Megalopolis est une épopée romaine dans une Amérique moderne imaginaire en pleine décadence. La ville de New Rome doit absolument changer, ce qui crée un conflit majeur entre César Catilina, artiste de génie ayant le pouvoir d’arrêter le temps, et le maire archi-conservateur Franklyn Cicero. Le premier rêve d’un avenir utopique idéal alors que le second reste très attaché à un statu quo régressif protecteur de la cupidité, des privilèges et des milices privées. La fille du maire et jet-setteuse Julia Cicero, amoureuse de César Catilina, est tiraillée entre les deux hommes et devra découvrir ce qui lui semble le meilleur pour l’avenir de l’humanité.
Le retour (et requiem) du géant Francis Ford Coppola s’avère un purgatoire. Megalopolis est un projet ambitieux porté depuis quarante ans, financé sur ses propres deniers (en hypothéquant ses vignes). On espère quand même qu’il redeviendra le bon vigneron qu’il est tant le cinéaste s’est perdu (et nous a perdus).
« La philosophie ne doit pas se dire, elle doit s’incarner » explique doctement Julia (Nathalie Emmanuel) en citant Marc Aurèle (son auteur de prédilection puisqu’elle le connaît par cœur).
On aurait aimé que Megalopolis suive ce précepte. La fable de Coppola, hybride entre un Gotham SF mordoré et une métaphore appuyée de l’effondrement de l’empire romain (César, Cicéron , Claudio…), échoue à nous emporter dans son délire métaphysique et civilisationnel. Si on retrouve les obsessions de Coppola – paranoïa, trahisons familiales, soif du pouvoir, faillite des créateurs -, rien dans ce scénario ne cherche à nous embarquer pour palpiter avec cette saga élitiste et politique. Car rien n’est proprement incarné, comme on le soulignait.
La fin du monde pour les Nuls
Coppola n’a pas su se dépêtrer de son histoire. Il étale une trop grande érudition, tandis que toute forme d’émotion ou de passion est absente. Il tente bien des artifices classiques comme la voix off professorale, le « training montage » pour résumer une période, la chanson pop pour faire moderne, ou des dialogues lourdement explicatifs, mais cela ne suffit jamais à aérer son film. Et cela révèle avant tout l’incapacité qu’il a eu à mettre en image son sujet comme son histoire.
Megalopolis n’apporte rien de nouveau au déclin de l’Empire américain, à la décadence des élites, à la colère des peuples, à la déchéance annoncée d’une société incapable de réfléchir collectivement à son avenir. Les questions qu’il se pose ne repose sur aucune idée visuelle originale. Et ce n’est pas parce qu’il y a un peu de cul, un peu de coke, et un peu de cirque qu’on s’immerge dans du transgressif. .
Cependant, tout cela reste sagement dans le registre du cliché. Tout comme le découpage, avec sa succession de scènes s’accumulant les unes après les autres, épuise rapidement le spectateur. Cela ne fait pas une mise en scène (même si la lumière et la cadrage sont très soignés). Il faut un coup de feu inattendu (dans le dernier tiers du film) pour éprouver enfin une sensation physique. Coppola n’a pas osé une grande farce babylonienne ou, inversement, un grand opéra shakespearien. Il nous fait subir une œuvre boursoufflée et légèrement gâteuse.
Le cynisme des protagonistes a été sa seule prise de risque (et encore, la morale sera sauve, avec ce qu’il faut de pardon, de rédemption, de martyr etc.).
Dark Knights intellos
Sur le bûcher des vanités, le cinéaste a brûlé ses dernières cartouches. En vieux papy, il constate que le monde est absurde, que les jeunes sont incultes, que les femmes sont l’avenir de l’homme, que la seule utopie qui vaille c’est la préservation de la planète, que la science nous sauvera tous. Au moins nous propose-t-il un épilogue plus « hollywoodien » et plus « heureux » que pour le Monopolis de Starmania (on frôle le plagiat parfois).
On peut, au moins, se dire que le film est beau, que la vieille DS de César (Adam Driver, qui réussit à habiter son personnage) a son charme, qu’il y a une ou deux touches d’humour bien sentie, et que, sans crier gare, quelques séquences se distinguent (split-screen en triptyque, ombres démesurées sur les immeubles, interview en format réduit de César) et quelques unes qui fascinent. C’est ce qu’on espérait de Coppola. Une réinvention visuelle sur la déchéance d’un empire, entre montée du discours populiste et incapacité à produire de l’espoir. Un cinéma de recherche (ce qu’il est parfois) au service d’une expérience collective.
Or, l’essentiel du récit est une compilation de citations savantes et un éloge de la dialectique, sur fonds d’images sorties d’un logiciel d’Intelligence Artificielle. À nous noyer dans une synthèse de ses lectures, Coppola passe en fait à côté d’un grand film sur une société malade, une folie des hommes indomptable, et une planète en perdition.
Et le pire n’est pas dans cet échec. En bon grand père, il veut croire que la jeunesse réparera les erreurs des générations la précédent. En bon mâle blanc, il érotise les femmes jusqu’à en faire des prédatrices sexuelles, des lesbiennes ou des vierges alléchantes. En bon Américain, il est persuadé que l’Amérique se régénèrera et restera dominante.
En immense cinéaste, et grand créateur, il s’est convaincu qu’il pouvait contrôler le temps, l’arrêter, pour nous offrir 2h20 de pensum, avec des personnages auxquels on ne s’attache jamais. Un soap-opéra grotesque ou un péplum rétro-futuriste burlesque. Selon l’humeur.
C’est sans doute cela le plus désolant avec Megalopolis : notre indifférence l’emporte.