Une longue séquence d’ouverture dans un bar montre une femme entourée de deux hommes. On pourrait essayer de deviner leurs liens (amants, amis, collègues…). Il s’agit en fait d’un couple marié dont l’épouse vient de retrouver son amour de jeunesse… C’est une situation vécue par la réalisatrice Celine Song et qui s’en est inspirée pour cette histoire en partie autobiographique. Deux adolescents se sont attachés l’un à l’autre en Corée du Sud, mais la jeune fille a émigrée aux Etats-Unis. Elle y est heureuse, en couple avec un américain (John Magaro). Plus d’une dizaine d’années plus tard, l’ami coréen (Teo Yoo) débarque pour une visite… Se bousculent alors beaucoup de souvenirs et quelques regrets.
Le pitch : A 12 ans, Nora et Hae Sung sont amis d’enfance, amoureux platoniques. Les circonstances les séparent. A 20 ans, le hasard les reconnecte, pour un temps. A 30 ans, ils se retrouvent, adultes, confrontés à ce qu’ils auraient pu être, et à ce qu’ils pourraient devenir.
Past lives, nos vies d’avant explore les tourbillons de l’amour (les souvenirs, les regrets, les espoirs, les craintes…), mais pas seulement. L’histoire romantique se double aussi d’un autre récit, plus délicat, autour du déracinement. Le scénario se joue entre deux continents et même plusieurs époques. Il interroge aussi la notion de ‘inyeon‘, soit ces connections émotionnelles qui composent une destinée pour des âmes sœurs… Et tout cela sans aucun artifice, principalement, à travers des dialogues etdes regards. Avouons-le, ce premier petit film de Celine Song force l’admiration.
« il y a ce qu’on abandonne et il y a ce qu’on gagne. »
Céline Song nous parle d’émotions que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Elle évoque des histoires d’amour d’adultes ayant déjà fait un bout de chemin dans la vie. Vient alors ce moment dans l’existence où l’on s’interroge sur notre capacité à aimer et être aimé alors que l’on a déjà vécu une grande histoire d’A. Un grand questionnement dans la lignée de l’archétypal Un homme et une femme de Claude Lelouch. Ce lien entre amour passé et amour possible a été exploité de différentes manières au cinéma (Her de Spike Jonze, One day de Lone Scherfig, In the mood for love de Wong Kar-Wai, Quitte ou double d’Edward Burns, qui utilisait ce même schéma d’une femme en couple avec un homme perturbée par le retour d’un autre homme).
What if…
Hae-sung et Nora, amoureux en Corée avant l’exil de la jeune femme, désormais mariée avec Arthur, se retrouvent pour quelques jours. L’occasion de faire le point sur leurs sentiments et de brasser la nostalgie d’un temps passé… Et si, finalement, ils étaient passés à côté de leur vie?
La séduction qu’exerce le film vient de l’apparente simplicité du scénario et du naturel de de son trio principal, avec, en tête l’interprétation de Greta Lee (The Morning Show). Le coup de foudre n’est pas soudain, l’histoire prend son temps pour s’installer. Elle flirte avec le mélo sans chercher à s’y complaire. Ainsi, le charme opère avec délicatesse et subtilité grâce à ses ellipses, ses silences et une sensibilité palpable dans chacun des plans. « Et si avant… » ou « et si ailleurs… » sont des questions existentielles et universelles. Cette romance contrariée conduit à la seule réponse qui vaille : accepter la vie telle qu’elle va. Il faut alors reconstruire une autre forme de relation distendue par le temps et la distance. Goethe appelait ça les affinités électives.
Le tempo des destins
Au fil de longues promenades (quoi de mieux que de marcher pour réfléchir et se confier), Cécile Song réussit avec une belle maîtrise à nous emporter dans tous ces méandres émotionnels et psychologiques. Elle décrypte avec simplicité et grâce l’impression marquante que peut laisser quelqu’un dans notre vie, même quand ils en ont disparu. À l’écart du coup de foudre, et avec une belle justesse, elle préfère la complexité humaine et le jeu malicieux des destins pour déjouer les lois de l’attraction. Car il s’agit bien de désirs et de regrets dans ce drame envoûtant. Mais c’est avant tout une jolie fable philosophique sur la manière dont le temps s’impose à nous, modelant nos vies et réduisant nos choix. Comment lutter? Faut-il lutter?
Past lives, nos vies d’avant a charmé son public durant toute cette année 2023 : au printemps dans les festivals de Sundance et de Berlin, cet automne aux festivals de San Sebastián et de Deauville, et cet hiver à Hollywood (le film vient de recevoir 5 nominations majeures aux Golden Globes). Joli parcours pour ce premier film qui fait entrer Céline Song dans la cour des grands.
Past Lives, nos vies d’avant Réalisation : Celine Song Scénario : Celine Song Casting : Greta Lee, Teo Yoo, John Magaro… Sortie en salles : 13 décembre 2023 Durée : 1h46
