Yolande Moreau clame son amour de l’art (et des Hommes) dans La fiancée du poète

Yolande Moreau clame son amour de l’art (et des Hommes) dans La fiancée du poète

Elle est irrésistible, à sa manière. On ne peut qu’aimer Yolande Moreau, parce qu’elle dégage une douce folie, qu’elle s’empare d’une vision de l’humanité pleine d’espoir, mais aussi parce qu’elle déclame son amour pour les déglingués de la société et les destins hors sentiers battus. La fiancée du poète pourrait d’ailleurs être un film autobiographique, une de ces autofictions loin de tout réalisme et rejettant toute forme du nouveau roman.

Le film s’apparente davantage à un conte du monde flottant. Et si le récit flotte à certains moments, il ne quitte jamais la barre pour naviguer dans les eaux tempétueuses des galères de la vie. La musique mélancolique donne la tonalité à cette aventure de l’intime.

Europe sans frontières

Yolande Moreau interprète une femme revenue de loin (et de prison), cabossée par les frustrations, anéantie par un immense mensonge (celui du poète), le corps pataud sous le poids des ans. Sa chambre d’enfance a brûlé : tout une métaphore.

Forte et débrouillarde, cantinière fauchée à l’abri dans un beau manoir délabré, elle se tient loin du chaos du monde et apprivoise ses démons par des rêveries de jeune fille. Plutôt que de s’isoler, et de s’enfermer dans ce passé maudit, elle suit les conseils du prêtre du coin (William Sheller, exquis curé queer), et s’ouvre aux autres : un homme divorcé non binaire qui aime se travestir (Grégory Gadebois, très touchant), un immigré turc qui se prend pour un chanteur texan de country (Estéban, cocasse), un étudiant des beaux-arts belge fâché avec ses parents (Thomas Guy, tout en fraîcheur), et un plombier catalan généreux, à la fois revenant et raté (Sergi Lopez, cabotineur).

« – Et vous êtes jardinier?

– Vous êtes bien renseignée. Tous les ronds-points de Charleville, c’est moi! »

Par conséquent, La fiancée du poète est aussi un portrait d’hommes, des losers (à leur façon magnifiques) aux sexualités fluides et à la virilité vulnérable. Des princes charmants à la dérive tout aussi amochés qu’elle par leur passé et leurs mensonges. Tout ce beau monde va cohabiter dans ce « château », avec vue sur la Meuse, où la misère se mue en splendeur par la seule grâce de la bienveillance et de la tolérance. Une forme d’utopie prolétaire (qui, de tous les pays, s’unissent et festoient) à l’écart du monde bourgeois malheureux (incarné par la famille de la sœur). Rien de binaire puisque la cinéaste offre une belle (et furtive) partition à François Morel, fumeur de joint en cachette (séquence fabuleuse et musicale), et Anne Benoît, blessée et jamais cicatrisée.

« Sans les faussaire, la vie serait vraiment triste » – Paul Valéry

Sans ostentation et sans didactisme, Yolande Moreau parvient avec brio à esquisser son propos. De silences en mystères, jusqu’à cet épilogue dans la brume des Ardennes, elle préfère nous accompagner dans cette flânerie romantique de bric et de broc. Matriarche et gamine, fiancée et veuve, désillusionnée et enchantée, voleuse et revendeuse, sensible et fragile, elle endosse tous les rôles de la femme, toutes les femmes d’une vie. Et tant qu’on n’est pas morts…

« – On a beaoin de mensonges pour se consoler.

– Pour rêver. »

Alors, évidemment, dans ce méli-mélo, parfois le scénario s’échappe dans des registres un peu moins cadenassés. Quelques facilités, ici et là. C’est aussi moins déjanté que son film Quand la mer monte. Même s’il y a cette excursion, inspirée, avec la revente d’un faux tableau de maître à un collectionneur. Leur briève carrière de faussaire agrémente le récit d’un passage burlesque, hérité des comédies du cinéma muet. Yolande Moreau sait encore dérider les zygomatiques des spectateurs.

Notons d’ailleurs que l’art est partout (et accessible à tous) : la musique qu’on fredonne, la chanson dans un bar, un air d’Abba avec un orgue d’église, le portrait pictural grand format et sur toile, la contrefaçon de tableaux, les références cinématographiques à Vigo, Renoir ou Carné, Rimbaud, Cyrano et Picasso qu’on cite… Une véritable déclaration d’amour à la création et au talent immatériel. C’est ce qui fait (mieux) vivre, qui transcende même la banalité de l’existence. Mieux, au bilan médiocre de nos petites vies d’humains, l’art, l’amour et les rêves nous font oublier notre destinée. Ils remplissent nos cœurs vides et mènent à un certain bonheur. Tout cela emplit le film de cette tendresse propre à son autrice.

La poétesse et ses fiancés peuvent voguer sans se soucier d’une civilisation qui cherche à les nier. Idylliquement, elle fédère une « belle » famille, « en plus subversif« . « Je vois pas où je vais » entendons-nous. « On verra bien« . Il suffit de se laisser porter, comme avec ce film charmeur.