Cannes Classics | Napoléon d’Abel Gance : le sacre tardif d’une œuvre monumentale

Cannes Classics | Napoléon d’Abel Gance : le sacre tardif d’une œuvre monumentale

Pour les 20 ans de Cannes Classics, le festival de Cannes a décidé, pour la première projection de sa 77e édition, de faire un immense cadeau : un film muet de plus de 5 heures.

Napoléon vu par Abel Gance, monstre presque centenaire (trois versions ont été montées en 1927), revient sur nos écrans après 15 ans d’inventaire et de restauration et 4 millions d’euros (dont l’apport non négligeable du grand mécène Netflix).

Petit point historique: Ce Napoléon est un film sans négatif (il a été perdu lors de son exportation aux Etats-Unis). La version « Apollo » a été montrée au cinéma Apollo et dure 9h30 ; la version pour le président de la République, à l’Opéra de Paris, appelée « Opéra » dure 11h44. Enfin, à partir de la version Apollo, Abel Gance a coupé pour finaliser une version de sept heures, la « Grande version », que personne n’a vu depuis 1927.

Mais plutôt que de s’extasier devant la prouesse technique des restaurateurs, en plus de la création d’une parfaite partition musicale dédiée, enthousiasmons nous sur ce film aussi grandiose que grandiloquent, virtuose que virevoltant.

Virtuose

Film reconstruit, Napoléon impressionne par son inventivité visuelle, sa grammaire cinématographique infinie, son sens du grandiose. Ce qui ne retire rien à une narration alternant action, faits historiques, comédie (notamment avec les enfants), et reconstitutions ambitieuses. À cela, la démesure du film ajoute des effets « spéciaux » et visuels étonnants. Napoléon se veut un immense tableau pictural, plus qu’élogieux, sur la naissance d’un mythe. Clairement, Abel Gance fait de son héros une icône, voire un messie, dans un récit très partial, pour ne pas dire belliqueux et religieux, sur cet impétueux et ambitieux soldat.

Cela en fait un objet visuel non identifié, voire incongru. Ce Napoléon se focalise essentiellement sur Bonaparte, ironiquement. Tout comme le film est censé être biographique et pourtant, il n’en a nullement l’allure. On est plus proche d’une fresque expérimentale, tentant ici et là des innovations cinématographiques et des coups de bluffs au niveau du montage, tout en épatant le spectateur avec ses combats et ses poursuites (celle en Corse est impressionnante) ou en l’émouvant avec quelques séquences élégiaques.

Abel Gance propose des montages parallèles (la tempête maritime et les débats orageux de la Convention), sait jouer avec le rytjme du découpage, offre des flash backs, des split-screens ou des superpositions d’images… Les ajouts chromatiques de la restauration subliment certains enchaînements. Sans oublier la caméra portée à même l’épaule, ou sur un cheval, une balançoise, ou sous la guillotine.

Création d’un mythe

Les idées et les audaces foisonnent. De la frissonnante Marseillaise à la dantesque bataille de Toulon, des intrigues à Paris aux rivalités sur l’île de Beauté, avec un certain sens de la narration pour faire comprendre les enjeux dans un format muet, on suit cette ascension d’un homme au fil de l’ambition du cinéaste. Les deux coexistent pour finalement coaguler puis confluer jusqu’à un même but, leur sacre. L’un vers un impérialisme conquérant (qu’on ne verra pas dans cette version cannoise du film), l’autre vers un cinéma spectaculaire mêlant art nouveau, expressionnisme et créations expérimentales (qui ne lui rapporte pas la gloire annoncée).

Mais plus important encore, Abel Gance refuse de « comprendre »psychologiser » Napoléon en tant qu’homme. Déjà gamin, dans cette bataille de boule de neige a priori innocente, il fait de l’élève Bonaparte un héros prédestiné à un avenir unique. Le destin comme seul moteur de l’énergie et du génie de ce Corse. Presque un film sur un sauveur illuminé.

C’est ce qui explique le lyrisme de l’ensemble, voire la puissance de certaines parties. Et là, il faut aussi reconnaître qu’Albert Dieudonné n’incarne pas Napoléon. Il s’efface devant le personnage. Lui aussi semble avoir été prédestiné à jouer ce rôle.

Œuvre monumentale, Napoléon fascine tant il semble n’avoir aucune limite. Le mot épique semble avait été créé pour ce film.