Présenté à la Quinzaine des Cinéastes, Eephus st le premier long-métrage de Carson Lund. Et il ne présage que du bon pour la suite !
« Si votre maillot reste propre, vous n’avez rien fait »
Dans une bourgade américaine non-identifiée, de vieux amateurs de baseball disputent un ultime match avant que leur terrain ne soit rasé pour que l’on y construise une école.
Le postulat de départ est simple : Eephus (qui désigne un lancer de balle à la vélocité inhabituellement faible, pensée pour surprendre le frappeur) est un film sur la fin. La fin d’une ère évidement pour un bande de bras cassés (disons les choses comme il se doit) qui se retrouve tous les dimanches pour refaire le monde ensemble, en buvant des bières et en tapant dans une balle. Mais c’est aussi, et on le comprend très vite, la fin d’un « règne » pour ces hommes qui ont fait de ces matches un rituel de masculinité.
Si l’issue du match est un enjeu en soi, le spectateur comprend rapidement que ce qui se joue ici c’est la perte d’une forme de convivialité et d’un espace de rassemblement. Les gradins sont vides mais peu importe. Ils ne sont pas là pour impressionner qui que ce soit – à l’exception d’un des joueurs qui rêve de briller devant sa femme et leurs enfants sans jamais y parvenir. Et plus Eephus avance, plus la question devient évidente : lorsque ce terrain de baseball ne sera plus, qu’adviendra-t-il de ces hommes ?
A l’instar des cafés ou des pubs, ce terrain est un lieu d’échange, où chacun prend des nouvelles de l’autre. Et surtout, où chacun peut oublier le temps de quelques heures ses problèmes du quotidien et ainsi avoir l’impression de s’évader auprès de ses pairs. Mais la vie étant faite de surprises et d’imprévus, Eephus montre intelligemment que malgré toute la bonne volonté du monde, une équipe finit rarement avec le même nombre de joueurs sur la ligne l’arrivée qu’au départ.
Des hommes en veux-tu en voilà
Avec sa vingtaine de personnages masculins suffisamment bien écrits pour qu’une dizaine d’entre eux se démarque clairement, le scénario signé Carson Lund, Michael Basta et Nate Fisher offre un panel plus que comique. A commencer par celui qui sert de guide au spectateur : Franny (Cliff Blake), amateur de baseball qui a assisté à tous les matches pour compter les points, sans jamais toucher la moindre balle.
Il y a de tout dans Eephus et c’est précisément pour cela que le film fonctionne à merveille – en plus de ses dialogues brillamment écrits, où chaque anecdote permet une réflexion plus poussée sur l’état du monde, sans en avoir l’air. L’exemple idéal étant la bouche d’égout triangulaire. Du retardataire éliminé dès le premier tour, au meneur de jeu qui réalise qu’il a perdu de sa superbe en passant par le philosophe à la pensée positive, le passionné qui en oublie le baptême de sa petite-fille, l’amateur de feux d’artifice ou encore le mécano qui vient simplement là pour s’occuper…
Tous nous rappellent de manière surprenante – quoiqu’un peu attendue après une heure de film – que c’est dans la diversité des personnalités que l’on trouve la richesse d’un groupe. Et de ce début de journée jusqu’à ce qu’il fasse nuit noire, on veut rester avec cette bande. Connaître le score final, oui. Mais aussi savoir comment ils envisageront la suite, leurs retrouvailles, ailleurs que sur ce terrain de baseball. Malheureusement, et c’est là la beauté du projet, les réponses que l’on obtient ne sont pas forcément celles auxquelles on pense.
Départ (presque) parfaitement réussi
Grâce à une maîtrise assez frappante des choix de cadrage, Carson Lund nous fait vivre ce match à rallonge avec autant d’intérêt qu’une finale de Super Bowl. A la différence près qu’ici, chaque coupure publicitaire est appréciée. La photographie légèrement vintage sied à merveille à ce film indépendant qui s’avère mieux construit et plus efficace dans son approche des phases de jeu que certaines plus grosses productions.
On aime évidemment ce casting éclectique et saupoudré de pépites : Kevin William Richards d’Uncut Gems et David Pridemore des Flingueuses n’étant pas à l’origine sur notre bingo d’un grand film de baseball ! La musique composée par Carson et Erik Lund est efficace, bien que souvent secondaire. Et c’est au niveau de ces dernières minutes que le bât blesse légèrement : à force de tirer sur la fin, on perd un peu de l’énergie rassurante et contagieuse du début pour mieux s’appesantir sur l’idée que toute les bonnes choses ont une fin…
Eephus de Carson Lund.
Cannes 2024. Quinzaine des Cinéastes.
Avec Keith William Richards, Frederick Wiseman, Cliff Blake, Ray Hryb, Bill "Spaceman" Lee, Stephen Radochia, David Pridemore, Keith Poulson, John Smith Jr., Pete Minkarah, Wayne Diamond, Theodore Bouloukos
Scénario : Michael Basta, Nate Fisher & Carson Lund
Son : Joseph Fiorillo, Joel Numa, Georgios Melimopoulos
Musique : Carson Lund, Erik Lund