Il est silencieux, spécial, et seul. Pas comme les autres c’est à dire que les autres le voient comme un nerd, un gay ou un pervers. Après tout, ce qui semble différent est détesté, incompris, rejetté. Il a beau être légèrement barge, complexé, attachant, peu bavard, personne ne veut s’interesser à lui. Parce que Barry Egan ne supporte pas le quotidien, la normalité des gens, le bordel d’une société incohérente et injuste, il choisit de s’exprimer par une forme de mutisme, de pointillisme et parfois par quelques excès de furie non contrôlés.
Mais cela ne suffirait pas. Un film n’existe pas à travers un personnage, aussi original soit-il. Isolé et introverti, Barry vit dans un enironnement vide et éthéré, une Los Angeles à la fois contemporainement banale et aux allures post-moderne. L’atmosphère qui l’encadre est dingue et réelle, étrange et singulière, déserte et bruyante, absurde et banale.
« – Il y a un piano dans la rue. »
On comprend alors que tout le film repose sur l’excellent Adam Sandler. Lui vit dans son rythme, avec sa perception de la réalité, pendant que la frénésie s’empare des autres, que la vie les détruit par un temps irrémédiable. Paul Thomas Anderson a écrit des dialogues qui font sourire, à l’ironie mordante; les scènes percutent par leur surréalisme et l’image se lit à plusieurs niveaux : du simple esthétisme au sens le plus analytique. Car le cinéaste de Magnolia dégomme et décrypte la société de consommation, le matérialisme ambiant, le rêve à bas prix et le confort à crédit. Il n’oublie pas le domaine du sentimental ni le secteur sexuel. Il décrit une vie où nous pouvons voyager gratos en se gavant de pudding. Tout, même le plaisir, s’achète. Sauf peut être l’amour.
Les temps sont durs pour les solitaires, associables et rêveurs. Le personnage de Sandler va à reculons ou alors il se perd, dès qu’une femme pénètre trop son intimité. En croisant une jeune femme adorable – Emily Watson, aussi formidable que charmante – le film dévie vers une histoire plus convenue, entre éden et enfer, sur le mode d’un After Hours.
Une comédie à 100 miles à l’heure
Malgré tout les événements comiques qui surviennent, ce fou en costard de stewart nous entraîne dans sa mélancolie dépressive et sa quête d’absolu. Grâce à une série de suprises et d’accidents, tout va à 100 miles à l’heure. Comme si les gens qui l’entourent étaient irresponsables face à des hasards tyranniques. La vie semble compressée pour tenir en 90 minutes – et là est la principale réussite du film, en montrant à quel point tout file vite, tout s’oublie rapidement. Quand profite-t-on de la vie?
A l’instar d’un Tati – référence obligée – le déjà jeune surdoué Anderson parvient à nous faire rire sur une trame sensible, avec un tableau de la société angoissant. Car pour le réalisateur, jusqu’ici tout allait bien. Et tout ira de mieux en mieux : par la suite on lui doit son œuvres majeure, There Will Be Blood. Paul Thomas Anderson – scorsesien jusqu’au bout du travelling – nous avait envoûté avec des histoires à tiroir, des destinées passionnelles, une atmosphère d’opéra aussi vaste, riche et variée que la ville-décor de Los Angeles. En changeant de registre à l’époue, il avait dérouté ses fans. Prenant un risque, il pouvait décevoir. Au lieu de cela, il nous envoûte avec son film le moins ambitieux mais le moins audacieux.
Certes son film n’a pas l’impact de Boogie Nights et Magnolia, mais il gagne en charme et en légèreté. Punch Drunk Love, entre délire scénaristique et film personnel romantique, fout une sérieuse pêche malgré la gueule de bois qu’il impose.
Le monde aux trousses
Car dans cette atmosphère hystérique de supermarchés abondants, de hangars dépeuplés, et d’hôtels impersonnels, son personnage a suspendu son élan. Etouffé par ses 7 soeurs, pourchassé par une pûte et son mac, ce mec trop gentil en ces temps cyniques devient le symbole de la perversion qu’il faut abattre. Il leur renvoie l’image de ce qu’ils sont : des êtres sans âme. Comme il ne s’instéresse pas aux autres et qu’il ne s’aime pas, les autres lui renvoient l’ascenseur. Il ne peut que fuir, courir, poursuivre son idéal. Sa maladresse touchante, au détour d’un couloir ou d’une impasse, d’un escalier ou d’un trottoir, se transforme en amour dévorant. Sa parano hitchcockienne se mélange à la névrose des personnages des films de Neil LaBute. Les ombres chinoises se mixent aux kaléïdoscopes colorés. L’harmonium délaissé se joint au coupons réponses découpés. Paul Thomas Anderson nous tient en haleine tout au long de cette folle odyéssée d’un gars maîtrisant parfaitement les clauses du contrat avec la société, mais totalement démuni face à ses congénères.
Aussi, la fin nous laisse un peu essoufflé. Trop discrète, trop facile, trop simple. Un Happy-end serein et distant. Le cinéaste est déjanté, et conclut avec moralité, son écriture est juste mais elle manque de subversion. Il nous laisse insatisfait mais heureux. Avec un vrai talent de mise en scène, on regrette que la partition ne soit pas plus aboutie à cause des cinq dernières minutes. Ca rime malgré tout avec le mot « culte ».
Avec Punch-Drunk Love, trois ans après son Ours d’or à Berlin pour Magnolia, le prodige Paul Thomas Anderson s’est retrouve consacré à Cannes en 2002 avec un prix de la mise en scène (pour sa seule sélection en compétition à date). Un prix qu’il a aussi gagné à Berlin pour There Will Be Blood et à Venise pour The Master. Malgré tout, Punch-Drunk Love, finalement le film le plus grand public et le plus méconnu du réalisateur a aussi été le seul, avec Hard Eight et The Master, à ne recevoir aucune nomination aux Oscars. PTA avait déjà eu des honneurs cannois avec Hard Eight , en sélection à Un Certain Regard en 1996.
Ses premiers films avaient pour particularité d’être dotés de castings impressionnantes, d’avoir un scénario complexe, et traitant de sujets souvent tabous.
PDL est une exception dans sa filmographie. L’idée lui est venue simplement. Un article paru en 2000 dans Time racontait l’histoire de David Phillips, ingénieur, qui gagna 2 millions de kilomètres en avion en ayant acheté 12 150 pots de pudding Healthy Choice. Il est devenu « Pudding Guy ».
« Après Magnolia, qui était un film sombre, lourd et difficile à faire, je souhaitais m’engager dans quelque chose de plus tendre, de plus émouvant explique le cinéaste (32 ans à l’époque). Avec une musique années 50, l’abus du technicolor et deux comédiens en contre-emploi, le tout dans une courte durée (90 minutes), il relève son défi : faire tourner le comique Adam Sandler. Pour une fois celui-ci ne sera pas un idiot, ou un niais. Son humour l’a rendu très populaire aux USA, même si les films le mettant en vedette ont été des flops en Europe. Le voici dans un rôle dramatique, impulsif, décalé. Emily Watson aussi incanera un personnage à contre-emploi : ni malade, ni mourrante, ni surdouée; juste une fille banale et fraîche. Elle fut révélée à Cannes, avec Breaking the Waves en 1996. N’oublions pas le regretté Philip Seymour Hoffman, acteur habitué de l’univers d’Anderson.
Enfin, il faut noter que les oeuvres d’art qui s’incrustent dans le film sont de Jeremy Blake, spécialiste en projections artistiques numériques.
Punch-Drunk Love ressort en salles le 9 août en France.