Cannes 2024 | Ce n’est qu’un au revoir de Guillaume Brac : instantané en état de grâce

Cannes 2024 | Ce n’est qu’un au revoir de Guillaume Brac : instantané en état de grâce

Les amitiés de lycée peuvent-elles durer toute la vie ? Une chose est sûre, dans peu de temps Aurore, Nours, Jeanne, Diane et les autres diront adieu à leur chambre d’internat, aux baignades dans la Drôme, aux fêtes dans la montagne. Louison coupera ses dreads et la petite famille éclatera. Pour certaines d’entre elles, ce n’est pas la première fois et ça fait encore plus mal…

On pourrait reprocher deux choses à Guillaume Brac : revenir à une forme qu’il a déjà empruntée par le passé et s’attaquer à un marronnier du documentaire : la dernière année de lycée pour des adolescents qui s’apprêtent à passer le bac. Sauf que le cinéma n’est justement rien d’autre qu’un éternel recommencement, une succession d’histoires et de thématiques qui se répètent en boucle, plus ou moins transcendées par celle ou celui qui les raconte.

Or, ce que Guillaume Brac nous montre dans ce geste suspendu d’à peine une heure gagne une telle force devant sa caméra qu’il semble n’avoir jamais été raconté. Un petit miracle de documentaire qui capte à la fois l’adolescence éternelle, celle qui se réinvente à chaque génération, et l’adolescence d’aujourd’hui, pas tendance 2015 ou 2030, mais juste là, celle du début des années 2020. Une toute petite fenêtre temporelle dans laquelle se mêlent les sarouels (et dans quelle faculté il est acceptable de les porter), les méga-bassines, des dreadlocks et des douleurs intimes qui ne se refermeront peut-être jamais. 

Portrait de la jeunesse contemporaine

Autrefois, on disait dans une école de journalisme plutôt connue que le manque de chance est “une faute professionnelle”. Guillaume Brac est un grand professionnel, qui peut s’appuyer sur la force de personnalité de ses protagonistes, probablement pas tout à fait choisis par hasard, et qui apportent au fil du film un regain d’espoir et de confiance en l’avenir. Car ce qui frappe avec ce portrait de la jeunesse contemporaine, c’est justement sa dimension éminemment actuelle, avec des adolescents politisés et engagés pour la préservation de la planète ou les droits des minorités, tout en gardant cette exubérance et cette énergie qui les poussent à transgresser les règles ou à délirer entre amis. 

Bien qu’un certain nombre d’enjeux propres à cette période de la vie restent relativement hors champ, telles que la scolarité à proprement parler (présente seulement via la question des orientations et du désastre qu’est ParcoursSup) et les premiers amours, d’autres thèmes plus attendus sont bien présents, et notamment l’idée que les protagonistes vivent là la fin d’une époque destinée à disparaître à jamais. La conscience aiguë qu’ils ont de cette situation est bouleversante. La fin programmée de la petite bande qu’ils forment dans la bulle protégée qu’est l’internat en est la manifestation la plus évidente, rarement verbalisée avec autant de justesse et de profondeur. Mais c’est aussi présent de manière plus globale dans les entretiens individuels (les témoignages plus personnels de trois jeunes filles qui se racontent  en off, avec déjà des faux airs de bilans de fin d’enfance) et dans la tonalité qui se crée au fil du récit. 

Portrait de groupe

Malgré ces focus, c’est d’ailleurs toujours le collectif qui demeure au centre du film, comme une force spécifique de cette génération moins individualiste que ses aînées. Dans le fonctionnement du groupe, il y a quelque chose de léger et de festif, mais aussi une place laissée aux débats et aux argumentations, le sentiment de construire tous ensemble les bases d’un monde à venir, mais aussi des personnalités de chacun. C’est à la fois une idée très belle et très touchante, une forme ultime d’utopie qui réaffirme l’importance des amitiés de jeunesse dans nos existences, même si – dans le même temps – elles sont destinées à disparaître.

C’est ainsi, par l’entrecroisement des enjeux collectifs et individuels, par l’observation fine des rêves et des idéaux (dont les lycéens eux-mêmes perçoivent déjà qu’ils sont destinés à s’adapter, voire à être abandonnés) que Guillaume Brac parachève cet instantané en état de grâce. Suivrait-il dix années de suite la même démarche, en filmant dans ce lycée, qu’il obtiendrait 10 documentaires distincts, jetant à chaque fois un regard inédit sur une jeunesse elle-aussi en perpétuelle mutation.


Ce n'est qu'un au revoir
Cannes 2024. Sélection Acid
Réalisation : Guillaume Brac