Cannes 2024 | Rendez-vous avec Pol-Pot : Rithy Panh toujours en quête des images manquantes

Cannes 2024 | Rendez-vous avec Pol-Pot : Rithy Panh toujours en quête des images manquantes

1978. Depuis trois ans, le Cambodge, devenu Kampuchéa démocratique, est sous le joug de Pol Pot et ses Khmers rouges. Le pays est économiquement exsangue, et près de deux millions de Cambodgiens ont péri.
Trois Français ont accepté l’invitation du régime et espèrent obtenir un entretien exclusif avec Pol Pot : une journaliste familière du pays, un reporter photographe et un intellectuel sympathisant de l’idéologie révolutionnaire.
Mais la réalité qu’ils perçoivent sous la propagande et le traitement qu’on leur réserve va peu à peu faire basculer les certitudes de chacun.

Rithy Panh continue de remuer le passé cambodgien et dénoncer le génocide de son peuple par les Khmers Rouges, et son dictateur en chef, Pol Pot.

Rendez-vous avec Pol Pot ose une reconstitution hybride, hélas bancale et inégale, entre documentaire et adaptation d’un récit autobiographique. Son nouveau film n’a pas l’intensité de ses grandes œuvres sur le même sujet, à commencer par L’image manquante et S21, la machine de mort Khmère Rouge. Ni même de Bophana, autre tragédie cambodgienne, réalisé il y a près de trente ans. Pour Bophana comme pour Rendez-vous avec Pol Pot, le cinéaste s’est inspiré du livre de la journaliste américaine Elizabeth Becker, Les larmes du Cambodge. L’une des rares occidentales à avoir eu un entretien avec le despote.

« Personne n’a plus de nouvelles de personne. »

Cependant, grâce à quelques audaces formelles, le drame réussit par intermittence à nous emporter. Pas seulement avec le passage du noir et blanc à la couleur ou des archives réelles à la fiction inventée. Ce qui séduit, en attendant la fameuse entrevue avec le tyran, ce sont plutôt ces scènes presque abstraites sur un tarmac isolé, ce village Potemkine inquiétant, et ces passerelles visuelles où les personnages se muent en figurines. En passant à l’animation le cinéaste souligne mieux l’illusion de ce régime ultra-violent. Une histoire de leurres : ceux que les Khmers rouges créent pour impressionner les trois occidentaux, mais également ces idéaux révolutionnaires tout aussi chimériques, qui fascinent partiellement ou complètement les journalistes. Des utopies dévoyées…

De douilles et d’os

Sans doute pour raccourcir son film et pallier à un manque de moyens, Rithy Panh a su être créatif, et même inventif, afin de raconter ce voyage en terre déconvenue. Cela ne l’empêche pas de regarder frontalement ce génocide conduit par le groupe maoïste. Il en rappelle d’ailleurs les grandes lignes politiques : exode forcé, famine, collectivisme cachant l’esclavagisme, propagande mythomane, isolationnisme, crimes de masse, etc. Une révolution prolétaire qui, évidemment, est mensongère et ne sert que son « frère n°1 ». Certaines anecdotes pourraient nous faire sourire si elles n’avaient pas eu de si graves conséquences.

C’est lors de ce rendez-vous si attendu entre les journalistes et le dictateur que le cinéaste semble le mieux inspiré, cinématographiquement. Dans cette dialectique classsique, Rithy Panh ne filme jamais son visage. Il est dans la pénombre ou dans l’obscurité. Ce qui illustre visuellement sa place du côté des forces obscures comme cela traduit l’annonce de son crépuscule. Mais surtout, et c’est là que réside toute la force et l’intérêt du film, le réalisateur donne la parole à Pol Pot, et pas seulement aux victimes (objets et sujets de nombreux films de Panh). L’horreur sémantique, politique, idéologique, derrière une apparente placidité, s’impose ainsi à nos regards et nos oreilles. Le monstre sort alors de sa caverne, sûr de son destin.

Les déchirures

Fin 1978, on est à l’aube de la chute de Pol Pot. On devine, en arrière-plan, que la domination des Khmers n’est déjà plus totale, que la menace vient du Vietnam. Mais le film n’ira pas plus loin. Nous resterons avec l’image d’un tyran impitoyable et omnipotent, claquemuré dans son palais, profitant de ses privilèges (et de produits occidentaux). Prêt à éradiquer tous ceux qui ne sont pas purs (selon ses critères, arbitraires).

Ce voyage au bout de l’enfer aurait gagné à être plus passionnant, assumant le thriller et laissant la place au temps long qui s’étire… En partant dans plusieurs directions, et en ne cherchant pas à construire des relations humaines approfondies, le réalisateur ne parvient qu’à réaliser une forme de reportage historique sous la forme de témoignages.

Ce rendez-vous, en partie manqué, souffre beaucoup de cette histoire de journalistes français, sans relief et trop balisée, servie par des comédiens peu convaincants, hormis Cyril Guei. La mise en scène ne transcende jamais son propos. Le film subit peut-être l’incapacité, explicable et compréhensible, de la part du cinéaste pour tenir son récit à distance, afin de rendre son propos plus universaliste et plus fédérateur.

Malgré ces failles, on reste toujours saisi d’effroi par ce trauma qui continue de hanter tout un peuple, et, a fortiori, par les fêlures de Rithy Panh. Des blessures toujours à vif qu’aucune image ne semble pouvoir apaiser ou guérir.

Rendez-vous avec Pol Pot. Cannes Première.
1h52
Sortie en salles le 5 juin 2024.
Avec Irène Jacob, Grégoire Colin, Cyril Guei, Bunhok Lim, Somaline Mao
Réalisation : Rithy Panh
Scénario : Pierre Erwan Guillaume, Rithy Panh
d’après Les Larmes du Cambodge (When The War Was Over) d’Elizabeth Becker
Distribution : Dulac distribution