Et si c’était le meilleur film de Thierry Klifa? En signant sa première comédie burlesque, le cinéaste poursuit son observation des familles dysfonctionnelles. Les rois de la piste aurait pu s’appeler Les Yeux de la mère, Le héros de la famille (ou l’héroïne…), Une vie à t’attendre ou Tout nous sépare, titres de ses précédentes fictions aux castings étoilés.
Cette fois-ci, l’alchimie des interprètes fonctionne beaucoup mieux et produit l’effet attendu : une aventure virevoltante et séduisante, avec, en figure de proue, Fanny Ardant. L’actrice a toujours excellé dans le comique : on se souvient de sa performance césarisée dans Pédale douce, mais aussi de ses personnages inoubliables dans Ridicule et Huit femmes, ou, au théâtre, dans Croque-Monsieur (il fallait oser endosser le costume de Jacqueline Maillan), mis en scène par… Thierry Klifa.
Ici, elle incarne une mère pas comme les autres, passablement déjantée. D’origine russe, elle se comporte en louve possessive avec ses deux fils (Mathieu Kassovitz et Nicolas Duvauchelle, tous deux à l’aise dans leur personnage, pourtant à contre-emploi de leur filmographie) et son petit-fils (Ben Attal, atout charme convaincant). Une Ma Dalton dont les plans ne sont pas tout à fait bien ficelés et qui ne se résout pas à vivre une existence convenue.
Le cinéaste réussit le tour de force de nous faire aimer ces pieds-nickelés ultra névrosés et de tout pardonner à cette matriarche incorrecte. Ardant fait des étincelles et embarque les spectateurs et sa smala de mecs dans un tourbillon d’engueulades, de réconciliations et de surprises (bonnes et mauvaises). Cette affaire de famille, belle association de malfaiteurs à la petite semaine, s’offre un contrepoint avec la (presque) sérieuse Laetitia Dosch, se délectant de son triple jeu, et le toujours impeccable Michel Vuillermoz. Tous deux tirent leur épingle du jeu en binôme traqueurs de voleurs. On peut cependant regretter que leur duo ressemble davantage à ceux vus à la télévision qu’à un couple de cinéma.
Famille, je vous hais
Du goulasch qui a le malheur de se faire avec de l’ail à un vol de tableau qui tourne mal, les péripéties s’enchainent. Klifa suit avec empathie ces autodidactes farfelus cherchant à échapper à la vie routinière par un moyen ou un autre (quitte à changer de quotidien ou d’identité). Mais est-ce une vie? Faut-il sauver le petit dernier de cette existence précaire et périlleuse ? Avec un zest de queerness (friendly), une bonne dose de manipulations sentimentales, une grosse louche de dépression et d’anxiété individuelle, les tromperies se multiplient et la réunion de famille se mue en belle arnaque à deux balles, hélas un peu maltraitée par quelques facilités de scénario.
Reste que la toxicité de la matriarche et la dépendance affective de ses fils (qui chacun cherche un peu de bonheur) donnent une allure de perdants magnifiques à ces branquignoles. Le tempo imposé et les oppositions de caractères permettent de prendre un plaisir réel à suivre ce quatuor dans leur aventure. Même si l’on regrette, dans l’épilogue, que le personnage de Duvauchelle abandonne son chat et son petit ami au fin fond du Cotentin. Ce double sacrifice nous paraît si injuste qu’il empêche d’être tout à fait heureux pour eux.
Malgré cela, on aimerait, volontiers, les accompagner un peu plus…