Cannes 2024 : Greta Gerwig actrice, scénariste, réalisatrice, et présidente du jury

Cannes 2024 : Greta Gerwig actrice, scénariste, réalisatrice, et présidente du jury

Elle est actrice, scénariste, réalisatrice, productrice : Greta Gerwig est cette année la présidente du jury de la Compétition au Festival de Cannes. Elle a tout juste 40 ans, ce qui fait d’elle à la fois la première femme réalisatrice américaine à occuper cette fonction et aussi l’une des plus jeunes présidentes du jury (après Sophia Loren, présidente en 1966 à l’âge de 32 ans). Et, soulignons aussi, qu’avant elle selules trois réalisatrices avait eu cet honneur : Jeanne Moreau (deux fois), Liv Ullmann et Jane Campion. Autre fait insolite, c’est seulement la deuxième américaine à présider le jury, après Olivia de Havilland, en 1965.

Gerwig est hype. L’an dernier, son film Barbie a été un énorme succès commercial : 14e plus gros succès historique du box-office mondial (hors inflation), et l’un des 50 films à avoir récoltéplus d’un milliard de dollars de recettes. Incroyable mais hélas vrai : Greta Gerwig est la seule réalisatrice en solo de ce palmarès économique. Barbie a été le film-phénomène de 2023 avec de multiples nominations aux cérémonies des BAFTA, Golden Globe, et Oscar. Un phénomène, qui, avec le film Oppenheimer de Christopher Nolan, a créé le néologisme Barbenheimer et redonner goût aux spectateurs de revenir dans les salles.

On pourrait aller plus loin dans le lien entre Gerwig et Nolan, qui sera sans doute un jour président du jury à son tour. Les deux ont un parcours assez parallèle. D’abord, un premier film très personnel autour de la passion (Following pour lui, Nights and Weekends pour elle, co-réalisé avec Joe Swanberg en 2008). Puis un deuxième film qui font d’eux des révélations à suivre (Memento du côté Nolan, Lady Bird pour Gerwig en 2017). Suivent des deux côtés, un remake pour un studio hollywoodien (Insomnia chez Nolan, Les Filles du docteur March chez Gerwig). Et enfin l’énorme succès mondial en reprenant un personnage connu de tous (Batman, Barbie). On s’arrêtera là sur la comparaison tant, cinématographiquement, les deux artistes n’ont rien à voir.

Golden Girl

Avant la fantaisie féministe Barbie, Greta Gerwig a déjà connu plusieurs vies aussi bien en tant qu’actrice que scénariste. Depuis plus de 18 ans, elle creuse son sillon et s’affirme comme une artiste respectée et singulière.

La plupart des cinéphiles la découvre en 2012 avec la comédie romantique et féminine Frances Ha. En noir et blanc, Greta Gerwig crève l’écran. Le film est réalisé par Noah Baumbach, compagnon et complice. le scénario est d’ailleurs signé par le duo.

Le succès critique est général et le monde semble découvrir Greta Gerwig qui s’amuse à jouer le même type de personnage depuis plusieurs années. Etrangement le film Lola Versus sorti également en 2012 (eco-écrit et joué par Zoe Lister-Jones) sera moins populaire. On y retrouve les mêmes questionnements autour de sentiments troubles et d’un futur incertain.

2012 a peut-être été une année charnière : Young adult écrit par la scénariste Diablo Cody, Friends with Kids écrit et réalisé (et joué) par Jennifer Westfeldt, l’arrivée de la série Girls de Lena Dunham, mais aussi la sortie de Zero Dark Thirty de Kathryn Bigelow, nommée aux Oscars.

Mais c’est Greta Gerwig qui va s’imposer comme l’actrice de référence en incarnant des femmes peu avares en remises en question, pleines de malice, comme un versant féminin au Woody Allen des années 1970. Tour à tour, avec Damsels in Distress, Lola Versus et Frances Ha, elle s’impose en héroïne urbaine au milieu de romances foireuses, s’enlisant dans le passage à l’âge adulte.

Avec Greenberg, Mistress America, Sex Friends d’Ivan Reitman, To Rome with Love de Woody Allen, et surtout Maggie a un plan de Rebecca Miller, elle conquiert nos esprits en girl next door aux crises existentielles si proches de nous.

Peu importe qui est au scénario ou à la réalisation, car, par son jeu, le film devient ‘Gerwig-esque’.

Elle tente de s’en défendre : « je passe du temps à essayer de faire de mes personnages des êtres différents avec leurs propres singularités, et c’est difficile d’entendre que c’est quand-même souvent la même personne, et que c’est moi… ».

C’est sans doute pourquoi elle va tourner la page. Quelques seconds-rôles voir des courtes apparitions dans des films aux histoires qui n’ont plsu rien à voir avec le ‘coming out of age’ et la ‘bromance’. Elle va explorer d’autres territoires, plutôt dans le cinéma indépendant : Le Teckel de Todd Solondz, 20th Century Women de Mike Mills, Jackie de Pablo Larraín (et même une apparition chez la française Mia Hansen-Løve dans Eden). Un certain recul qui est plus profondément relié à un autre choix : Greta Gerwig veut (re)devenir autrice et réalisatrice.

New Game

C’est la période où elle se prépare à réaliser Lady Bird. Cinq nominations aux Oscars, dont trois sur son seul nom dans les catégories meilleur scénario original, meilleur cinéaste, et meilleur film. Elle s’affirme comme l’une des rares réalisatrices notoires à Hollywood. Au passage, elle démontre une certaine sensibilité à filmer la jeunesse, tout en ayant repéré les jeunes Timothée Chalamet, avant que Call Me By Your Name ne vire au film culte, et Lucas Hedges, tout juste auréolé de sa performance dans Manchester by the Sea.

Greta Gerwig enchaîne très vite avec la nouvelle adaptation du roman Les Filles du docteur March. Là encore, elle apporte un regard original (et d’une grande beauté) sur une histoire connue de tous. Et si elle retrouve Saoirse Ronan et Timothée Chalamet, elle prend la confiance en castant Florence Pug, pas encore starisée, Emma Watson, très rare, Laura Dern, Chris Cooper, et Meryl Streep, classe ultime.

Gerwig, présidente du jury, ne pourra que tirer sa révérence devant la Palme d’or d’honneur que reçoit l’icône américaine le jour de louverture du 77e Festival de Cannes. Elle appréciera aussi, peut-être, la présence de Louis Garrel, au générique du film d’ouverture, Le deuxième acte, qui fut son Pr Friedrich Bhaer dans Les Filles du docteur March.

Une pandémie plus tard, elle signe pour sa version de Barbie, aidée par une Margot Robbie très impliquée. Sororité. Il a fallu quelques compromis avec Mattel et Warner, mais le produit fini ne lui fait pas honte. Le monde entier s’est emparé de son film, de ses chansons et de son hymne (certes simplifié) au féminisme. Si on peut avoir des réserves sur cette comédie dramatique, comparé à ses autres films bien plus intéressants, on ne peut qu’admirer son savoir-faire : que ce soit un drame, un mélo ou une comédie ponctuée de grands numéros musicaux, Greta Gerwig n’a de leçon à recevoir de personne.

The Player

Pour le moment, elle savoure. Hollywood est à ses pieds. Elle développe deux gros projets : la réalisation d’une suite pour Le monde de Narnia, et une collaboration en tant que co-scénariste à une adaptation modernisée du Blanche-neige pour Disney réalisé par Marc Webb (avec Rachel Zegler et Gal Gadot).

Car, c’est bien son autre métier: l’écriture. C’est peut-être même son ADN cinématographique.

Elle ne se découvre actrice qu’à 23 ans, en jouant pour la première fois dans un film, LOL de Joe Swanberg : petit budget, petite équipe, petite caméra, … et petite diffusion du film. La passion est là. Pour les projets suivants de Joe Swanberg, Greta Gerwig sera bien entendu son actrice principale. Mais pas seulement. Elle co-signe le scénario de Hannah Takes the Stairs. Pour Nights and Weekends elle cumule interprétation, co-scénario et co-réalisation avec Swanberg.

Avec les frères Jay Duplass et Mark Duplass qui passent derrière la caméra avec Baghead en donnant un rôle à Greta Gerwig, c’est toute une bande qui se forme pour écrire, réaliser, jouer dans les premiers films des uns et des autres. Ainsi Andrew Bujalski qui réalise Beeswax et Funny Ha Ha, oui la réalisatrice Lynn Shelton (qui avait joué la soeur de Gerwig dans Nights and Weekends) qui fait Humpday (dans lequel joue Mark Duplass)… Ce groupe de jeunes talents échangent les rôles en fonction du projet.

Naturellement Greta Gerwig est tout à la fois: actrice, et scénariste, et réalisatrice. Leurs films créent une mouvance : le ‘cinéma mumblecore’ (en quelque sorte une suite au ‘cinéma Dogma’ mais sans règles de restriction).

L »itinéraire de Greta Gerwig représente tout un cheminement : cinéma indé en toute liberté, cinéma d’auteur mainstream, et désormais blockbuster de studios.

Lady Gerwig

Mais c’est bien au scénario qu’elle a pris une dimension d’artiste plus complète (Frances Ha, puis Mistress America de Noah Baumbach, qu’elle a écrit et interprété) avant de de nouveau réalisé enfin seule SON film, Lady Bird. On pourrait d’ailleurs y voir un récit autobiographique : Lady Bird s’ennuie à Sacramento, ville de naissance de Greta, et aspire à vivre à New York pour participer pleinement à la vie culturelle de la métropole…

Les scénarios des films Greta Gerwig se répondent aussi. Dans Hannah Takes the Stairs, elle se prépare à entrer enfin dans la vie active et rencontre des nouvelles personnes, dans Nights and weekends c’est la ré-évaluation d’une relation de couple, dans Frances Ha elle se confronte à une crise existentielle à propos de son avenir incertain, dans Mistress America c’est la découverte d’un nouvelle ville et d’un autre mode de vie, dans Lady Bird elle va s’ouvrir au monde et découvrir de nouvelles expériences… À chaque fois, ses femmes sont dans une mutation intime, dans un chaos émotionnel, dans une confrontation compliquée au réel.

Est-ce que justement il n’y aurait pas tout ça dans la structure du scénario de Barbie ?

Barbie qui entre dans la vie réelle et qui rencontre des nouvelle personnes, Barbie qui ré-évalue sa relation de couple avec Ken, Barbie qui se découvre une crise existentielle, Barbie qui revient dans Barbieland transformé en système patriarcal comme autre mode de vie, Barbie qui décide de devenir humaine (son premier rendez-vous sera gynécologique)…

En la choisissant comme présidente du jury, le Festival Cannes explique : « Elle rapproche art et industrie, interroge avec finesse et complexité les problématiques contemporaines, affirme ses ambitions artistiques exigeantes au sein d’un système économique qu’elle investit pour mieux en disposer ».

Elle portse ainsi le regard d’une gamine californienne, d’une artiste un peu underground new yorkaise, d’une femme de pouvoir hollywoodienne. Tout à la fois. Un vent de fraîcheur souffle sur la Croisette, alors que Greta Gerwig endosse au 77e Festival de Cannes le plus important premier rôle de sa vie…


 

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