Cannes 2024 | Le deuxième acte : Dupieux au pieu!

Cannes 2024 | Le deuxième acte : Dupieux au pieu!

Florence veut présenter David, l’homme dont elle est follement amoureuse, à son père Guillaume. Mais David n’est pas attiré par Florence et souhaite s’en débarrasser en la jetant dans les bras de son ami Willy. Les quatre personnages se retrouvent dans un restaurant au milieu de nulle part. Tout déraille…

Quentin Dupieux tourne beaucoup. Peut-être trop. Avec ses courts longs métrages (le troisième en un an), on frôle l’overdose. On peut au moins lui reconnaître de ne pas se répéter et de chercher à nous surprendre. Malgré tout, ce nouveau « 75 minutes » (avec en bonus un épilogue interminable où il filme les rails de ses travellings) ne convainc pas plus que ses précédents films. Depuis Le daim, on reste un peu sur notre faim.

Fiction et réalité s’entremêlent ici dans une confusion volontaire, dictée par une intelligence artificielle. Ainsi, le film rejette le formatage des récits en lui opposant, en apparence, une histoire singulière, foutraque (à quelques moments incohérente une fois les vérités connues), et censément drôle (pour le coup c’est subjectif).

Cringe

Le deuxième acte se veut une critique du système, de l’industrie du cinéma, portée par quatre de ses stars, prêtes à se « moquer » d’elles-mêmes, de l’époque, de leur métier. Il a du se régaler à filmer ces césarisés bien payés récitant au mot près son pamphlet. Hypocrisie affichée : ce même Dupieux a beau réaliser ses films en artisan, il profite également du marketing et de la réputation des têtes d’affiche qu’il enrôle depuis une vingtaine de films. On reviendra plus tard à ses contradictions.

La satire, trop biaisée, fait long feu. Reste la farce, parfois brillante (notamment dans le restaurant). On sourit devant l’ironie de certains propos, et certains jouiront des réflexions critiquant le politiquement correct des victimes et des minorités. L’image de Seydoux, Lindon, Garrel et Quenard sert de vecteur intéressant vers un second degré plus ou moins subtil.

« Tu veux qu’on se fasse cancel ? »

OK Boomer. Quentin Dupieux tente de se rattraper sur la fin (on ne divulgâchera rien), mais cela reste toujours gênant de faire croire qu’on ne peut plus rien dire sur les trans, les drags, les gays, les handicapés, etc. Tout en les offensant, insidieusement. Il se rattrape à la fin, avec les jeux de rôles, des faux-semblants, ces masques qui tombent. Sa dénonciation demeure néanmoins confuse et maladroite. Quelques tirades s’avèrent gênantes. Grinçantes pour d’autres. Sans doute cet humour « cringe » tellement tendance ces temps-ci.

Travellings

La haine de l’époque (le climat, le cinéma industriel, les algorithmes, le wokisme) et la nostalgie du passé (quand on pouvait embrasser les filles contre leurs gré, par exemple, ou affirmer sa transphobie) laissent le spectateur perplexe. Sauvé par son casting quatre étoiles, assuré de lui donner de la visibilité, il leur a écrit un quintette avec toutes les combinaisons possibles par duo.

Reconnaissons qu’ils sont tous très bons (même quand ils sont mauvais) et récitent très bien ce déluge textuel : le film est très bavard, pour ne pas dire gavé de dialogues. La réalisation, efficace et parfois inspirée, repose sur la prouesse de quatre très longs travellings (l’un d’eux a été homologué par le World Guinness Book, chapeau!). Regardez qui a le plus gros!

« – Passe de bonnes vacances… avec mon pognon, en plus!
– Petite trainée. »

Peut-être qu’en enchaînant ses films conceptuels, Dupieux est en quête d’un film idéal. Mais à trop vouloir frimer, ne lasserait-il pas un peu? Ses récents sujets ne mènent jamais à une réflexion aboutie. Écrit à gros traits, ponctué de stéréotypes basiques, le scénario se laisse porter par sa superficialité à défaut de partir en quête d’une réelle profondeur. Ainsi, la mise en abyme échoue malgré quelques bons gags. C’est paresseux quand ce n’est pas à la ramasse.

Avec un récit qui superpose trois histoires, Le deuxième acte s’avère un jeu de vrai-faux « méta » sur le cinéma où Dupieux s’efface derrière une trop facile Intelligence Artificielle. On aurait aimé qu’il dynamite avec plus de folie ce 7e art si vicieux (à en croire le film) et ses stars si pathétiques (toujours fictif?). Le rire jaune ou noir suffit-il à comprendre qu’il y a quelque chose de pourri en ce Royaume du cinéma?

« C’est la fin de l’humanité, et tu veux continuer à jouer une fille dans un film d’auteur? »

Il se fourvoie alors dans un laborieux épilogue qui s’étire un peu trop (deux duos caricaturaux, un solo tragique), Quentin Dupieux développe assez foireusement une théorie sur la réalité et la fiction. Lequel rejoint l’autre? Le deuxième acte fournit une réponse peu inspirée mais glaçante…

Cela reste un peu court. D’autant que son film souffre de ses propres contradictions : des acteurs de premier plan qui accusent ce monde déviant (agents compris) dans lequel ils s’épanouissent avec de bons cachets, un financement par un producteur de films d’auteur, une chaîne de télévision et une plateforme (l’honnie Netflix et ses algorithmes). Finalement, le merveilleux monde du cinéma dans lequel le gaté Quentin Dupieux s’est invité n’a pas l’air si véreux.

Le deuxième acte. Hors-compétition Cannes 2024. 
Film d'ouverture.
1h20. Sortie en salles le 14 mai 2024.
Avec Léa Seydoux, Vincent Lindon, Louis Garrel, Raphaël Quenard et Manuel Guillot.
Réalisation, scénario : Quentin Dupieux
Distribution : Diaphana