Cannes 2024 |  La jeune femme à l’aiguille : crimes et châtiments en surdose

Cannes 2024 | La jeune femme à l’aiguille : crimes et châtiments en surdose

Copenhague, 1918. Karoline, une jeune ouvrière, lutte pour survivre. Alors qu’elle tombe enceinte de son directeur et amant, elle cherche à s’avorter. Elle rencontre Dagmar, une femme charismatique qui dirige une agence d’adoption clandestine. Un lien fort se crée entre les deux femmes et Karoline accepte un rôle de nourrice à ses côtés.

En trois aiguilles, et autant de chapitres, Karoline va nous emmener dans une lente descente aux enfers. L’aiguille à tisser, celle de son premier métier où elle croise le mari a priori idéal, l’aiguille qui lui sert à avorter dans un sauna, et enfin l’aiguille qui insuffle toutes sortes de drogues et de poisons dans ses veines jusque’à la rendre comateuse. Le drame n’est pas exempt de surdose misérabiliste ni de tragédies bien soulignées. C’est tout son problème…

Magnus von Horn ne lésine pas sur le destin de son héroïne : elle accumule les injustices, les horreurs, les mauvais hasards… Expulsée de chez elle, se logeant dans un taudis, enceinte d’un notable, répudiée par la mère de celui-ci, licenciée en dommage collatéral, contrainte d’avorter, retrouvant son mari avec une gueule cassée, monstre malgré lui, se réfugiant chez la pire meurtrière de bébé de l’histoire de son pays… Rien ne lui est épargné. À vouloir surdramatiser le destin de Karoline, tout nous semble irréel malgré ses allures réalistes. À la rendre trop passive, le cinéaste empêche toute compassion pour elle.

La jeune femme à l’aiguille se retrouve finalement piégé par son excès de formalisme, la sursignification de son propos et l’incapacité à incarner cette histoire. Comble de tout, Karoline, victime de tout, de tous et toutes, devient un « objet » facile à plaindre, sans même qu’on s’émeuve de ses cruels mauvais tours du destin.

Est-il encore possible aujourd’hui de filmer une femme sur laquelle le destin s’acharne, sans lui permettre d’être intelligente ou courageuse? Cette vision de la femme amorphe face à ses souffrances et ses malchances paraît archaïque. La complaisance du cinéaste à la filmer comme une poupée influencée est gênante.

Mauvais karma

De plus, en esthétisant cette histoire, le réalisateur passe à côté de toute forme de réalisme. Ainsi, la mise en scène accentue cette mise à distance et surligne cette descente aux enfers : un noir et blanc austère, une froideur scandinave, des parenthèses expressionnistes et même expérimentales (avec une musique électro accompagnant une fusion de gueules à la Francis Bacon). Magnus von Horn semble se repaître de cette misère et de ces malheurs.

La jeune femme à l’aiguille a tout du film d’auteur qui veut s’affirmer en tant que tel et viser une sélection en festival. Il s’exhibe en drame plombant idéal, avec ses figures de style, un sujet inspiré d’une effroyable histoire vraie, et un récit glauque qui donne envie d’avaler un antidépresseur.

C’est regrettable que le réalisateur ne parvienne pas à de détacher un peu de son histoire, quitte à la réinventer. Pas forcément pour la réenchanter, mais pour éclairer de manière plus subtile le véritable combat qui se dessine à travers ces destins de femmes. Entre la religion, la société, la morale, les institutions, il y avait de quoi montrer l’intérêt et les motifs de cette « sororité » et de cette solidarité.

Au lieu de cela, entre hallucinations, répulsions, et pauvres nourrissons, Magnus von Horn suit platement l’itinéraire d’une femme qui cherche à survivre en se soumettant à trois monstres (la mère de son amant, la confiseuse criminelle et son mari défiguré). Une femme sous emprise permanente mais qui ne se rebelle jamais. Elle subit tout comme s’il s’agissait d’une suite de fatalités. Le spectateur a la même impression, mais sans morphine à s’injecter, ni éther à respirer.

La jeune femme à l'aiguille (The Girl with the Needle)
Cannes 2024. Compétition.
1h55.
Avec Victoria Carmen Sonne, Trine Dyrholm, Besir Zeciri, Joachim Fjelstrup
Réalisation : Magnus von Horn
Scénario : Line Langebek Knudsen et Magnus von Horn
Distribution : Bac films