Cannes 2024 | L’animation a-t-elle enfin la place qu’elle mérite?

Cannes 2024 | L’animation a-t-elle enfin la place qu’elle mérite?

L’année dernière, et plusieurs fois avant cela, nous nous étions émus de la (maigre) place faite aux longs métrages d’animation à Cannes. Les syndicats AnimFrance et le SPI avaient même critiqué, dans un communiqué, sa quasi invisibilité, et son cantonnement à des séances moins prestigieuses, comme le Cinéma de la plage (pas toujours très adapté pour découvrir en première mondiale un film qui a nécessité de grandes prouesses sur le travail du son, par exemple), ou dans les sempiternelles séances enfants auxquelles il semble encore et toujours abonné. 

Cette année, ce sont 8 longs métrages d’animation qui seront présentés sur la Croisette (contre 4 l’an dernier), et 9 courts métrages. Sur le papier, la moisson est donc plutôt bonne, et les deux mêmes syndicats se sont d’ailleurs fendus d’un nouveau texte pour se féliciter de cette évolution. 

Une évolution positive sur le plan quantitatif, c’est indéniable. L’animation n’a plus le sentiment de ne pas avoir sa place à Cannes, et c’est une bonne nouvelle. Même si c’est, au fond, une évolution normale et tardive, directement liée à l’incroyable dynamisme du secteur, qui produit plus de longs métrages chaque année. Il faut saluer une juste remise à niveau des choses, mais certainement pas s’en extasier outrageusement.

Bémols

D’autant que, dans le détail, pas sûr que les choses aient tellement évolué. Car où sont sélectionnés les longs métrages en question ?

À la plage et en séance jeunesse pour quatre d’entre eux, à la Quinzaine des Cinéastes, pour deux d’entre eux, et à Un Certain regard et en Compétition pour les deux restants. Et c’est bien sûr avant tout cette sélection-là, dans la Compétition de la sélection officielle, qui réjouit tant une petite partie du monde de l’animation. Pensez-donc : un long métrage d’animation dans la course pour la Palme d’or, on n’avait pas vu ça depuis Valse avec Bashir en 2008 ! 

Mais quel est donc le film heureux élu ? Quel auteur d’animation a réussi cet exploit admirable, obtenant enfin la reconnaissance d’un festival et d’un délégué artistique dont le peu d’appétence pour l’animation ne sont pas un mystère ? Pas besoin de roulements de tambour : c’est La Plus précieuse des marchandises, premier long métrage d’animation de Michel Hazanavicius, si habitué de Cannes qu’il y a été en compétition y compris avec de forts mauvais films (The Search) et en ouverture avec un remake sympathique mais plutôt anecdotique (Coupez!).

Et si l’on ne peut que remercier le cinéaste (pour lequel il s’agit d’une cinquième sélection officielle) d’avoir réussi à porter haut les couleurs de l’animation, on ne peut malgré tout s’empêcher d’imaginer le dilemme de Thierry Frémaux (on sait depuis longtemps que lorsqu’il s’agit d’animation, la qualité du film n’a plus grand chose à voir dans l’équation) : ne pas sélectionner le film en compétition, c’était laisser dire que l’animation – même portée par un auteur chouchou du festival – y était persona non grata. Le sélectionner, c’est prêter le flanc au mauvais procès de ne l’avoir choisi que parce qu’il s’agit de Michel Hazanavicius. Situation insoluble : même si bien sûr, on ne connaîtra jamais le fin mot de l’histoire, la suspicion subsiste.

On a d’ailleurs envie de dire : que La plus précieuse des marchandises soit en Compétition, au vu des pratiques habituelles du festival qui suit « ses » auteurs quasiment envers et contre tout, c’est un peu la moindre des choses. 

En revanche, que Slocum et moi de Jean-François Laguionie, l’un des plus grands réalisateurs français vivants, auteur des admirables Gwen, le livre de sable, Le Voyage du Prince, Louise en hiver… soit relégué au cinéma de la plage, on a du mal à le comprendre – et à l’accepter. On ne compte pas tant de cinéastes avec une longévité et une carrière comme la sienne – qui inclut un certain nombre de grands prix internationaux avec ses courts métrages, ainsi qu’un César, une Palme d’or et un Cristal à Annecy, sans parler de sept longs métrages passés eux-aussi par les plus grands festivals. La logique voudrait au contraire que sa sélection soit l’occasion de l’honorer comme il se doit, en lui offrant une première mondiale dans les meilleures conditions techniques et artistiques possibles. Imagine-t-on (au hasard) Michel Hazanavicius faire sa première mondiale sur la plage ? 

Joies

Tout n’est pas complètement noir pour autant, et si ce 77e festival de Cannes nous réserve une bonne surprise en terme d’animation, c’est bien de voir Flow, deuxième long métrage du réalisateur letton autodidacte Gints Zilbalodis, se hisser en sélection officielle (lire aussi : Cannes 2024 : nouvelle(s) génération(s)).

Le Festival est ici pleinement dans son rôle, en mettant en lumière un cinéma indépendant atypique dans une section (Un Certain regard) qui a été créée pour cela. Le film sera vu, y compris par la presse dont on connaît l’importance à Cannes, commenté, analysé et critiqué au même titre que tous les autres films présentés. Ce qui est globalement tout ce qu’on demande.

On se réjouit aussi des choix de la Quinzaine, qui s’est positionnée à la fois sur une animation grand public plutôt classique avec le film japonais Anzu, chat fantôme de Yôko Kuno et Nobuhiro Yamashita, et sur du cinéma hybride expérimental avec le retour du duo gagnant chilien de La casa Lobo, Cristóbal León et Joaquín Cociña, qui signent Los Hiperbóreos.

Sans oublier Eat the night de Caroline Poggi et Jonathan Vinel, qui contient des scènes réalisées avec un moteur de jeu vidéo créé spécialement pour l’occasion, et Une Langue universelle de Matthew Rankin, qui pourrait comporter des séquences animées, comme c’est l’habitude du réalisateur. 

AnimFrance et le SPI se félicitent d’ailleurs de « l’attention portée à l’animation par la Quinzaine des Cinéastes » parce qu’elle avait nommé en début d’année « un consultant dédié en la personne d’Alex Dudok de Wit », journaliste et producteur spécialisé dans l’animation. On comprend que de l’extérieur, cela semble une nouvelle rassurante et encourageante. Le milieu de l’animation a eu toutes les raisons de se sentir mal-aimé par le passé. Mais quiconque connaît un tant soit peu le travail de sélection sait qu’il n’y a jamais eu besoin d’être spécialiste d’une forme de cinéma plutôt que d’une autre pour avoir envie de sélectionner tel ou tel film. Seule la curiosité et la passion comptent. C’est même plutôt triste d’imaginer qu’un sélectionneur « généraliste » ne puisse pas porter un regard enthousiaste sur toutes les sortes de films. Et c’est aussi complètement faux, puisque par le passé, et sans l’aide d’aucun « consultant », de grands films d’animation ont été présentés à Cannes, toutes sections confondues.

Plus délicat, le choix d’Alex Dudok de Wit, désormais producteur, et donc potentiellement juge et partie, interroge. Surtout lorsque l’on découvre qu’il a travaillé sur le film… Anzu, chat fantôme, justement sélectionné à la Quinzaine. On sait comment fonctionnent les comités de sélection, et dans la majorité des cas, les décisions sont évidemment collectives. Malgré tout, cela ne fait que jeter un voile de suspicion inutile sur le film, et sur les processus de sélection de manière générale.

Si l’on ajoute à cela le fait que l’écrasante majorité des films sélectionnés sont réalisés par des hommes (7 sur 8 en longs métrages, 5 sur 9 en courts) et que la Palme d’or d’honneur au studio Ghibli arrive effroyablement tard, comme pour se rattraper des « erreurs » du passé, quelques ombres au tableau empêchent donc de se réjouir autant qu’on le voudrait de la présence animée cannoise inédite cette année.

Sans renier notre mauvais esprit, il ne faut pas bouder notre plaisir, mais au contraire compter sur le fait que la diversité des récits, des styles, des esthétiques et des mises en scène présentés seront les meilleurs ambassadeurs du cinéma d’animation et, en contribuant à alimenter la culture des spectateurs et des professionnels, permettront de continuer à faire évoluer le regard porté sur lui. D’ici 10 ans, qui sait, peut-être ce genre d’articles sera-t-il même devenu totalement obsolète.

Les longs métrages
La Plus précieuse des marchandises de Michel Hazanavicius (Compétition)
Flow de Gints Zilbalodis (Un Certain Regard)
Anzu, chat fantôme de Yôko Kuno et Nobuhiro Yamashita (Quinzaine des Cinéastes)
Los Hiperbóreos de Cristóbal León et Joaquín Cociña (Quinzaine des Cinéastes)
Silex and the city de Jean-Paul Guigue et Jul Guigue (Cinéma de la plage)
Slocum et moi de Jean-François Laguionie (Cinéma de la plage)
Angelo dans la forêt mystérieuse de Alexis Ducord et Vincent Paronnaud (Séance spéciale jeune public)
Sauvages de Claude Barras (Séance spéciale jeune public)

Les courts métrages
Les Belles cicatrices de Raphaël Jouzeau (Sélection officielle)
Volcelest de Eric Briche (Sélection officielle)
Crow man de Yohann Abdelnour (La Cinef)
Echoes de Robinson Drossos (La Cinef)
Plevel de Pola Kazak (La Cinef)
Bunnyhood de Mansi Maheshwari (La Cinef)
Extremely Short de Koji Yamamura (Quinzaine des Cinéastes)
A Menina e o pote de Valentina Homem (Semaine de la Critique)
Supersilly de Veronica Martiradonna (Semaine de la Critique)