FICA de Vesoul 2024 : un Regard sur 60 ans de cinéma Taïwanais

FICA de Vesoul 2024 : un Regard sur 60 ans de cinéma Taïwanais

Taïwan est un pays de cinéma qui a vu certains de ses films plusieurs fois récompensés au Festival International des Cinémas d’Asie de Vesoul : Cyclo d’or pour No puedo vivir sin ti de Leon Dai en 2010, prix Netpac pour Return ticket de Teng Yung-shing en 2012, Grand prix du jury pour Exit de Chienn Hsiang en 2015, et une mention spéciale pour The falls de Chung Mong-hong en 2022. Sans oublier, en 2006, la célébration d’une rétrospective de Hou Hsiao-hsien qui était venu recevoir un Cyclo d’or d’honneur.

Durant ces dernières années, le cinéma Taïwanais a brillé dans les festivals internationaux avec Hou Hsiao-hsien (un lion d’or à Venise pour La cité des douleurs, trois fois primé à Cannes pour Le Maître de marionnettes, Millennium Mambo, The Assassin). Malheureusement, le cinéaste, atteint de démence, a annoncé sa retraite l’an dernier. Il y a eu aussi Lin Cheng-Sheng (Betelnut Beauty, Ours d’argent à Berlin, et Murmures de la jeunesse à Cannes en 1997), Ang Lee (Garçon d’honneur Ours d’or à Berlin, Oscar du meilleur réalisateur pour Tigre et dragon et Brokeback Mountain, Lust Caution, Lion d’Or à Venise…), ou encore Tsai Ming-Liang (Vive l’amour, Lion d’or à Venise, La Rivière et La Saveur de la pastèque primés à Berlin, et un Prix du jury de Cannes à l’ingénieur du son Tu Duu-Chih pour Et là-bas, quelle heure est-il ?). Cette année, Tu Duu-Chih, ingénieur du son mondialement réputé, est récipiendaire d’un Cyclo d’or d’honneur Vesoul.

Tu-Duu Chih

Autant dire que Taïwan existe sur la carte du cinéma, quand l’île n’est toujours pas reconnue comme une nation souveraine pour ne pas froisser le voisin chinois.

Le FICA de Vesoul avait déjà programmé en 2010 un « Regard sur le cinéma taïwanais » avec des films plus anciens, qui, pour certains, n’avaient alors jamais été vus en Europe (Posterity and Perplexity de Lee Hsing datant de 1976 par exemple) ou d’autres inédits en France (Hidden Whisper réalisé en 2000 par Vivian Chang). Depuis 2010, il y a eu à Taïwan divers changements tant politiques que culturels, et pour le 30ème FICA de Vesoul, les organisateurs ont décidé de porter un autre « Regard sur le cinéma taïwanais » avec, cette fois-ci, la découverte d’une nouvelle sélection couvrant 60 ans de cinéma entre 1962 et 2022, à travers 19 films dont 14 titres inédits en France (Typhoon de Pan Lei en 1962 ou La fille du Nil de Hou Hsiao-hsien en 1987, par exemple).

C’est aussi l’opportunité de réunir une table ronde entre plusieurs talents de Taïwan venus au FICA de Vesoul cette année : Zero Chou, réalisatrice de Untold herstory (et Cyclo d’or d’honneur pour l’ensemble de son oeuvre), Hoho Liu, directrice de la photographie sur Untold herstory, Laha Mebow, réalisatrice de Gaga, le réalisateur Jean-Robert Thomann (Taïwan: chronique d’une démocratie menacée et La saveur du gingembre) et Justin Chu (du centre culturel taïwanais) :

Zero Chou : Ces derniers temps Taïwan a reçu un peu plus d’attentions du reste du monde, mais dans le pays on ne s’en rend pas compte. Les films qui ont le plus de succès en ce moment, ce sont surtout les films de fantômes ou avec du surnaturel. Les gens cherchent au cinéma autre chose que la réalité du quotidien. Des films qui abordent l’histoire du pays ou un sujet un peu politique ont moins de succès, et c’est très compréhensible.

Laha Mebow : On m’a demandé de travailler aussi sur un film de fantôme. A Taïwan la création est multiple et très large, mais la grande majorité du public va vers le pur divertissement. Moi je sais que mon public est plus réduit quand je fais un film à propos d’une population autochtone. Je prépare mon 4ème long-métrage, qui sera à la fois historique et romantique. Les étrangers ne savent pas que Taïwan c’est aussi une quinzaine de populations de différentes origines.

Jean-Robert Thomann : Le ‘cinéma de genre’ est le type de film qui a beaucoup de succès en ce moment, mais ça n’empêche pas d’aborder aussi un aspect politique, comme par exemple la période difficile dite de ‘la terreur blanche’ à Taïwan à travers le film Detention. Pour un aspect politique plus positif Taïwan a été un des premiers pays asiatiques à autoriser le mariage pour tous, et il y eu des comédies dramatiques avec des couples homosexuels qui ont eu du succès en salles. Taïwan est aussi un lieu de tournage pour plusieurs cinéastes étrangers, le canadien Rob Jabbaz y a tourné le film gore The Sadness qui a été exporté un peu partout dans le monde (sorti en salles françaises en juillet 2022). Taïwan est un endroit formidable en tant que réalisateur ou en tant que documentariste : dans un film on peut tout dire, tout raconter, tout filmer. Là, à Vesoul j’y présente en même temps un documentaire Taïwan: chronique d’une démocratie menacée et La saveur du gingembre qui est un film chanté.

Hoho Liu : Je fais le travail de directrice de la photographie depuis environ 20 ans. Après avoir été diplômée de l’université, j’ai voulu travailler sur l’image. A cette époque il y avait peu de femmes à ce poste de chef op’. Pour moi la caméra est un bon instrument pour s’exprimer. Assez vite, j’ai rejoint Zero Chou sur un documentaire. Aujourd’hui, il y a de plus en plus de femmes qui dirige l’image et à d’autres postes techniques dans certaines équipes de film.

la réalisatrice Zero Chou, avec la directrice de la photo Hoho Liu

Laha Mebow : Travailler en tant que femme dans un milieu d’hommes n’a pas été vraiment une difficulté. J’ai commencé à mes débuts en tant qu’assistante sur divers films, dont un film de Raoul Ruiz (La comédie des ombres, tourné à Taïwan). Plus tard je suis devenue réalisatrice de mes propres films.

Zero Chou : Je suis réalisatrice mais aussi, par ailleurs une activiste sociale pour differrents sujets comme l’homosexulaité ou l’inclusivité notament des femmes. Dans la société taïwanaise si une femme fait des choses de façon trop forte ou trop sérieuse, elle pourrait être repoussée. Il y avait une tradition de la femme douce et délicate qui ne doit pas trop se faire remarquer, mais tout ça, fort heureusement, change. Quand une femme fait un film sérieux, la société doit écouter.

Justin Chu : Taïwan est perçu comme une démocratie plutôt exemplaire pour l’Asie. Il y a de plus en en plus de femmes qui étudient et qui travaillent dans les métiers du cinéma. Des réalisatrices comme Sylvia Chang ou Zero Chou sont plus engagées que la plupart des hommes dans plein de domaines. On a le TFAI (Taiwan Film and Audiovisual Institute) qui se développe de plus en plus, c’est un équivalent de la Cinémathèque Française, avec la préservation et la restauration de films anciens en pellicule et aussi la promotion de nouveaux cinéastes émergents. Pour le financement des films, on a plusieurs dispositifs comme des appels à projets avec des subventions, les grandes villes ont aussi un fond de soutien au cinéma.

Zero Chou : Il y a un équilibre entre films commerciaux et films d’art et d’essai, et une volonté générale de mieux représenter toute la société par rapport au passé. Plusieurs cinéastes développent des récits avec des thèmes de liberté et de diversité, des films compliqués pour nos rapports avec la Chine. En Chine, c’est plutôt interdit de faire des films LGBT+. Le chinois Chen Kaige a gagné une Palme d’or à Cannes avec Adieu ma concubine qui évoque l’homosexualité et ça avait pu être tourné avec l’aide de Taïwan. Taïwan, tout comme la France, favorise aussi beaucoup de coproductions internationales avec d’autres pays : par exemple c’est avec l’aide de Taïwan qu’ont été produit les films récents Les colons du chilien Felipe Gálvez Haberle (Cannes 2023, sorti en décembre), La dernière reine de Damien Ounouri et Adila Bendimerad (sortie en avril 2023), Tiger stripes de Amanda Nell Eu (Cannes 2023, sortie en mars 2024).

Zero Chou est la réalisatrice de Untold herstory qui retrace les portraits de prisonniers politiques dans un camp de ‘re-éducation’ et de travaux forcés sur l’île de Green Island durant la période de ‘la terreur blanche », et en particulier le portraits de plusieurs femmes qui vont subir diverses tortures morales et physiques. Untold herstory ayant été inspiré par divers témoignages de l’époque…