Cannes 2024 | Black Dog : la ville aux chiens imaginée par Guan Hu

Cannes 2024 | Black Dog : la ville aux chiens imaginée par Guan Hu

Lang revient dans sa ville natale aux portes du désert de Gobi. Alors qu’il travaille pour la patrouille locale chargée de débarrasser la ville des chiens errants, il se lie d’amitié avec l’un d’entre eux. Une rencontre qui va marquer un nouveau départ pour ces deux âmes solitaires.

Une comédie sociale épurée. Guan Hu réussit à nous charmer de manière irrésistible avec une histoire minimaliste, pas très bavarde, et teintée de pointes d’humour.

Quinze ans après Cow (Dou niu), Cyclo d’or à Vesoul et sélectionné à Venise, il renoue avec une fable animalière, toujours prétexte à décrire les citoyens ordinaires dans un contexte chaotique. Avec Black Dog, le cinéaste dépeint une Chine provinciale et déclinante condamnée à se transformer par un Etat unique décisionnaire. L’ancien monde doit disparaître. Esthétique de la ruine urbaine avec son zoo en piteux état, des barres d’immeubles vides, des quartiers entiers voués à la destruction. Il ne reste que les vieux et leurs routines. Cette cité au milieu de la steppe chinoise doit muer, avec, en toile de fond, le miracle chinois et les Jeux Olympiques de Beijing en 2008 qui vend bonheur et rêve comme slogans.

« J’ai du sang de légionnaire romain dans les veines »

Les habitants ayant fui, les chiens se sont aussi barrés. Ils cernent la ville en meutes. Au point de créer un accident de bus. Seul, un chien noir, élégant et racé, est resté et sème la panique, sous prétexte qu’il aurait la rage.

Black Dog croise ainsi le destin d’un animal rejeté et d’un homme (Eddie Peng), ancienne star circassienne locale, sous liberté conditionnelle après avoir purgé de la prison pour meurtre. Autrement dit, lui-même n’est pas vraiment le bienvenu. Deux êtres marginalisés et mutiques qui vont s’apprivoiser d’une drôle de façon (en pissant sur un mur l’un après l’autre).

Feel-good

Cette dérision permet à ce drame social d’être plus léger qu’il n’en a l’air. D’autant que le récit est plaisant et bien écrit. Guan Hu alterne avec une certaine allégresse le drame intime d’un homme qui cherche à se reconstruire tandis que son père est mourant, le polar avec un ennemi rancunier et violent, le quasi burlesque quand ce n’est pas une forme d’absurde poétique, des événements surnaturels (séisme, éclipse solaire, tempête de sable) et un tigre sauvage, le tout assaisonné ‘un peu de critique politique sur un régime prêt à déployer tous ses moyens pour éradiquer la menace des chiens. Remplacer chiens par Ouïghours (pas très loin géographiquement) et ça pourrait même devenir une parabole engagée sur le traitement des ennemis de l’intérieur du régime.

De tout cela, il s’en dégage une belle humanité. Le film est malin et son héros, détaché de tout, attachant. Avec son chien noir, il compose un binôme craquant qui préfère vivre à l’écart de cette folie ambiante. Même les quelques bastons sont hors champs. En silence, ou presque, alors que tout hurle, les hauts-parleurs comme les gens, dans une passivité à peine feinte, déterminé à reprendre sa place dans la société, Lang trouve dans la compagnie du chien errant une envie de vivre en paix.

Dans cet environnement où Black Dog rappelle l’importance du vivant et du sauvage, Guan Hu plaide aussi pour la réconciliation (entre humains, avec les animaux) et signe un film aussi séduisant qu’universel. Mais c’est son humilité qui rend le film plus puissant qu’il n’en a l’air, grâce à une mise en scène sans fioritures mais bien réfléchie et d’un scénario généreusement écrit pour un large public.

Black Dog
Cannes 2024. Un Certain regard.
1h50
Avec Eddie Peng, Tong Liya, Jia Zhangke, Zhang Yi
Réalisation : Guan Hu
Scénario : Guan Hu, Ge Rui, Wu Bing
Distribution : Memento