Piaff 2024 : des courts qui en disent long

Piaff 2024 : des courts qui en disent long

Le Paris International Animation Film Festival, présidé par Marie-Pauline Mollaret (rédactrice en chef d’Ecran Noir) a eu lieu du 16 au 21 janvier. Les jurys public et critique – dont je faisais partie avec Inès Hamdi et Margherita Gera – ont récompensé un film autoproduit américain, Rosemary AD, d’Ethan Barret. Mais parmi les 36 courts présentés, très éclectiques sur le fond comme sur la forme, nombreux ont frappé nos rétines, par leur esthétique, leur narration ou leur singularité.

Passage en revue près de la moitié de la compétition, parmi lesquels des courts primés dans des festivals ou short-listés pour les César, Oscars et autres prix prestigieux.

Rosemary AD d’Ethan Barret

Prix du public, prix de la critique. Un dessin épuré, comme crayonné par un enfant. Et une histoire simple (l’aventure de tous les possibles pour un bébé qui vient de naître). Ce qui le distingue avant tout est sa narration : un ton à la Wes Anderson, avec une voix off qui navigue entre ironie, drôlerie, et émotion. Le fond allié à la forme dans une cohérence parfaite.

Notre uniforme de Yegane Moghaddam

Nommé à l’Oscar, primé à Annecy, récompensé par le jury de la compétition du Piaff pour sa mise en scène (et finaliste du jury de la critique), autant dire que ce court iranien fait l’unanimité, à juste titre. Contournant habilement la censure de son pays, tout en dénonçant frontalement les absurdités du régime, cet ode à la liberté, où le dessin se superpose aux tissus de vêtements, emballe le spectateur dans un tourbillon de vie. Textures et textiles font ici bon ménage. Femme, vie, liberté.

Aaaah ! de Osman Cerfon

Ne sous-estimons pas le concept simple d’un film court qui n’a qu’une lettre de l’alphabet à son arc (narratif). C’est hilaaaaarant. Et tellement juste. Que l’enfance est cruelle, bruyante et … expressive. Il faut une bonne dose de talent (et un sacré sens du montage) pour embraquer tout le monde dans ce délire absurde autour d’élèves criards. On en viendrait presque à imaginer des suites avec les autres voyelles.

Le sexe de ma mère de Francis Canitrot

En compétition dans la sélection officielle cannoise, cette fiction oedipienne brise plusieurs tabous autour du sexe (et de sa représentation dans l’animation). Véritable petit film techniquement brillant et scénaristiquement abouti, il ose s’aventurer dans les tourments psychologiques d’une vieille mère grivoise et impudique et de son fils castré et frustré. S’il n’y avait pas un léger male gaze dominant, le film aurait été parfait.

La saison pourpre de Clémence Bouchereau

Sélectionné à la Semaine de la critique, récompensé à Pékin, Annecy et Belgrade, cette fable sur l’enfance (et l’innocence perdue qui pousse à chasser les adultes de cet éden de nénuphars et de canards) impressionne par sa beauté envoûtante et sa technique (écran d’épingles) maîtrisée avec brio.

Marioupol, Cent nuits de Sofiia Melnyk

On connait tous les images du carnage de la ville de Marioupol en Ukraine. Ici, bâtiments détruits et habitants meurtris sont presque des abstractions dans un décor cauchemardesque, animé avec maestria. Ce qui frappe avant tout c’est l’usage de la musique de Volodymyr Rudenko, qui produit l’effet d’un opéra rock lyrique et tragique saisissant.

Orage de Benoît Michelet

Dans un très beau décor de maison bourgeoise, l’histoire touchante d’une adolescente qui étouffe dans son foyer, entre un père insaisissable et passablement lâche, une mère bien trop sévère, et un petit frère adoré. L’orage c’est à la fois celui qui va venir du ciel et celui qui va s’abattre sur cette famille. Une colère qui gronde dans un environnement faussement paisible.

Via dolorosa de Rachel Gutgarts

Sélectionné à la Semaine de la critique, prix du meilleur premier film au Piaff, ce film introspectif tend un miroir à son autrice comme à sa ville, entre la guerre, la sexualité, la drogue, et finalement une jeunesse perdue. Un bel exemple d’autofiction, avec un style graphique très affirmé.

27 de Flóra Anna Buda

Palme d’or du court métrage à Cannes, Cristal du court métrage à Annecy. Le film a déjà été consacré un peu partout (et il est visible sur arte). Séduisant de bout en bout. Là encore, l’histoire d’une jeune femme en quête de sens à sa vie, entre sexualité (débridée), alcool (sans modération) et envie de liberté (périlleuse). On attend avec hâte les films suivants de la réalisatrice…

Comezainas de Mafalda Salgueiro

Un documentaire ? Un reportage? Peu importe. Le film est réalisé sous forme de caméra subjective et suit la mère de la réalisatrice en train de faire ses courses puis de préparer des recettes typiques de l’Alentejo. L’animation, qui a des similitudes avec celle de Sébastien Laudenbach, au service de la cuisine… On peut avoir faim avec les yeux.

Doux comme les citrons de Jenny Jokela

S’il n’est pas parfait, le film a le mérite de bien traiter son sujet : une relation amoureuse toxique, pour ne pas dire l’emprise d’un connard possessif sur une jeune femme. Du courriel qu’elle veut lui écrire pour rompre aux souvenirs de cette liaison empoisonnée, la réalisatrice nous emmène dans un voyage allégorique, et parfois fantasmagorique, bien vu et salutaire.

Eté 96 de Mathilde Bédouet

Nommé au César du meilleur court métrage d’animation, cette virée bretonne (un jour et une nuit) est à la fois la réminiscence d’un souvenir estival familial et assez banal, et l’initiation d’un garçon découvrant l’océan. Avec ses ton spastels et ses lignes souples, le film laisse un joli goût acidulé et salé.

Portrait de famille de Léa Vidakovic

Prix d’interprétation au Piaff, ce film de marionnettes réunit une famille dans une maison trop tranquille. De malentendus en situations cocasses, de petis drames en actes subis, le récit est une métaphore visuelle qu’on pourrait comparer à l’histoire des Balkans. On y retrouve en tout cas toute la tonalité des films de cette Europe où le burlesque n’est jamais loin, même dans le tragique. Une prouesse visuelle et et technique.

Herbe verte d’Élise Augarten

Retour à la campagne. Une jeune fille rousse prend le train. Et les souvenirs envahissent ses songes… Très pictural, usant de la superposition entre photo et dessin, le film est une jolie invitation au voyage et à la mélancolie.

Le maître des marécages de Sasha Svirsky

Tout comme pour Marioupol, Cent nuits, l’animation pourrait être ici une œuvre de commande d’art contemporain. L’esthétique peut troubler, mais le propos est indéniablement passionnant (même s’il n’est pas forcément valorisé visuellement). En tout cas, le parallèle entre Pierre le Grand et le tsar actuel de la Russie est incontestable. Une critique insidieuse salvatrice.

Nun or never de Heta Jäälinoja

Mention Spéciale pour la créativité et le sens de l’humour par le jury du Piaff, reconnaissons que cette comédie « religieuse » fait mouche. Une nonne fout le bordel dans sa congrégation, mue par un désir inexplicable mais pas inexpliqué. Peut-être un peu long, mais, néanmoins, bien déjanté, ce Sister Act en folie est porté par un style enthousiasmant.

Un Jour si blanc de Vasily Chirkov

Classique, ce film est un joli conte familial (avec happy end) sur un petit garçon qui doit s’éloigner de sa maison pendant quelques temps. Cette mise à l’écart n’a rien de dramatique. Et vaut le détour quand elle se mue en chasse à la grenouille. Sacrées grenouilles qui offrent aussi l’un des moments les plus inattendus en formant une chorale jubilatoire.

Les autres courts en bref

Le jury du Piaff a aussi récompensé le très expérimental Our pain de Shunsaku Hayashi avec le Prix Meilleur Sound design (mais sincèrement, quasiment tous les films méritaient ce prix tant le travail du son était impeccable dans toutes les productions).

Des films comme ceux de Steven Fraser (Coming Out Autistic, hélas trop similiare au docu Coming Out de Denis Parrot), Luc Levault (Un tout petit numéro, trop superficiel sur un sujet pourtant essentiel) et de Naomi Van Niekerk (Box Cutters, dont on aurait sans doute apprécié un traitement plus approfondit sur la fin) mélangeaient avec intérêt l’animation à une réalité vécue.

Le Cactus de Ricardo Kump, pas loin de l’horrifique, peut diviser, mais ne laisse pas indifférent tant les sensations restent pregnantes après la vision du film. Shackle d’Ainslie Henderson, croisement entre Max et les Maximonstres et le fantasy de Tolkien, était certainement très abouti, mais peut-être trop simple dans son message. Même regret du côté d’Argent et bonheur d’Ana Nedeljković et Nikola Majdak Jr, malgré sa belle inventivité et une pâte à modeler épatante.