Le cinéma italien se détache de son patriarcat dominant. Le succès en salles du film de Paola Cortellesi, Il reste encore demain, qui dénonce un machisme violent et séculaire dans le pays, n’est finalement que l’acmé d’un cinéma qui laisse, enfin, un peu la place aux réalisatrices, avec, en tête, Alice Rohrwacher, Laura Samani, Valeria Golino, Francesca Comencini, Emma Dante…
Même si rares sont celles qui sont nommées aux David Di Donatello (les César italiens), elles trouvent leur place dans les festivals et auprès du public, avec des sujets davantage portés sur des personnages féminins.
Une histoire de femmes
C’est le cas avec le premier long métrage de fiction de Léa Todorov, fille d’un anthropologue de renom et qui a fait ses armes dans le documentaire. Elle puise dans ce registre pour amener du réalisme social dans son film, La nouvelle femme, portrait de Maria Montessori, femme médecin italienne au début du XXe siècle, dans un pays sexiste, misogyne, machiste. Bref, écrasé par le patriarcat. En développant une méthode d’apprentissage adaptée à des enfants qu’on qualifie de « déficients » (sous prétexte d’un quelconque handicap), elle va poser les bases de la fameuse école qui porte aujourd’hui son nom. La fiction est apportée par le personnage de Lili d’Alengy, courtisane et mondaine parisienne, et mère honteuse d’une enfant handicapée.
C’est la très belle idée du film : réunir deux actrices aux parcours et aux tempéraments opposés. Côté face, l’italienne Jasmine Trinca (La chambre du fils, Romanzo criminale, Saint Laurent), primée à Cannes pour Fortunata en 2017 et honorée à Villerupt fin 2023. Avec ce personnage avant-gardiste, féministe, en proie à de nombreux dilemmes, elle compose un rôle aussi chaleureux qu’obstiné, résilient que non résigné.
Côté pile, la française Leïla Bekhti, quatre fois nommée aux César en plus d’un César du meilleur espoir féminin il y a douze ans, et qui a su passer de Jacques Audiard à Joachim Lafosse, de Cédric Kahn à son amie Géraldine Nakache, de Radu Mihaileanu à Jeanne Herry. La voici superficielle et ambitieuse, en mère peu maternelle et égocentrique. En installant tranquillement la sororité entre les deux femmes, la réalisatrice montre également que le pouvoir n’est pas qu’une affaire d’hommes et qu’il se conquiert même sans eux.
Les failles humaines
Si le film se complait dans le confort d’un certain académisme formel, le récit, lui, est assurément anticonformiste et pleinement contemporain. On peut en effet calquer certains dialogues à notre époque. Des trisomiques ou des autistes sont traités de « singes savants« , de « dégénérés qui menacent la race de nos sociétés« . Toujours ce mépris, voire ce rejet de la différence. On dissimule ses hontes, sa culpabilité. La réputation prévaut. Et, avant tout, être une femme, qui plus est une mère (même la Montessori doit déléguer son rôle de maman pour assouvir ses ambitions), est un combat.
Il y a de la violence (morale, verbale) dans chacune des étapes à surmonter. La force des actrices est de nous conduire vers un dialogue apaisé, une confiance mutuelle apprivoisée, et même une forme de connivence silencieuse. Cependant, au-delà de l’itinéraire d’une femme qui se démène pour trouver sa place dans une époque et un système qui ne lui épargnent aucune injustice, La nouvelle femme est bien une histoire de combat contre les hommes. Deux femmes contrariées – l’une par cette fille pas comme les autres, qui lui gâche sa fortune et sa notoriété, l’autre par cette société qui l’empêche de s’émanciper – qui sont aussi précurseuses d’un féminisme qui ne dit pas encore son nom. Cela vaut bien quelques lourds sacrifices…
À force d’être rabaissées, elles en viennent à se débrouiller par elles-mêmes, et à ne compter que sur elles. C’est toute la beauté du message de ce drame très classique, un peu engoncé dans ses costumes et ses décors picturaux, qui fait des pas de côté salutaires dès qu’il s’agit de filmer la méthode Montessori avec les enfants.
Dans les prémices de cette guerre pour le droit des femmes comme pour celui des enfants, Léa Todorov signe un joli manifeste contre un écosystème masculiniste, hélas toujours en vigueur dans de nombreux pays.