Le diamant brut du titre, c’est Liane, jeune fille fougueuse et déterminée de 19 ans que les autres semblent sans cesse vouloir façonner à leur image : sexy mais pas trop, plus conventionnelle, moins libre et indépendante. Elle, elle ne rêve que de ressembler aux influenceuses qu’elle admire sur TikTok. Elle affiche donc une poitrine généreusement refaite, des ongles démesurés et des chaussures à paillettes, et attend l’opération de ses rêves : des fesses plus rebondies, tout en aspirant à pouvoir montrer au monde, à l’occasion d’une émission de télé-réalité pour laquelle elle a passé un casting, qui elle est vraiment.
Dans la lignée de son court métrage J’attends Jupiter, qui racontait sensiblement la même histoire, Agathe Riedinger s’intéresse à un personnage terriblement contemporain, et extrêmement ambivalent, qu’il serait facile, mais imprudent, de juger au premier regard. La grande force du film est d’en avoir fait un personnage rugueux, mais touchant, dont l’énergie contamine le montage, et dont les choix ne nous apparaissent jamais plaqués. C’est une variation autour de la petite fille attirée par tout ce qui brille, qui se rêve en princesse admirée de tous. Son seul horizon, pour se hisser à la hauteur de ses ambitions, ce sont les outils contemporains : les réseaux sociaux, les émissions de télé-réalité. En d’autres temps, peut-être aurait-elle rêvé d’épouser un prince. Mais Liane est une fille d’aujourd’hui, et son succès, elle veut ne le devoir qu’à elle-même. Ce n’est donc pas d’un homme, aussi gentil soit-il, que viendra le salut, mais de sa capacité à saisir les chances qui lui sont données.
Chances relativement minces, puisque la vie n’a pas toujours été tendre avec elle. Mais chances tout de même, puisque la nature l’a gâtée, et qu’elle est assez intelligente pour trouver une manière de s’en sortir. Evidemment, Diamant brut ne fait pas l’apologie naïve d’une célébrité se mesurant à son tour de poitrine et au nombre de ses followers. Mais il a le bon goût de ne pas non plus juger celles et ceux qui aspirent à ce mode de vie, et surtout de ne jamais juger son héroïne ou ses aspirations. Le regard qu’il porte sur le milieu des influenceurs est distancié et empathique, à mille lieues des films qui ne cessent d’en dénoncer la superficialité et les difficultés ou aberrations, sans chercher à comprendre les leviers qu’un tel monde actionne.
Agathe Riedinger, justement, s’attache à comprendre ces leviers, à explorer ce que cela fait de toucher le rêve du doigt, et d’avoir le sentiment, comme le dit le personnage, que pour une fois dans sa vie, elle a des dispositions pour quelque chose. Douée pour plaire dans une émission de télé-réalité, d’accord. Mais certainement pas prête à tout pour réussir. Nous sommes dans les années 2020, et Liane, sous ses faux airs de poupée Barbie, à laquelle sa mère la compare sans aménité, est éminemment féministe – même si elle ne le formule probablement pas comme ça. Si elle veut plaire, ce n’est pas aux hommes en particulier, et sûrement pas dans l’idée de séduire quiconque sur un plan sentimental. Elle veut plaire pour être aimée à un niveau plus profond, qui fait écho à son passé, et pouvoir, enfin, se plaire à elle-même, tout simplement.
La cinéaste joue sur l’échelle des plans pour nous donner l’impression d’être au plus près de la jeune fille, en empathie et presque en osmose avec elle, à travers des cadres très serrés, et en même temps montre sa solitude à travers des plans très larges qui l’isolent à l’image. On sent symboliquement qu’elle nous est à la fois très proche et insaisissable – comme c’est le cas de ses amies ou de ses followers qui pensent tout savoir d’elle, et pourtant sont toujours tenus à distance.
Le film parle aussi de ça, de la difficulté à trouver sa place dans le monde, notamment en tant que femme. On la voit à la fois tâtonner en essayant sans cesse de redéfinir son identité et subir les attaques en règle de ceux qui ne supportent pas sa liberté (à l’image de la séquence où elle se fait agresser dans le train, par un inconnu qui se croit autorisé à juger sa tenue vestimentaire) ou celle des femmes qu’elle admire (« Où est le mal ? », demande-t-elle – éternelle question posée par les femmes à celles et ceux jugent leur physique, leur comportement et leur apparence). Liane, elle, revendique le droit absolu de maîtriser son corps – peut-être parce que c’est la seule chose sur laquelle elle a un tant soit peu de pouvoir.
Et, ce faisant, elle est à la fois dans la reproduction d’un certain type de modèle féminin, et dans l’affirmation de sa liberté à suivre cette voie si elle le désire. Ainsi, elle devient à son tour un modèle pour les filles plus jeunes qui la suivent. L’idée d’une transmission, et presque parfois d’une sororité, est à l’oeuvre. Cela passe par des moments suspendus où a le sentiment de regarder les êtres et les choses à travers le regard de Liane, tandis qu’une musique extra-diégétique lyrique (cordes, piano) envahit tout, nous isolant de la scène comme si l’on était directement dans sa tête. C’est alors comme un flot d’émotions qui se déverse à l’écran, révélant avec beaucoup de bienveillance l’intériorité du personnage, entre vulnérabilité et sensibilité à fleur de peau, entre doute et espoir, entre peur d’être rejetée et désir d’être enfin aimée.
Fiche technique
Diamant brut d'Agathe Riedinger (2024)
Avec Malou Khebizi, Idir Azougli, Andréa Bescond, Alexis Manenti...
Distributeur : Pyramide
Sortie française : 9 octobre 2024