Bollywood, expo star au musée du quai Branly

Bollywood, expo star au musée du quai Branly

Destination Mumbai. Mais sur les quais de la Seine, à l’ombre de la Tour Eiffel. Le musée du quai Branly – Jacques Chirac accueille depuis cette semaine une exposition dédiée à Bollywood, depuis ses origines jusqu’à nos jours.

Et ce n’est pas inconoclaste, au contraire. En liant les mythes, les cultures et les arts avec le cinéma, l’expo « Bollywood Superstars » est une passerelle entre l’histoire indienne et ses fictions romancées, dansées, chantées (mais pas seulement). Ici, plutôt qu’un pont, un long parcours sinueux qui nous fait voyager dans le temps.

« Bollywood Superstars : histoire d’un cinéma indien » (jusqu’au 14 janvier 2024) emballe les fans du genre avec de nombreux extraits et objets. Mais l’exposition séduit aussi les néophytes qui découvrent la richesse spirituelle et culturelle d’un 7e art bien plus diversifié qu’il n’y parait. Cependant, et avant tout, l’intérêt provient de tous ces bijoux, costumes, meubles, caméras, photos, illustrations, dessins (il ne manque que les instruments de musique) qui ponctuent le parcours chronologique et thématique et qui font le lien entre le 7e art et l’Histoire du pays.

On salue l’incursion dans le cinéma réaliste de Satyajit Ray, valorisée par de longs extraits de sa Trilogie d’Apu. On s’émerveille de découvertes de films des années 1910 signées Kaliya Mardan, Satyavadi Harischandra ou Lanka Dahan. On s’amuse devant cette longue séquence du western masala Sholay de Ramesh Sippy. Mais on regrette que les deux autres grands montages « typiquement » bollywoodiens soient si frénétiques et mixées comme pour un clip, empêchant de profiter sur la longueur de séquences musicales et (en)chantées somptueuses. De quoi déchanter un peu tant on aurait aimé profiter de ces magnifiques séquences dans leur longueur.

Si le parcours fait également l’impasse sur les autres cinémas indiens, et notamment sur le récent succès du cinéma tamoul, si l’exposition ne critique pas la vision souvent nationaliste des films et l’impact social des films, si l’évolution même de ce cinéma est un peu enfouie sous le foisonnement des sujets et des objets, l’exposition n’en demeure pas moins riche en trésors et en connaissances.

Car le cinéma indien a une histoire longue comme le 7e art. Moins d’un ana après les premières projections des frères Lumière à Paris, il débarque à Mumbai en 1896 avec six films dont L’arrivée d’un train à La Ciotat et La sortie de l’usine Lumière à Lyon. Deux ans plus tard, la Royal Bioscope Company devient la première société cinématographique indienne.

En 1903, Hiral Sen réalise le premier long métrage de fiction indien, Ali Baba et les Quarante voleurs. Le premier cinéma ouvre en 1907 à Kolkata et trois ans après, le film mythologique apparaît, annonçant le cinéma Bollywoodien. Le premier studio de prodiction s’installe en 1916 à Chennai. L’âge d’or du cinéma hindi et la reconnaissance internationale (avec La complainte du sentier de Satyajit Ray primé à Cannes) attendra les années 1950.

Puisant dans la mythologie indienne et ses arts du spectacle (marionnete, danse, théâtre…), il devient une puissante industrie culturelle, qui va s’exporter au fil des décennies et même devenir un modèle pour beaucoup de producteurs. Prolongeant les théâtres d’ombres, les lanternes magiques, apparues en 1890, les conteurs et autres presigitateurs, l’image en mouvement trouve naturellement son public dans un pays qui perpétue des traditions millénaires.

Il devient un instrument d’émancipation et d’indépendance lors de la décolonisation britannique. Les héros et cultes historiques deviennent des figures emblématiques et fédératrices nationales, transcendant les barrières linguistiques, sociales et culturelles d’un pays composite (22 langues et 14 ethnies reconnues). Ainsi, depuis 1970, le cinéma commercial a conquis cette immense nation avec les cinémas de Bollywood (en hindi), Tollywood (en télougou), Kollywood (en tamoul). On pourrait aussi rappeler qu’il existe Dhollywood, Sandalwood, Mollywood, Chholywood et Ollywood…

Plus récemment, le cinéma bollywoodien, caractérisé par ses danses et chants, s’est propagé dans le monde entier, entre reconnaissance du genre dans les grands festivals et public issu de la diaspora indienne dans les grandes métropoles. Le spectacle reste la marque de fabrique, peu importe le genre du film. Mais l’exposition rappelle aussi à quel point ce spectacle est codifié par des coutumes ancestrales. Ainsi le « Traité de danse » du Ve siècle est toujours en vigueur pour exprimer les émotions primordiales (érotique, furieux, héroïque, odieux).

Cela amène des récits peuplés de combats, de romances, de trahisons et de personnages fantastiques, afin d’exacerber ces émotions, bien plus évocatrices pour le public indien que nombre de productions étrangères.

Pas surprenant alors que les dieux (tel Vishnou) et les héros (même les Rajputs) soient aussi centraux dans les histoires. En plongeant dans les racines de la civilisation indienne, le cinéma indien a pour objectif de rassembler un pays neuf et avide de patriotisme. Les épopées du Mahabhrata et du Ramayana, qui ont traversé les siècles, sont à ce titre des matériaux narratifs idéaux avec ce qu’il faut de batailles, de romantisme, de spirtualité et de fantastique. Des contes aux théâtre ambulant, elles sont devenues l’inspiration principale du cinéma.

C’est sans aucun doute la partie la plus intéressnate de l’exposition : cette construction d’un art qui va se muer en industrie, avec les œuvres iconiques de Raj Kapoor, Mehboob Kahn, Bimal Roy et Guru Dutt, avant l’avènement des acteurs/actrices stars. Bollywood n’a cessé de se bâtir sur les légendes de son pays, des Maharajas aux Grands Moghols. Les films historiques ont transformé le cinéma indien, avec des budgets faramineux et des triomphes gigantesques en salles. De quoi admirer les somptueux contumes, bijoux, illustrations, miniatures de l’époque.

Et si aujourd’hui, le cinéma indien s’aventure dans de nouveaux genres (science-fiction, action, super-héros…), il conserve cet arc narratif et ces fondamentaux propres à sa culture. En cela, « Bollywood Superstars », croisement hybride d’une expo de la Cinémathèque sur le cinéma indien avec une expo civilisationnelle sur la culture indienne, passionne par l’étendue des ramifications entre les arts (spectacle, décoratif, audiovisuel), les croyances et l’Histoire.