels, l’immigration, la surconsommation, etc.), parce que Jeanne est une jeune femme très moderne, l’air de rien on oublie qu’on est à la fin des années 1990 et on se laisse envoûter par ce tourbillon de la vie (et de la mort). On ne peut pas faire plus romantique, au sens littéral du terme, que cette histoire.

Jeanne et le garçon formidable – © Malavida Remora

Dans l’imaginaire collectif, ce genre de « musical » chanté est synonyme de Jacques Demy, avec Les demoiselles de Rochefort, les parapluies de Charbourg, Peau d’âne ou Une chambre en ville. Cette forme de film n’est guère pratiquée, sauf parfois par Claude Lelouch, et par Alain Resnais en 1997 avec On connaît la chanson écrit par Bacri/Jaoui. Après eux il faudra attendre quelques années avant qu’un autre cinéaste renoue avec ce genre de film : Christophe Honoré (Les Chansons d’amour, Les Bien-aimés).

En 1998, le duo Olivier Ducastel et Jacques Martineau participe à remettre ce type de film au goût du jour avec Jeanne et le garçon formidable : pour eux c’est un pari aussi ambitieux que risqué, d’autant plus que c’est leur premier film. Evidemment Jacques Demy a été une influence pour eux, et cette référence est ici portée à son comble avec la présence à l’écran du fils du cinéaste, Mathieu Demy. D’autres clins d’œil sont présents : les décors, les actes manqués, les métiers invisibles, ou encore ces chansons enjouées qui parlent du quotidien ou des états d’âme.

Jeanne et le garçon formidable – © Malavida Remora

Mais dans les années 1990, il y a aussi le virus du sida, qui fait des milliers de victimes depuis une dizaine d’années. Le cinéma a tardé à raconter la maladie autrement qu’une malédiction qui plane sur les ébats sexuels. À l’époque, on a eu Les nuits fauves, Philadephia, Once More, Mauvais sang, N’oublie pas que tu vas mourir, The Living End ou encore Long Time Companion. Des drames et des impasses.

Sidamour

La qualité de Jeanne et le garçon formidable est de se distinguer en racontant le sida comme une maladie dont on peut mourir, mais aussi avec laquelle on peut vivre (et plaire et aimer). Le personnage d’Olivier est un ancien toxico, séropositif depuis des années. Il se sait en survie, il prend ses médicaments, il succombe quand-même au charme de cette Jeanne effrontée et affranchie. Le film véhicule ce message positif : on peut vivre et aimer, même avec ce virus dans le sang. Même si, à un moment donné, « ça n’a plus d’importance« .

Car Jeanne et le garçon formidable est avant tout une très belle histoire d’amour, un de ces amours absolus et lumineux, avec ces moments heureux et d’autre plus tristes. La fougue de Virginie Ledoyen et de Mathieu Demy provoque toujours des papillons dans le ventre. Et la vitalité de la mise en scène nous accompagne à travers le regard de Jeanne dans cette aventure romantique, du coup de foudre au sale coup du destin. Elle, si virevoltante, souriante, pétillante, va glisser dans une zone grise où elle pourrait y perdre sa joie de vivre. Elle tente bien de surmonter l’épreuve, de reprendre sa vie d’avant, de se consoler. Entre obsession et déni, elle se sent déchirée. Jusqu’à ce plan final « formidable » où elle trébuche (deux fois) sur les pavés du Père Lachaise. Elle doit faire son deuil. La vie continue… De cette destinée sentimentale, c’est ce qu’on retient. Jeanne, entourée de tous ses beaux garçons, est formidable jusqu’au dernier mot.

Jeanne et le garçon formidable
Réalisation : Olivier Ducastel et Jacques Martineau
Scénario : Olivier Ducastel et Jacques Martineau
Sortie en salles, en version restaurée 4K : 14 juin 2023
Durée : 1h38
Avec Virginie Ledoyen, Mathieu Demy, Jacques Bonnaffé, Valérie Bonneton, Denis Podalydès, Frédéric Gorny...