Bernadette : Deneuve l’aime show

Bernadette : Deneuve l’aime show

On serait vite tenté de faire le lien avec Potiche, la dernière grande comédie où Deneuve s’émancipait d’un patriarcat rance. Ringarde et austère, Bernadette (Chirac), après tout, suit un chemin similaire : après une vie à l’ombre de son mari, ponctuée de petites vexations et dénigrements, elle reprend son destin à main, jusqu’à devenir incontournable et populaire.

Bernadette est un film léger, parfois réjouissant, qui s’amuse à être impertinent, et s’avère, au final, assez tendre. Un film biographique mais décalé, puisque la ressemblance est davantage dans l’allure que dans la personnification (Palais Royal de Valérie Lemercier). Léa Domenach opte pour une satire politique (Quai d’Orsay de Bertrand Tavernier), assez superficielle, et un joli portrait de femme étouffée.

Pour ceux qui connaissent la période des deux mandats présidentiels de Jacques Chirac, et qui reconnaissent les flingueurs de son entourgae (Juppé effacé et abattu, Sarkozy en traître, aka le génial Laurent Stocker, De Villepin très malmené au point d’être le vrai vilain de l’histoire), c’est un régal. La droite se prend un bel uppercut.

Dieu m’a donné la foi

Mais cela ne fait pas un film. Léa Domenach a beau avoir écrit un scénario documenté, sur le ton d’une comédie humaine douce amère, elle ne parvient pas à donner le souffle nécessaire et le bon tempo pour que l’on rit franchement et que l’on se sente emporté dans un tourbillon délirant. Disons-le sincèrement : la mise en scène est plate. On en revient aux défauts d’Aline de Valérie Lemercier ou même de la série « Sous contrôle » d’Erwan Le Duc, qui freinent chaque tentative d’excès et ne parviennent pas à décoincer leur sujet. N’est pas Billy Wilder qui veut.

Alors, certes, les répliques sont bien balancées, les situations parfois cocasses, l’histoire bien racontée. Pourtant, on a, à chaque fois, le sentiment que tout est lent… comme une tortue. C’est d’autant plus regrettable que Bernadette ne manque pas de charme et de bonnes idées, comme cette chorale qui ponctue les chapitres, chantant la biographie wikipédia de « Bernie », « Les rois mages » de Sheila ou « Dieu m’a donné la foi » d’Ophélie Winter. On est avertit : ceci est une fiction à prendre au second degré. Même le rituel de la confession est baffoué sur l’autel du blasphème.

Pisser sur une tortue

Avouons que, pour notre bon plaisir, on se laisse porter par ce pastiche rempli de clins d’œil. D’autant qu’on entrevoit à certains moments la dinguerie que ça aurait pu être. Outre cette chorale ambulante, le fait de voir Bernadette transbahutant un énorme carton de pièces jaunes ou dressant un ours flirte avec un style à la Blake Edwards. Sans parler de cette belle scène de cinéma : Bernadette allongée sur un tapis, méditant sur son destin.

Mais la mise en scène paralyse cette envie de débauchage. D’une part, la réalisatrice-scénariste ne réussit pas à installer les personnages secondaires, hormis celui du conseiller en communication délicieusement interprété par Denis Podalydès. Ainsi, Chirac (pourtant le merveilleux Michel Vuillermoz), la fille Claude (excellente Sara Giraudeau malheureusement mal exploitée) et les fauves politiques sont trop en retrait, et souvent monotypés. Il y a bien quelques seconds-rôles (le majordome, le chauffeur, la tortue Marie-Antoinette, qui subit le flot d’urine de ce dernier) pour essayer d’amorcer du burlesque, cela ne suffit pas à en faire un film comique.

« Il n’a pas voulu m’écouter. Il va m’entendre. »

D’autre part, l’histoire, chronologique, s’éparpille entre un tableau politicien (et non pas politique, puisqu’ici personne ne pourrait se douter que c’est la droite qui est au pouvoir, même si la gauche est totalement absente), une histoire de couple mal fagottée (les déclarations ne remplacent pas les preuves d’amour) et une trame familiale bancale (une fille malade, sans qu’on nous le dise vraiment, censée apporter de l’humanité à tout ce chaos du pouvoir).

Tout cela donne l’étrange impression d’un film bizarre, qui ne sait pas s’il doit aller vers la parodie ou s’il doit se sublimer en allégorie. On ne blâmera pas le casting, chacun suivant scrupuleusement sa fragile partition.

Les cadavres portent des costards

On retient finalement le discours féministe. L’entre-couilles de l’entourage de Chirac glisse vers une débandade assurée. Car Madame Chirac, rabaissée, humilée, blessée, reléguée, les gêne. D’abord à cause de son image de bourgeoise conservatrice à particule (et Chirac assumait le rôle ingrat qui devait s’imposer à l’épouse d’un homme politique). Par la suite, grâce à sa popularité acquise de haute lutte et de son franc-parler. De réservée elle passe à affranchie. Pas à sa place même le soir de la victoire, elle décide de conquérir son statut, avec panache.

La revanche d’une blonde. La révolte? La révolution d’une femme. Ici, le « diable » s’habille en Chanel. La revêche se rebiffe. Cessons les mauvais jeux de mots. Il faut tout le talent de Catherine Deneuve pour combler les failles du film. Elle fait le show, avec son auto-dérision habituelle, capable d’être une femme timide, acariatre, déterminée et malicieuse, jusqu’à pactiser avec les ennemis pour sauver l’honneur de son clan (et éviter les mauvais procès). Désobéissance maritale et politique, Bernie devient « l’insoumise » de la droite chiraquienne. Et Deneuve parvient à la rendre sympathique cette Bernadette, ridiculisant un à un les mâles de l’Elysée. Grâce à son flair politique, elle est à leur fois Cassandre et la pythie. Heureusement, avec Podalydès, le vrai couple du film, elle forme un duo exquis.

Côté face, Bernadette incarne une certaine histoire de France, avant qu’on ne bascule dans une ère post-moderne. En ne cherchant jamais à faire autre chose que du Deneuve, l’ex-Marianne, par son jeu, dicte le récit avec jubilation. On aurait aimer l’aimer davantage. Comme on aurait aimer que portrait égratigne un peu plus cette « mafia » politique. Le cinéma français n’a toujours pas réussi sa grande comédie du pouvoir. Trop de respect? Pas assez d’irrévérence ? Il manque finalement une certaine audace et une réelle ambition pour que la farce soit pleinement savoureuse.

On peut aussi voir le côté pile : un divertissement joyeux où la une femme sort de l’ombre, prend la lumière et s’empare du pouvoir. Et Deneuve en mère (et épouse) supérieure rappelle avec aisance sa capacité à « diriger » un film par sa seule présence.