Oscars : anatomie d’une (fausse) polémique

Oscars : anatomie d’une (fausse) polémique

Entendons nous bien. Nous sommes de ceux qui ont préféré Anatomie d’une chute, Palme d’or à cannes et un million de spectateurs au compteur, à La Passion de Dodin Bouffant (en anglait The Taste of Things après avoir été intitulé The Pot-au-feu), prix de la mise en scène. Aussi, on ne peut qu’être désespéré de voir que le second a été préféré au premier pour représenter le cinéma français dans la course à l’Oscar du meilleur film international. Anatomie d’une chute avait tout pour être le premier film français à gagner cette statuette depuis Indochine en 1993 (Amour en 2011 si on prend en compte la production et la langue plutôt que la nationalité du réalisateur).

Même pas sûr que le film de Tran Anh Hung se hisse dans le quintet des finalistes. La dernière fois c’était Les Misérables en 2019. Et cette année, la concurrence est relevée : déjà, avec l’éviction du film de Justine Triet, The Zone of Interest de Jonathan Glazer (qui représente la Grande-Bretagne), Grand prix du jury à Cannes, se place en favori. La passion de Dodin Bouffant aura face à lui des candidats aussi sérieux que Les feuilles mortes (Finlande), Godland (Islande), Io Capitano (Italie), Perfect Days (Japon), La sociedad de la nieve (Espagne), Les filles d’Olfa (Tunisie), Les herbes sèches (Turquie), 20 jours à Marioupol (Ukraine), Les colons (Chili) ou encore N’attendez pas trop la fin du monde (Roumanie).

Loto cinématographique

Etrange choix de la part d’un comité de professionnels irréprochables? Après tout, ce n’est pas la première fois qu’un film sacré dans un grand festival n’est pas retenu. Jacques Audiard (Palme d’or avec Dheepan), Audrey Diwan (Lion d’or avec L’évènement) et Nicolas Philibert (Ours d’or avec Sur l’adamante) n’ont pas été davantage sélectionnés. Depuis les années 2000, le film proposé par la France a été 11 fois retoqué avant même la short-list. Si bien qu’en 23 éditions, seuls 9 films français ont été nommés. Contre toute attente, les sélectionneurs de l’Oscar du meilleur film international ont choisi Les Choristes et Joyeux Noël, mais pas Des hommes et des Dieux, Intouchables, Elle ou 120 battements par minute. Et malgré son succès en salles outre-Atlantique et un total de cinq nominations, Amélie Poulain est repati bredouille dans cette catégorie au profit de No Man’s Land de Dnis Tanovic.

Autant dire que rien n’est prévisible dans cette catégorie baroque. On peut comprendre que le comité ait choisi un film qui fleure bon le terroir et le patrimoine immatériel (et universel), comme autre fois Le festin de Babette (Oscar 1987), avec une Juliette Binoche (connue aux USA et oscarisée en 1997) devant la caméra et un réalisateur vietnamien nommé dans cette catégorie en 1993 (L’odeur de la papaye verte).

On peut aussi rester perplexe devant ce choix : un film loin d’avoir fait l’unanimité à Cannes et qui va s’adresser à un collège électoral en profonde transformation. Pas sûr que les vegans californiens apprécient les plats de viande en sauce. Le collège électoral de l’Académie est de plus en plus international, de plus en plus issu de minorités et, globalement, de plus en plus jeune et féminin. De toute façon, c’est un comité d’une trentaine de personnes qui est chargé de voir les près de 100 films soumis par chacun des pays candidats qui choisit la short-list proposée à tous les votants. Autant dire que tout cela est très aléatoire et subjectif.

Volontarisme et opacité

La bonne nouvelle est qu’Anatomie d’une chute bénéficie d’un véritable engouement partout où il passe. Son distributeur américain a déjà annoncé qu’il proposerait le film pour les Oscars majeurs : film, réalisatrice, scénaristes, actrice dans un rôle principal (Sandra Hüller devrait aussi être candidate pour le meilleur second-rôle féminin avec The Zone of Interest). Il peut ainsi intégrer la liste de films en langue étrangère (partiellement ou complètement) tels Parasite, The Artist, Sans filtre, A l’Ouest rien de nouveau, Drive my Car, Roma, Call Me by your Name ou Amour, qui ont été nommés à l’Oscar du meilleur film. Ce n’est plus une exception. Même présentés précocement sur la Croisette, les films font la tournée des festivals (Toronto, Telluride, New York, Londres…) pour séduire les électeurs, souvent auréolés du buzz cannois.

Certains ont évoqué que Justine Triet payait son discours cannois quand elle a reçu la Palme d’or et s’est offusquée des menaces planant sur le financement du cinéma français… Peut-être. On n’ose y croire tant ce serait mesquin et puéril. En même temps, on aimerait que le comité de sélection français a priori indépendant (deux exportateurs, deux producteurs, deux réalisateurs, une personne qualifiée, et aucun membre issue du gouvernement, du CNC, d’une institution ou d’un festival) explique en toute transparence son choix sur des critères objectifs. Et même, comme pour les prix littéraires, le nombre de votes et de tours pour en arriver à ce résultat. Cela lèverait quelques doutes.

Une catégorie à réformer

Mais si la vérité ne sera jamais connue, la polémique est ailleurs. Elle réside dans le fonctionnement de cette catégorie. On l’a déjà écrit, on le répète : c’est un non-sens de demander à des pays puissants dans le 7e art de ne présenter qu’un seul film. Les Golden Globes, pourtant très critiquables, les Baftas ou les César n’ont pas ce genre de restrictions.

Bien sûr, s’il sort aux USA, un film, quelque soit sa nationalité, peut concourir dans d’autres catégories. Mais pour cet Oscar du meilleur film international, il y a une profonde inégalité et une réelle injustice. Comment mettre en compétition des cinématographies qui produisent plus de 100 films par an (Corée du sud, Brésil, Chine, Allemagne, Royaume Uni, Italie, France, Espagne, Japon, Mexique, Inde) à clles qui occasionnellement coproduisent (le plus souvent avec l’aide de pays européens ou est-asiatiques) un film de temps en temps? Certes, cela met tout le monde à égalité et peut permettre quelques découvertes. Mais ce n’est en rien représentatif du cinéma mondial.

La logique voudrait surtout qu’un film étranger qui soit visible sur le territoire américain puisse être oscarisable dans cette catégorie. Ce devrait être le seul critère. Sans compter qu’il n’y a plus tant que ça de films étrangers qui sortent en salles au cinéma et même sur les plateformes (qui se sont arrogées une grosse part de marché dans ce segment), la sélection devrait être assez facile.

Le vrai problème n’est donc pas que le comité de sélection français ait choisi un film plutôt qu’un autre mais plutôt qu’il soit contraint de choisir. Tout ça pour une statuette à l’impact uniquement honorifique.

Une statuette prisée mais dévaluée

Comme les règles pour les Oscars changent de plus en plus régulièrement depuis quelques années, nul ne doute qu’un jour l’absurdité de cette catégorie leur sautera aux yeux. Ce n’est même plus une question d’ego chauvin. Les Oscars se voulant la cérémonie la plus prestigieuse du cinéma mondial hors festival, cela les honorerait d’avoir à choisir entre les meilleurs films étrangers de l’année, peu importe leur nationalité. En excluant Anatomie d’une chute, et d’autres excellents films étrangers sortis ces derniers années, à cause de cette règle, ils faillissent à cette reconnaissance incontestable. Et dévalue automatiquement son prestige.

On imagine mal un studio ne choisir qu’un seul film par catégorie. Tout comme aux César on imaginerait pas un distributeur ne proposer qu’un seul film de son catalogue pour avoir accès au graal du 7e art français.

Cependant, le problème va au delà de cette (petite) statuette dorée.

L’Académie reste figée dans un temps où le cinéma dépendait du pouvoir politique. C’est encore le cas dans de rares pays instaurant la censure. Ce qui signifie que des pays comme l’Iran n’enverra jamais un film d’un cinéaste emprisonné ou contestataire (même si, non sans ironie, on notera que le pays envoie chaque année un de ses films « officiels » au grand Satan). Désormais le cinéma est mondialisé, financièrement. La plupart des films présentés aux Oscars seront des coproductions internationales, où les aides publiques et les producteurs privés sont parfois très éloignés de la nationalité du cinéaste voire du lieu de production. C’était le cas, pour reprendre l’Iran, de deux films candidats l’en dernier : Holy Spider et Leila et ses frères. De même, on imagine mal les régimes hongrois et polonais envoyer autre chose qu’un film qui va dans le sens de leur propagande.

Et pourquoi pas boycotter cet Oscar obsolète?

C’est un contresens par rapport aux valeurs si souvent défendues lors de la cérémonie (liberté d’expression, démocratie, respect des minorités etc).

Aussi, afin de garantir la diversité, il serait préférable de retenir comme candidats tous les films étrangers sortis en salles ou sur une plateforme aux USA, ou ceux sélectionnés dans les compétitions des festivals américains, et donc, potentiellement aptes à trouver un distributeur ou un diffuseur.

Alors qu’on s’embourbe dans une polémique franco-française depuis quelques jours,le vrai scandale est que le cinéma français se plie à une règle obsolète et insensée. La France, forte de sa cinéphilie, de sa production et de son statut cinématographique au sein même des Oscars, devrait arrêter d’envoyer un film pour cette catégorie. Cela contraindrait sans doute l’Académie à revoir sa copie, surtout si d’autres lui emboîtaient le pas (et éviterait un psychodrame français chaque année). Charge aux distributeurs américains de faire campagne pour les films français. On peut leur faire confiance : le cinéma français est suffisamment respecté et aimé pour décrocher des nominations chaque année dans diverses catégories.

Pour le reste, souhaitons le meilleur à The Zone of Interest. Un film réalisé par un britannique, avec des acteurs allemands, en langue germanique et polonaise, coproduit par des sociétés anglaise, polonaise et américaine (A24), et avec une équipe tout aussi cosmopolite. Et ne soyons pas amers. Un Oscar ne sauve ni le cinéma ni un cinéaste. Et Anatomie d’une chute a déjà gagné une Palme et un triomphe public. Ça vaut tous les Oscars dans le tableau d’honneur du 7e art.