Cannes 2023 | Strange Way of Life : les amants terribles de Pedro Almodovar

Cannes 2023 | Strange Way of Life : les amants terribles de Pedro Almodovar

Trois ans après La voix humaine, avec Tilda Swinton, Pedro Almodovar revient au format court. 30 minutes chrono. Ayant commencé sa carrière avec une dizaine de courts dans les années 1970, le cinéaste espagnol était revenu à cet exercice en 2009 avec La conseillère anthropophage, extension du long métrage Etreintes brisées. Que ce soit avec La voix humaine et La conseillère anthropophage, Almodovar revisitait ses mélos passionnels et névrotiques, avec une héroïne féminine.

« J’ignorai que tu cuisinais ».

Avec Strange Way of Life, il s’évade. Le huis-clos disparaît. Le contemporain est oublié. Les femmes sont absentes. Le maître madrilène s’offre une aventure exotique : le Western (tourné dans le sud de l’Espagne, décors célèbres pour les films de Sergio Leone), deux stars viriles et sensibles hollywoodiennes (Pedro « Daddy » Pascal et Ethan Hawke), entourées de jeunes mâles sexys prometteurs (Manu Rios, José Condessa, Jason Fernandez, plus connus sur le petit écran), et un récit almodovarien entre passé et présent, amour déchu et passion intacte, morale variable et homosexualité frontale.

Séduisant, presque trop court, mais maîtrisé, Strange Way of Life est une sorte de déclinaison touchante de l’histoire d’amour entre Salvador et Federico dans Douleur et gloire. Ce mélo moustachu, duel au soleil entre une icône « Tom of Finland » et un shérif sorti des Village People, célèbre ainsi les retrouvailles d’un couple après 25 ans. Brokeback Mountain à Bitter Creek (le ruisseau amer, tout un programme). Pas surprenant finalement de faire le lien avec le film culte d’Ang Lee puisque celui-ci est adapté d’une nouvelle d’Annie Proulx, puisque le cinéaste espagnol devait réaliser le film originellement.

Etreintes renouées

Ce qui fait la marque des grands cinéastes, que ce soit pour un court ou un long métrage, ou même un clip vidéo ou une publicité, c’est la mise en scène. Rien à dire : Strange Way of Live a beau être un « étranger » (sur le papier) à l’œuvre d’Almodovar, il en a tous les ingrédients. Les plans et les arrière-plans, le fétichisme des objets et des vêtements, la musique d’Alberto Iglesias, la façon de filmer les corps, les regards et ce qu’ils traduisent de tristesse ou de désespoir sont intrasèquement liés aux autres films du réalisateur. Il a une façon unique de mettre en scène les dialogues en bouche, peu importe la langue de l’acteur.

Dans cette histoire où s’entrecroisent les dilemmes personnels, les souvenirs nostalgiques, et les regrets, Pascal et Hawke obéissent au maître pour qu’il s’adonne à tous ses fantasmes cinéphiliques. Lui qui aime tant Le désert rouge d’Antonioni, Johnny Guitare de Nicholas Ray et La prisonnière du désert de John Ford, a du se faire plaisir en ressuscitant le genre avec une thématique ouvertement gay. Il a emprunté tous les codes du Western pour ce conte poussiéreux et dépoussiéré : les grandes errances comme les grandes espérances, le trio d’hommes, crucial et cruel, s’affrontant au pistolet, le déballage des sentiments, l’ivresse orgiaque et érotique de la jeunesse…

Cet étrange mode de vie qui donne le titre à ce court, c’est bien celui de l’épilogue : un couple d’hommes idéalement amoureux. De films en films, Pedro semble chercher une forme d’apaisement et de réconciliation pour ses personnages. En évacuant la douleur mais sans s’éloigner de la gloire.